dimanche 14 février 2021

Le télétravail va vider les tours

Ce texte est la suite de ma réflexion sur l'impact du télétravail : "Plus rien ne sera comme avant"

La plupart des entreprises sont passés au télétravail pendant les deux confinements pour toute ou partie de leur activité. Selon les estimations cela a concerné entre 8 et 11 millions de personnes soit entre 29 % et 40 % des salariés. Ce chiffre est très nettement supérieur aux seuls cadres qui représentent 17 % des salariés. Pour comprendre l’importance de ce phénomène il faut se rappeler qu’avant le Covid 19 les télétravailleurs qui travaillaient à distance 3, 4 ou 5 jours par semaine sont de l’ordre de 1 % du total des salariés. Il est vrai qu’a cela s’ajoutait 6 % des salariés travaillaient 1 ou 2 jours par semaine chez eux. Au total cela faisait 7 %. On est passé en quelques jours à 35 %. C’est un changement considérable qui va profondément impacter l’organisation traditionnelle des entreprises et des administrations.

Est-ce un événement exceptionnel lié à une crise unique dans notre histoire et qui ne se reproduira plus où bien est-ce une mutation fondamentale qui va profondément modifier l’organisation des entreprises ?

Le grand basculement du 17 Mars

Pendant longtemps les dirigeants d’entreprise français se sont méfiés du télétravail. Ils craignaient que les tire-au-flanc en profiteraient pour se « rouler les pouces ». Ils redoutaient en particulier une chute de la productivité et une dégradation de la qualité du travail. De plus, de nombreux dirigeants aimaient bien passer de temps à autre dans les bureaux et constater que les salariés sont effectivement au travail. Bien entendu dans les grandes entreprises ayant de nombreux établissements ils ne voyaient qu’exceptionnellement les personnes qui travaillaient hors du siège. Or, les personnes en télétravail échappent ainsi à « l’œil du maître ». C’était « le monde d’avant ».

Le 17 mars il a fallu, contraint et forcé, basculer dans un nouveau monde. En moins de 24 heures il a été nécessaire de s’organiser pour continuer à travailler et on a demandé à une grande du personnel de rester chez eux et de travailler à distance. Ces annonces ont été un véritable choc. Cependant, dans un grand nombre d’entreprises, il y avait eu au préalable une répétition avec les grèves des transports de décembre 2019 et de janvier 2020. Elles avaient alors distribué des portables à leurs salariés qui n’en avaient pas encore afin qu’ils puissent se connecter de chez eux aux serveurs de l’entreprise grâce à la box Internet familiale.  

Et le plus étonnant, c’est que dans l’ensemble, les entreprises ont continué de fonctionner. Bien entendu, il y a eu quelques loupés mais globalement les entreprises ont continué de travailler comme d’habitude. Selon les sondages entre 62 % et 73 % des salariés ayant pratiqués le télétravail ont été satisfaits de cette expérience à tel point qu’un certain nombre d’entreprises ont décidé de continuer de télétravailler après le mois de juin. Quand le 2ème confinement a été décidé elles ont pu repasser en télétravail sans difficulté. Mieux des grandes et des moyennes entreprises ont décidé de généraliser le télétravail à une partie de ses salariés. Le cas le plus spectaculaire est celui de PSA qui a décidé de mettre en télétravail 40.000 personnes sur 200.000. Cela concerne les fonctions de support mais aussi l’ingénierie. Aux USA il y a eu quelques annonces spectaculaires : Google, Facebook, Twitter, Apple, Amazon, ... Mais derrière il y a toutes les autres entreprises selon une étude menée par la NABE (National Association for Business Economics) 80 % des entreprises américaines comptent maintenir le télétravail quand la crise du Covid sera terminée. Il est probable qu’il en sera de même en France. La récente signature d’un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail entre les syndicats patronaux et de salariés montre bien le sens de l’évolution.

 Le pour et le contre 

Cependant tout n’est pas parfait dans le télétravail. Il y a des avantages indiscutables mais aussi des difficultés. Les facteurs favorables :

-        La gestion de l’emploi du temps. Le salarié n’est plus tenu au respect des horaires de bureau classique 8 h-12 h, 14 h-16 h. Il peut commencer plus tôt ou finir plus tard. Le télétravail permet une plus grande souplesse dans la gestion de l’emploi du temps de chacun. Chacun est libre d’adapter son emploi du temps à condition que le soir le travail prévu soit terminé.

-        L’auto-organisation. Le télétravail permet à chacun de s’organiser comme il le souhaite à condition de maintenir le lien avec les autres collaborateurs qui travaillent en amont ou en aval de lui. Bien sûr un certain nombre de personnes n’ont pas la capacité d’organiser leur travail. Dans ce cas ils doivent suivre le modèle d’organisation préconisé par leurs encadrants.

-        L’amélioration des processus. Dans la plupart des entreprises la répartition des tâches et leur enchainement se fait par tradition. Cette organisation a été revue il y a quelques années lors de la mise en place des applications informatique. Le télétravail est une bonne occasion pour que les entreprises réévaluent leurs procédures et les améliorent pour les rendre plus souples et plus efficaces.

-        Le développement de la polyvalence. Une des conditions de l’amélioration des processus est de développer la polyvalence des salariés. Il faut que les salariés puissent, en cas de surcharge, appeler certains de leurs collègues à la rescousse de façon à éviter d’allonger les délais de traitement de leurs dossiers. Aujourd’hui les outils informatiques et l’amélioration des niveaux de qualification du personnel le permet. 

-        La réduction des coûts des sièges et notamment ceux liés à l’immobilier. Les mètres carrés des centres-villes ou des grandes zones de bureaux pèsent sur les comptes des entreprises. Les open-spaces ont permis de réduire ces dépenses mais il serait souhaitable d’aller au-delà.

-        Eviter 1 à 2 heures de transport par jour. Ceci concerne d’abord les grandes métropoles mais aussi, dans une moindre mesure les villes moyennes qui connaissent des embouteillages le matin et le soir et des transports en commun bondés. C’est une perte de temps sans compter l’accroissement de la pollution par les gaz d’échappement.

-        La diminution de l’absentéisme de convenance. Ceci concerne notamment la garde des enfants en cas de maladie ou pour s’en occuper le Mercredi. Mais ceci peut aussi concerner une course urgente. Le télétravail permet de faciliter la vie des salariés sans perturber le fonctionnement de l’entreprise.

Face à ces avantages il existe un certain nombre de facteurs négatifs en défaveur du télétravail :

-        Les risques liés à l’isolement. La personne travaillant seule dans son appartement ou dans sa maison ne voit personne toute la journée. En cas de difficulté elle est très vite submergée et ne sait comment résoudre ses problèmes. Pire, en ne rencontrant personne toute la journée elle finit par se désocialiser. Le télétravail comporte des risques psychologiques dus à l’isolement ([1]).

-        La perte de l’esprit d’équipe. A force de rester seule et de devoir faire face seule à de nombreux problèmes la personne s’éloigne de son équipe et finit par perdre tout contact avec l’entreprise. Ceci renforce sa tendance à l’individualisme. A la fin, ils risquent de prendre des décisions sans tenir compte des enjeux et des objectifs de l’entreprise.

-        L’encadrement des jeunes et des nouveaux embauchés. Ces personnes ne connaissent pas l’entreprise, notamment ses règles et ses manières de travailler. C’est particulièrement le cas des jeunes sortant d’une école ou de l’université. Laissé seul chez eux ils risquent de perdre du temps et finissent par désespérer car ils ont le sentiment de ne pas arriver à réaliser leur travail.

-        Les salariés sont sur-sollicités. On peut les appeler à tout moment et les obliger à travailler, y compris le soir, le week-end et même pendant leurs vacances. Il n’y a plus de respect de la vie privée et cela peut finir par perturber la vie de la famille et se traduit par des tensions, voire des drames.

-        La surexploitation des salariés. Ils deviennent « taillables et corvéables à merci ». Ceci se traduit par un allongement déraisonnable de la journée de travail et le temps consacré à la vie familiale en est réduit d’autant, voire il finit par rogner sur les temps de repos nécessaire.

-        Le cas particulier des femmes. Cette situation est particulièrement grave dans leur cas car elles ont très souvent une double journée de travail. Avec le télétravail elles doivent passer sans interruption de l’activité professionnelle et leurs activités privées. Elles finissent par se mélanger et au bout d’un certain temps elles ne savent plus elles en sont.

-        Le manque de place dans les logements. Les personnes qui habitent dans une maison n’ont pas de problème pour trouver une place pour installer un bureau. Par contre dans les appartements de centre-ville, souvent très exigus, il est impossible de trouver la place nécessaire pour installer un bureau et s’isoler pour travailler.

-        Difficultés pour les organisations de représentation des salariés. L’éloignement des personnes rend difficile leur mobilisation. Cela risque d’affaiblir encore les syndicats et fragiliser les négociations sociales. Il va leur être nécessaire de trouver de nouvelles manières d’agir.

-        La perte de productivité. Les personnes, mal encadrées et laissées à elles-mêmes vont perdre leur efficacité. C’est la grande crainte du management des entreprises. Comme ils n’ont plus leurs collaborateurs sous leurs yeux ils ont peur de ne pas pouvoir contrôler ce qu’ils font.

-        La dégradation de la qualité. C’est l’autre grande crainte du management. L’absence de l’encadrement ou le fait qu’il est à distance font que les contrôles sont plus lâches et des non-qualités peuvent survenir.

-        L’embouteillage de dossiers en instance. Ceci risque de se traduire par l’allongement des délais. Bien entendu, chacun essaie de traiter la pile d’opérations qui s’accumulent devant lui et, comme chacun est seul chez lui, personne ne peut venir à leur secours pour éviter l’accumulation des opérations en attente. Tout ceci se traduit par des délais de traitement croissants.

-        Le non-respect de la confidentialité des informations. Le télétravail se traduit par le fait que des informations vitales sortent des locaux de l’entreprise. Elles peuvent être consultées par des personnes indiscrètes au domicile des salariés et surtout dans les espaces de coworking. Il est aussi possible qu’en pénétrant dans le réseau les communications entre les PC et les serveurs de l’entreprise soient piratées.

-        L’archivage local. C’est un autre risque important car les domiciles sont moins surveillés que locaux des entreprises. Rares sont les particuliers ayant des systèmes de détection des intrusions, des serrures de sureté, des armoires de sécurisées et des coffres-forts. Dans ces conditions il est quasiment impossible de garantir la sécurité des documents confidentielles et les informations nominatives qu’ils détiennent.

Comme on le voit la liste des « contre » est nettement plus longue que celle des « pour » car on est dans un monde très conservateur et de nombreuses personnes craignent les changements que risquent de provoquer le télétravail, surtout si ceux-ci ont des conséquences importantes. Ceci explique en grande partie le fait qu’en France 50 ans après l’invention du concept par Jack Nilles seulement 1 % des personnes font du télétravail la majorité de leur temps de travail et que 6 % le font de 1 à 3 jours par semaine.

En vérité la plupart des arguments contre le télétravail se règlent par des mesures d’organisation et surtout par des outils permis par les progrès technologiques. C’est le cœur de la transformation numérique.

Quatre mesures, parmi de nombreuses autres, permettent d’apprécier ces possibilités :

-        L’utilisation systématique d’un VPN, Virtual Private Network. En cryptant les échanges il permet d’assurer la confidentialité des communications entre les PC se trouvant à distance et les serveurs de l’entreprise.

-        L’amélioration de la sécurité des postes de travail. De grands progrès ont été faits ces dernières années pour renforcer la sécurité des PC : la double authentification, la clé USB, le cryptage des bases de données, ….

-        Le bureau sans papier. A partir du moment où toute la documentation et toutes les informations nécessaires sont accessibles en ligne il est possible d’effectuer toutes les opérations souhaitées sans émettre de documents papier pouvant ensuite être volés.

-        L’utilisation de logiciel de workflow. Il est ainsi possible de suivre le flux des opérations permet de détecter les goulets d’étranglement et de renforcer, si c’est nécessaire, les effectifs pour mieux maîtriser les délais.

-        La vidéo-conférence. Les confinements ont permis de découvrir les possibilités de ces logiciels. Pendant longtemps ils servaient à échanger avec sa famille et ses amis. Depuis on a découvert qu’ils évident de longs déplacements et permettant de réduire la durée de ces réunions.

 Certaines fonctions sont directement concernées 

Cependant l’impact du télétravail est très différent d’une fonction de l’entreprise à l’autre et aussi selon son secteur d’activité. Les métiers qui interviennent sur le produit, comme la construction de voiture, ou certains métiers qui se font en présence des clients comme la coupe de cheveux, sont peu ou pas concernés par le télétravail. Il est évident que les coiffeurs ne vont pas couper les cheveux par Internet !

Cependant il ne faudrait pas en conclure que tous les services doivent se faire en présentiels. En effet de nombreux services peuvent être rendus en télétravail comme :

-        L’assistance à la vente. Le vendeur et le prospect sont à distance en visio-conférence. Le vendeur présente le produit ou le service qu’il souhaite vendre et répond aux questions du prospect. La vente proprement dite peut se faire ensuite par échange de mail et authentifiée grâce à une signature électronique.

-        L’assistance technique. Le client a souvent besoin d’aide. Il se connecte au site du fournisseur où un assistant lui donne des conseils adaptés. Cela peut se faire par une messagerie synchrone, par téléphone, en vocal sur ordinateur ou en visio-conférence. Cette dernière solution permet de voir le produit ou le service et facilite les explications.

-        La réparation à distance. Si le système peut se connecter à un PC ou à un smartphone il est possible de prendre son contrôle à distance, d’effectuer des tests et, le cas échéant de prendre la main à distance et de changer des paramètres ou de télécharger des logiciels.

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De même un grand nombre de fonctions de l’entreprise sont directement concernées par le télétravail :

-        La comptabilité et la gestion. Toutes les opérations de contrôle des données, d’enregistrement, de traitement, de contrôle et d’analyse des résultats peuvent être effectuées en télétravail. De même les opérations d’encaissement et de paiement peuvent être faits à distance. De plus en plus de paiements se font par carte de crédit à distance. Cela fait de nombreuses années que les grandes entreprises ont regroupé les différents services comptables dans des plateformes traitant toutes les opérations de l’ensemble de leurs filiales et de leurs établissements. C’est une forme de télétravail. S’ils effectuent leur travail de leur domicile ou d’un lieu de coworking cela devient du télétravail.

-        La gestion de dossiers, d’affaires et de projets. La gestion de toutes ces opérations peut se faire en en télétravail. Le développement des vidéo-conférences permet d’éviter des déplacements coûteux et consommateur de temps. La planification des opérations et leur suivi peut être considérablement améliorées par des outils adaptés. Il est, par exemple, possible de relancer à tout moment les personnes responsables de tâches qui sont en retard.

-        Les achats et les approvisionnements. Les appels d’offre et le choix des fournisseurs peut être effectué en télétravail. La négociation peut être faits en vidéo-conférences. Par contre l’examen des produits ou la visite des fournisseurs ne peuvent pas être effectué en télétravail. De même la plus grande part du travail d’approvisionnement, y compris la fixation des quantités à commander peut-être réalisés en télétravail, par contre le contrôle physique des réceptions et des stocks doivent impérativement effectués sur place.

-        L’administration des ventes. Cela comprend de nombreux travaux de prise de commandes, de traitement des retours, de gestion des comptes clients, l’analyse des ventes, … Ce travail peut sans difficultés être effectuées en télétravail.

-        L’établissement des propositions commerciales De même une bonne partie des opérations d’avant-vente, peuvent être effectués en télétravail. Une partie de la négociation peut être fait en vidéo-conférence. Par contre il est actuellement difficile d’imaginer que tout le processus se fasse à distance. Ce n’est pas une contrainte technique ou commerciale mais un fait culturel.

-        La paie et une partie des activités des ressources humaines. Il s’agit de gérer le fichier des salariés, de saisir les heures supplémentaires, les primes, … Ceci se peut être réalisé en télétravail. De même il est possible d’effectuer à distance les diverses déclarations demandées par le fisc, les URSSAF, Pôle emploi, … Il est aussi possible de gérer les actions de formation et de plus en plus d’actions de formation se font en visio-conférence.

-        Le juridique. De nombreux travaux juridiques peuvent se faire en télétravail notamment l’établissement des contrats et la confection de dossiers de contentieux. Il est aussi possible de faire des recherches de jurisprudence car les lois, décrets et la plupart des décisions judicaires sont en ligne.

-        La recherche et développement. Une grande partie des travaux de conception, d’ingénierie et des études peuvent être effectués en télétravail. C’est en particulier le cas du travail des bureaux d’étude. Par contre les travaux de laboratoire, la fabrication des maquettes et des prototypes, les tests et les essais doivent, bien entendu, se faire en présentiel. Mais la rédaction des rapports peut être effectué en télétravail.

-        Les études d’industrialisation. Une fois que le prototype est validé il faut définir la manière dont il va être produit. Ce travail est souvent réalisé par des bureaux d’étude spécifiques. Une partie de ce travail peut être réalisé en télétravail mais une partie doit être faite sur place dans les ateliers.

-        Les études informatiques. Le travail de programmation et de tests peut se faire en télétravail. Il est aussi possible d’effectuer une grande partie de la conception en télétravail. Bien entendu le concepteur a besoin de rencontrer les futurs utilisateurs, recueillir leurs besoins et leurs attentes, assister à l’utilisation de l’application actuellement opérationnelle. Si une partie peut se faire en vidéo-conférence une autre partie doit se faire en présentiel.

-        La gestion de l’exploitation. Elle peut se faire à distance à condition que l’exploitation ai été, au préalable, largement automatisée. De même la gestion du réseau peut être géré en télétravail.

-        L’assistance aux utilisateurs. Elle est très souvent assurée par une « hot-line » et, fréquement, les opérateurs sont en télétravail. Par contre, en cas de panne matériel, les utilisateurs en télétravail doivent ramener leur PC ou leur imprimante au service technique. Par contre le travail de l’atelier et de réparation sur site se fait en présentiel.

-        Le marketing. Ce travail de réflexion sur les clients et les produits peut se faire sans problème en télétravail, notamment les traitements statistiques et le Big Data, l’établissement des cahiers des charges, ... Par contre les opérations de promotion et de démonstration ne peuvent être effectués qu’en présentiel. 

-        La publicité. Dans la plupart des entreprises la conception et la réalisation sont sous-traitées à des agences de communication. Le service interne de publicité sont des donneurs d’ordre et des pilotes des opérations de promotion. Ce travail peut se faire en télétravail.

-        La vente assise. Traditionnellement la vente se fait au comptoir mais souvent le client prend contact avec son fournisseur par téléphone ou par mail. Cela concerne surtout la vente aux entreprises mais elle peut aussi concerner des particuliers. Ce travail peut se faire en télétravail sauf, bien sûr, la ventes au comptoir.

-        L’établissement des devis et des propositions commerciales. C’est un travail délicat et les personnes qui les établissent ont besoin de calme et surtout ils ne doivent pas être sans cesse interrompues. C’est l’exemple d’activité qu’il est recommandé de faire en télétravail.

-        L’assistance aux clients. Les clients ont souvent besoin d’être aidés pour mieux utiliser les produits et les services fournis. Les plateformes de hotlines peuvent être décentralisés et faites par des salariés en télétravail comme on peut le faire pour l’assistance aux utilisateurs de l’informatique.

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Comme on le voit de très nombreuses activités peuvent se faire en télétravail. On notera qu’un certain nombre de ces tâches peuvent en tout ou en partie être sous-traités. Cela ne veut pas dire qu’elles le seront effectivement mais cela montre que ces différentes activités peuvent être effectuées en dehors des locaux de l’entreprise. 

Un certain nombre de fonctions ne sont pas concernées 

Par contre certaines fonctions notamment celles qui sont liées à la production et à la vente ne peuvent pas être effectués en télétravail :

-        Les fonctions de direction : direction générale, direction commerciale, direction de la production, … Il est difficile d’imaginer des directeurs ayant la charge d’une partie importante de l’activité de l’entreprise ne soient pas physiquement présent dans l’entreprise. Mais, à terme, qui sait ?

-        La vente dans des magasins, au comptoir ou dans des show-rooms. Rien ne replacera la présence des vendeurs et des employés de libre-service. Il est possible que certaines tâches soient remplacées par des automates comme c’est déjà le cas des caissières mais il restera encore de nombreuses années des vendeurs.

-        La vente chez le client. De même pour un certain nombre de produits ou de services le vendeur, l’ingénieur technico-commercial ou le responsable d’avant-vente doit se rendre physiquement chez le client pour évaluer ses besoins, lui présenter les solutions qu’il envisage et lui faire une offre. Si celle-ci nécessite un travail d’analyse et de chiffrage il peut par contre être fait en télétravail.

-        L’activité de production industrielle et les services associés. Il n’est pas envisageable de produire des voitures ou des télévisions ([2]) en télétravail. Des usines et des ateliers existerons encore pendant longtemps. Cependant il existe des activités de production qui peuvent être faites à domicile comme dans l’habillement, la fabrication de chaussures, la production de pièces mécaniques, …

-        La gestion de la production. Le pilotage et le contrôle de la production sont liés à l’activité de production et ces opérations se font sur place. Seul quelques opérations peuvent être fait en télétravail comme le reporting périodique de l’activité de production.

-        Le contrôle qualité. Ces contrôles sont effectués au cours du cycle de production ou en fin de traitement. Différentes mesures et des tests sont effectués par des contrôleurs. Ils doivent être présents dans les ateliers.

-        Les méthodes. Il est nécessaire d’analyser la manière dont les opérations de production sont organisées. Ce travail repose sur l’analyse des tâches et leur enchainement. Pour l’essentiel ce travail se fait dans les ateliers. Cependant quelques travaux ponctuels peuvent être effectués en télétravail.

-        La fabrication des outillages. Cette activité est directement liée à la production. Elle consiste à fabriquer ou à adapter des outils utilisés pour prendre en charge une nouvelle fabrication ou pour améliorer un process existant. Ce travail est fait par le personnel de l’entreprise qui intervient sur l’outil de production. Il est fait, pour l’essentiel, dans les ateliers de l’entreprise.

-        Le planning – ordonnancement - lancement. Cette fonction est directement liée à la production. Elle consiste à créer des ordres de fabrication, de fixer quand et dans quel ordre ils doivent être mis en production, de suivre l’avancement des opérations, de connaître les encours et finalement de s’assurer que les délais de livraison prévus seront respectés. Ce travail est fait en présentiel.

-        La comptabilité analytique. Une partie du travail consiste à collecter les informations de bases comme les sorties de stocks, les temps travaillés, la charge machine, … Ce travail ne peut que se faire sur place et il est en grande partie effectué par le personnel de production. Par contre les contrôles des données, les calculs et le reporting peut se faire en télétravail.

-        La gestion des stocks et notamment les inventaires périodiques. Ce sont des opérations physiques effectuées dans les magasins et dans les ateliers. Ce travail ne peut se faire qu’en présentiel.

-        L’entretien des équipements et du matériel roulant (la maintenance). Ce travail se fait uniquement dans les ateliers et dans les garages en présentiel. Par contre la planification et la préparation des interventions peut, pour partie, se faire en télétravail.

-        La réalisation des maquettes et de prototypes, les tests et les essais. Ces activités faisant partie de la recherche et développement se font dans des ateliers spécifiques et des laboratoires. Elles se font en présentiels.

-        La gestion des ressources humaines. Les activités en lien direct avec les collaborateurs se font en présentiels comme, par exemple, les entretiens d’embauche, d’évaluation ou préalable à un licenciement ne peuvent pas se faire de manière efficace en vidéo-conférence mais il est possible que les habitudes puissent, à terme, évoluer. Ces actions se font encore en présentiel.

-        Les déménagements internes. Dans les grandes entreprises et aussi dans les moyennes on déplace souvent des matériels, des bureaux, des archives, ... Par nature ce travail est fait en présentiel.

-        La gestion des matériels informatique. Il nécessaire d’installer des PC ([3]), des imprimantes, des serveurs, des routeurs, des réseaux, … Il est aussi fréquent de déplacer ou de remplacer des équipements. Le personnel chargé de ces tâches à l’obligation de travailler sur place.

-        La maintenance des matériels informatique et des réseaux. Une partie de ces opérations peuvent être effectués à distance notamment le traitement des incidents système et la gestion des paramétrages d’application mais une grande partie des interventions de maintenance doivent se faire sur place ou en atelier. 

-        La gestion des locaux. Il est nécessaire que du personnel intervienne sur place pour nettoyer, chauffer et assurer la sécurité des établissements de l’entreprise : siège sociales, usines, magasins, … Toutes ces opérations se font en présentiel. De plus des travaux d’entretien ou d’aménagement doivent de temps à autre être effectués.

-        La fourniture de services aux clients. Un grand nombre d’entreprises vendent des services et souvent des services liés aux produits. Une grande partie de ces services sont fournis sur place chez les clients en présentiel. Mais de plus en plus d’opérations peuvent être effectuées à distance et dans ces cas le personnel peut intervenir en télétravail.

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Comme on le voit, un certain nombre d’opérations se font et continuerons de se faire dans les locaux de l’entreprise et chez les clients. L’idée, souvent répétée, selon laquelle toutes les opérations se feront à l’avenir en télétravail avec des personnes se trouvant bloquées cinq jours par semaine à leur domicile sans jamais mettre les pieds dans leur entreprise est une affirmation contredite par la réalité. Un volume important de travail se fait 2 à 3 jours par semaine et le reste du temps ils sont présents dans l’entreprise. 

Les améliorations organisationnelles et informatiques à envisager 

Pour réussir le télétravail sur la longue durée il va être nécessaire d’améliorer le fonctionnement des entreprises notamment en repensant leur organisation et leur informatique car ils ont été conçus pour effectuer des opérations réalisées, pour l’essentiel, en présentiel dans les locaux de l’entreprise. Les changements nécessaires concernent les points suivants :

-        Des processus efficaces et bien maîtrisés. Dans la plupart des entreprises l’organisation du travail a été conçue pour que le travail soit effectué sur place. Le télétravail oblige de revoir les processus existants en cherchant à mieux les sécuriser, à améliorer le suivi des opérations et à renforcer les contrôles. Mais il faut éviter d’avoir deux procédures : une sur place et une autre à distance. On ne doit avoir qu’une seule procédure valable dans les deux cas.

-        Un responsable de chaque processus majeur. Dans une grande entreprise il peut exister plusieurs dizaines de processus. Par contre dans une PME elles sont nettement moins nombreuses mais elles sont aussi importantes. Une personne doit être chargée de suivre l’ensemble des opérations et de repérer les problèmes qui peuvent survenir, notamment les engorgements des processus qui se traduisent par des allongements des délais. Il a la responsabilité du processus de bout en bout quel que soit le ou les services qui interviennent. Il est souhaitable qu’il ait aussi la responsabilité de définir les changements nécessaires.

-        La polyvalence du personnel. Pour être efficace en télétravail il ne faut pas que le travail soit trop morcelé entre un grand nombre de personnes. Dans la mesure du possible, il est souhaitable de confier un certain nombre de tâches à une même personne. Il faut donc former les intervenants pour leur permettre d’avoir une réelle polyvalence afin de pouvoir travailler en toute sécurité.

-        Une maîtrise satisfaisante des outils informatiques. Il faut que les salariés en télétravail soient à l’aise avec les applications informatiques mises à leur disposition. Il est pour cela nécessaire de renforcer les compétences informatiques des salariés. Il est aussi nécessaire de veiller à améliorer la facilité d’utilisation de ces applications afin qu’elle soit fluide. 

-        Eviter d’utiliser le matériel informatique personnel ou familial. Il fut un temps où la mode était au BYOD : « Bring Your Own Devices ». Mais cette pratique est dangereuse car il existe des risques d’attaque du système de l’entreprise par des virus, des pièces jointes contenant un code malicieux caché et des ransomwares. La sécurité de tous les matériels et du réseau doivent être gérés par l’équipe centrale chargée de la sécurité informatique.

-        Des applications informatiques fiables et performantes. Trop souvent les applications développées par l’entreprise posent différents problèmes d’utilisations : écrans de saisie mal conçus, tests incomplets ou bâclés, difficultés à maîtriser les données, … Ces applications fonctionnent en local plus ou moins bien mais à distance cela peut devenir délicat. Pour éviter cela il est nécessaire de renforcer les phases de tests et de mieux maîtriser les corrections.

-        La remontée des incidents. Il est important de détecter et de corriger rapidement toutes les anomalies et les erreurs qui peuvent survenir. Il est pour cela nécessaire que les utilisateurs signalent systèmatiquement les incidents qui surviennent et pour cela on doit veiller à faciliter ces opérations. Ces incidents doivent être suivis et s’assurer qu’ils sont effectivement clôturés.

-        La numérisation de tous les documents. Ils sont émis ou reçus par l’entreprise comme les factures, les bons de commande, les bons de livraison, ... Mais ce sont aussi toutes les données permanentes nécessaires pour travailler efficacement comme les codes ou paramètres nécessaires qui servent aux opérateurs. Tous ces documents doivent être stockés sur les serveurs et les postes de travail de façon à ce que les salariés puissent travailler à distance sans difficulté.

-        Des moteurs de recherche efficaces. Il est nécessaire que les opérateurs puissent retrouver rapidement une information recherchée. Ce peut être le nom d’un client ou d’un produit, un taux de remise ou une adresse. Rien n’est pire qu’une personne, loin de tout, soit bloquée dans son travail à cause d’informations manquantes.

-        Des VPN chiffrés de bout en bout, efficaces et performants. Pour des raisons de sécurité évidente il est nécessaire d’empêcher toute tentative de pénétration dans le réseau de l’entreprise ou de tout détournement de trafic. Toutes les transactions doivent être cryptés à partir du PC de l’utilisateur jusqu’au serveur de l’entreprise. 

Ces règles paraissent simples et évident mais l’observation montre qu’elles ne sont pas systèmatiquement appliquées. Lors du premier confinement il y a eu quelques difficultés et des incidents. Ceci montre qu’il reste encore des progrès à faire.

Il manque actuellement encore quelques outils importants pour avoir une organisation qui soit efficace et performante comme par exemple :

-        Le suivi des flux de dossiers. Ce peut être des commandes reçues ou des lettres reçues des clients. C’est le rôle des logiciels de workflow qui ont eu leur heure de gloire et qui ont été, depuis, un peu oubliés. Il est aussi possible de détecter des goulets d’étranglement et des allongements de délai.

-        La visualisation d’une base de données en mode page comme si on était dans un tableur afin de retrouver rapidement une information. Des fonctions de recherche et de tri doivent faciliter la recherche d’une information précise.

-        La possibilité d’effectuer des appels téléphoniques sur l’ordinateur en appuyant sur une seule touche du clavier pour pouvoir consulter un collègue se trouvant à distance. En effet il est nécessaire de faciliter les échanges au sein d’une équipe notamment pour demander une information ou obtenir une confirmation.

-        Pouvoir appeler quelqu’un au cours d’une visio-conférence et le faire intervenir sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une planification préalable par l’envoi d’un mail.

-        Permettre facilement et rapidement à une personne de reprendre la main d’un PC se trouvant chez un autre salarié, les deux se trouvant à distance. C’est actuellement possible mais ce sont des utilitaires conçus par des informaticiens pour les informaticiens. Il faut simplifier et permettre de basculer en quelques instants tout en sécurisant les deux postes de travail.

-        ….

Ce ne sont pas de nouvelles applications mais des compléments de celles existantes. Ceci montre le type d’adaptation nécessaire des applications informatique au télétravail. 

Les conditions de la réussite 

La réussite du télétravail repose sur quelques règles simples :

-        Le télétravail n’est pas fait pour tout le monde. De nombreuses activités ne peuvent pas se faire en télétravail. On oppose souvent les personnes travaillant dans les fonctions indirectes et celles travaillant dans des activités directes, les premiers pouvant faire du télétravail et les autres obligées de faire du présentiel. Cependant cette distinction doit être nuancée car, nous l’avons vu, une partie des personnes travaillant dans des fonctions de frais généraux sont obligées de travailler en présentiel. Et à l’inverse un certain nombre de personnes travaillant dans des activités directement liées aux produits ou aux services peuvent effectuer une partie de leur travail en télétravail.

-        Pour réussir le télétravail il faut s’assurer que les personnes concernées sont suffisamment autonomes et motivées. S’il est nécessaire d’intervenir en permanence pour aider une personne il est préférable qu’elle soit présente dans les locaux l’entreprise. Ce sont, par exemple, le cas des jeunes sortant de leur école ou de l’université, des apprentis et des nouveaux embauchés. On doit prévoir de les encadrer par des personnes expérimentées capables de les aider lorsque c’est nécessaire.

-        Un salarié ne peut pas rester en télétravail en permanence. Il est nécessaire qu’il soit physiquement présent au moins une fois par semaine ou, au pire, une fois par quinzaine afin qu’il puisse échanger avec les autres membres de son équipe et sa hiérarchie. L’idéal serait qu’il y ait un mi-temps : deux à trois jours en télétravail et trois ou deux jours de présence dans les locaux de l’entreprise.

-        La manifestation de la confiance accordée aux collaborateurs. Très souvent le management craint que les salariés, laissés à eux même, commettent de nombreuses erreurs qui risquent de se traduire par une dégradation de la qualité, et une perte de temps puis finalement par une perte de productivité. Pour que ce ne soit pas le cas il est important que le management et les décideurs manifestent aux salariés leur satisfaction et leur confiance.

-        La surveillance des RPS : Risque Psycho Sociaux. L’isolement des personnes risque de se traduire par une augmentation des angoisses et des dérives psychologiques. C’est une des raisons poussant à éviter le télétravail à 100 %. Il est pour cela nécessaire que les personnes soient volontaires et il faut veiller à maintenir une alternance de présentiel et de travail à distance. Le télétravail imposé par les confinements sont des situations exceptionnelles qui ne doit pas tendre à se péréniser.

-        Améliorer les contrôles. Pour éviter que des erreurs surviennent il est nécessaire de renforcer les contrôles existants. Cependant il faut veiller à ne pas les multiplier de manière excessive ce qui ne peut qu’alourdir les procédures.

-       

Le développement du télétravail est un mouvement de grande ampleur. Il est là pour longtemps. Nous entrons dans un monde qui sera plus centré sur la vie au bureau. Lorsque la Covid-19 aura disparu les nouvelles organisations mises en place dans l’urgence resterons là. C’est un fait. Il est pour cela nécessaire d’adapter dès aujourd’hui les méthodes de travail et les systèmes d’information pour un fonctionnement en mode dual. Ceci fait que dans les années à venir les tours de bureaux vont progressivement se vider, les transports en commun bondés ne seront plus qu’un mauvais souvenir et les embouteillages du matin et de la fin d’après-midi vont finir par disparaître.

 

 

 

 



[1] - Ce risque incite un certain nombre de personnes à vouloir travailler dans des espaces de « coworking » proche de leur domicile.

[2] - Je ne suis pas certain que beaucoup de téléviseurs soient encore produits en France.

[3] - Y compris l’installation de PC au domicile des salariés. Pour éviter de nombreux déplacement ces opérations peuvent être sous-traitées à des prestataires locaux.

samedi 30 mai 2020

« Plus rien ne sera comme avant ? »

A la suite de la crise du Covid-19 et du confinement de nombreuses personnes opposent fréquemment le monde d’avant et le monde d’après. C’est une véritable antienne. Mais croyez-vous que tout va réellement changer après deux mois de confinement ? Il est fort probable que le monde de demain ressemblera étrangement au monde d’avant. Cependant, cela ne veut pas dire que rien ne changera. On peut dès aujourd’hui prévoir quelques changements majeurs.
Bien entendu le commerce électronique a profité de cette situation sauf Amazon France qui a réussi à fermer ses entrepôts français du 14 avril au 19 mai à cause d’un climat social très dégradé. Pour les autres cela a été le gros lot. Mais pour tous les commerçants qui n’avaient pas de site de commerce électronique ont perdu de 2 mois de chiffre d’affaires. Il est probable qu’ils ne feront pas la même erreur une deuxième fois, s’ils arrivent à se sortir de cette crise.
Mais le développement du commerce électronique n’est pas le seul effet du « lockdown ». Il est fort probable que d’autres changements structurels vont apparaître notamment concernant la transformation numérique. Or, on le sait bien, depuis des années la France mais aussi le reste de l’Europe ont du mal à réellement s’engager dans cette profonde mutation. Alors que les USA et la Chine avancent à grand pas vers le futur les pays européens n’arrivent pas à changer leurs habitudes. Or soudain on a assisté des trois changements majeurs dans trois domaines fondamentaux :
-       Le télétravail.
-       L’éducation à distance.
-       Les distractions et la culture.

Le télétravail s’est imposé

Cela fait près de 50 ans que le thème du télétravail est évoqué. En 1972 un premier article évoquant ce sujet est paru dans le Washington Post. Il est écrit par Jack Schiff qui utilise le terme « telework ». En 1975 Jack Nilles, considéré comme le père du télétravail, lance ses premiers travaux sur ce qu’il appelle le « telecommuting ». (Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9travail). On en parle beaucoup notamment dans les administrations chargés de l’aménagement du territoire mais en réalité les effectifs des télétravailleurs restent faibles. Trente après la DARES du Ministère du Travail l’estime à 2 % des salariés et plus recemment, en 2017, une enquête de l’INSEE l’évalue à 3 % (Voir : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238573?sommaire=4238635). Cependant en regardant les chiffres de plus près on s’aperçoit que seulement 1 % des salariés travaillent à distance 3 jours et plus par semaine. Il est certain que la France ne brille par sa réactivité car en 2015 on estime que 17 % de la population active européenne pratiquait le télétravail à domicile et mobile. De multiple raisons expliquent cette situation notamment une forte résistance des responsables d’entreprise qui veulent avoir tout leur personnel sous leurs yeux.
Cependant le travail à domicile n’est pas une idée nouvelle. Avant la révolution industrielle il existait le « Putting-Out System » curieusement traduit en français par le « Domestic System ». Il s’est surtout développé en Grande Bretagne mais aussi dans le Nord de la France, les Alpes, la Suisse, …. Il concernait les tisserands (filage et tissage) mais aussi la fabrication des chaussures, les serruriers, l’horlogerie, … Avant l’invention de l’usine à la fin du 18ème siècle des négociants amenaient de la matière première aux paysans qui, pendant la morte saison, travaillaient pour leur compte. Quelques mois après ils repassaient et ramassaient les produits ainsi fabriqués. Ce type d’organisation du travail existe encore en Chine, en Inde et en Amérique du Sud.
Or, avec le Coronavirus, on assiste au retour du « Domestic System ». En quelques jours, une grande partie de la France a basculé dans le télétravail. Les estimations sont encore incertaines. Entre 29 % à 40 % des salariés soit entre 5 et 9 millions de personnes sont passés au télétravail. Cela va nettement au-delà des cadres qui représentent 17 % des effectifs. Cela concerne aussi les emplois intermédiaires et des employés. Ils ont utilisé le PC portable mis à leur disposition de leur entreprise, leur ordinateur de bureau déménagé en urgence ou tout simplement l’ordinateur familial. Ils sont connectés grâce à la connexion Wifi-ADSL de leur domicile. Et, miracle, cela a marché. Il est certain qu’on ne reviendra pas aux 1 % télétravail d’avant. Pendant ces 2 mois on a pu effectuer trois constations importantes :
-       On n’a pas constaté de dégradation de la qualité du travail. Globalement les opérations qui devaient être effectuées l’ont été dans les délais. Bien sûr il y a eu des ratés mais elles sont minimes.
-       De même il n’y a pas eu de baisse significative de la productivité. C’était la grande crainte des entreprises. Il est vrai que, du fait du confinement, la pression exercée par le volume de travail était plus faible.
-       Pour les salariés il y a eu un gain de 1 h à 2 h par jour passé dans les transports, surtout dans les grandes villes. Cela accroît la disponibilité des personnes et surtout diminue leur niveau de stress.
Face à ces avantages, les contraintes sont limitées. Il a fallu augmenter les bandes passantes, mettre en place des VPN (pour ceux qui n’en avait pas) et mettre à disposition des matériels pour ceux qui possédaient des PC très anciens, éventuellement mettre un deuxième écran ou une imprimante et souvent un téléphone portable payé par l’entreprise. Dans ces conditions il a été décidé par la plupart des entreprises de rester en télétravail pendant encore quelques mois. Parallèlement on s’est aperçu qu’il était souhaitable de repenser la manière de travailler :
-       Revoir les procédures de l’entreprise. Ceci ne concerne pas seulement les opérations du back-office mais aussi celles du front-office notamment le commercial. Il faut éviter les nombreux intervenants successivement pour traiter une même opération et développer la polyvalence des différends intervenants.
-       Apprendre à travailler de manière efficace en vidéo conférence. Pour beaucoup de personnes cela a été une découverte. Ils utilisent Skype pour les échanges familiaux mais ils n’avaient pas imaginé cela pouvait être un outil de travail. Dans beaucoup d’entreprises les cadres passent une grande partie de leur temps en déplacement et en réunion. Il faut maintenant apprendre maîtriser cette technologie afin de réduire la durée de ces réunions, avoir moins de conflits et prendre plus vite les décisions.
-       Pilotage des flux d’opérations et contrôle de qualité. A partir du moment où toutes les opérations sont dématérialisées il est nécessaire de suivre de manière précise que toutes les opérations se font dans les délais, sans oublis et sans négligences. Il existe pour suivre les opérations d’excellents logiciels de Workflow.   
-       Réduction du nombre de mètres carrés de bureau nécessaires. Un poste travail demande environ 10 mètres carrés or un télétravailleur n’a besoin que d’une table pour poser ses affaires quand il passe de temps en temps au bureau. Par contre il est nécessaire de s’assurer qu’il a une place suffisante dans son appartement et qu’il peut s’isoler pour travailler sans cela il faut trouver un espace de coworking proche de son domicile.
Cependant une organisation basée sur le télétravail généralisé pose différents problèmes notamment :
-       La mise au travail des personnes embauchées. En moyenne un salarié reste 5 ans dans la même entreprise. Cela veut dire que chaque année il y a de l’ordre de 20 % des effectifs à mettre au travail, à assister et à encadrer. Or ce n’est pas facile de le faire à distance.
-       Les embauches de jeunes gens sortant d’école ou de l’université. Il est nécessaire de les former et de les superviser. Pour cela il faut les encadrés et d’envisager pendant un certain temps une présence physique des juniors et des personnes chargées de les suivre.
Quoi qu’il en soit le télétravail est entrée dans les entreprises et il est fort probable qu’il n’en ressortira pas de sitôt.

L’éducation à distance déstabilise la forteresse de l’EN

L’éducation nationale est un organisme particulièrement résistant au changement. Cela fait des décennies que les ministres successifs annoncent des réformes mais les changements sont lents, voire très lents. Les enseignants sont un des facteurs essentiels de ces blocage. On dit avec humour que les profs sont des radis : rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur.
Cette attitude est due à la conception de l’enseignement. En effet, un des points clé de la pédagogie et de l’organisation de la formation est le présentiel. Les enfants doivent être dans la classe et l’enseignant et les instruit du haut de son estrade.
Or, en seulement 4 jours tout a basculé aussi bien dans le primaire, le secondaire que dans le supérieur. Il a été décidé de fermer tous les établissements scolaires et universitaires le jeudi 12 mars avec effet le lundi 16 mars. Dans ces conditions il a été nécessaire de passer en urgence à l’enseignement à distance d’inventer une nouvelle organisation et une nouvelle pédagogie.
Or l’enseignement à distance n’a jamais eu bonne presse en France. Le CNED, Centre National d’Enseignement à Distance, a été créée il y a 80 ans pour permettre à des enfants éloignés de l’école à cause de la guerre, de la maladie ou bien résidant à l’étranger. Il y a actuellement 55.000 enfants suivants au CNED les cours du primaire et du collège.
Avec le confinement il a fallu se débrouiller avec les moyens du bord et inventer de nouvelles méthodes. On a commencé par recourir au mail entre les élèves et le professeur. Les plus innovateur ont eu recours aux espaces numériques de travail ([1]) mais très vite on a eu recours massivement à la vidéo-conférence.
Globalement l’école à la maison a bien marché. On estime qu’il n’y a eu que 4 % de « décrocheurs ». Cela fait quand même 500.000 d’enfants. C’est un vrai problème qu’il va falloir traiter. Mais le point important est que 12 millions d’enfants ont basculé avec succès dans cette nouvelle forme d’enseignement.
Au vu de deux mois de pratique il est possible d’effectuer constatations importantes :
-       Le présentiel n’est pas indispensable pour former. Un des grands dogmes de l’enseignement est tombé. Certain annoncent la fin du présentiel mais c’est peut-être aller un peu vite en besogne. Il faut que les enfants et les enseignants se voient régulièrement mais le principe du cours magistral a « du plomb dans l’aile ».
-       Moins de cours et d’exercices formels, plus de travail personnel. C’est un renversement de l’approche traditionnelle. Le travail personnel ce n’est pas la résolution d’un problème ou la rédaction d’une réduction mais une réflexion personnelle avec des recherches, l’organisation des faits et un travail d’élaboration et de rédaction. Ce n’est pas une nouvelle approche. Ce sont les méthodes actives.
C’est la fin du modèle classique d’enseignement napoléonien. En fait c’est bien plus ancien que Napoléon. Ce modèle a été inventé au 17ème siècle par les Jésuites. Il est basé sur le cours magistral et la concurrence entre les enfants. Ce modèle étonne tous les étrangers qui, séjournant en France, doivent mettre leurs enfants dans les écoles françaises. Aujourd’hui ce modèle est fortement plombé.
Il va être remplacé par des démarches dérivées des méthodes actives. Elles existent depuis longtemps : Jean-Jacques Rousseau, Johann Heinrich Pestalozzi, Célestin Freinet ([2]), Maria Montessori, … Mais en France elles ont toujours senti le souffre et l’Education Nationale s’en est toujours méfiée. L’enseignement à distance incite à faire travailler les enfants. Ils peuvent le faire seul ou en groupe sur des sujets variés choisis à leur initiative. Ils vont pour cela :
-       Analyser le sujet et savoir rechercher des informations sur Internet, par exemple grâce à Wikipédia.
-       Accéder aux ouvrages originaux, aux images et aux statistiques disponibles sur Internet, de les lire et de les comprendre.
-       Organiser le travail en commun grâce à la vidéo-conférence, d’abord des enfants entre eux puis ensuite avec l’enseignant.
-       Rédiger un document grâce à un programme de traitement de texte
Comme on le voit la mise en œuvre de cette nouvelle approche pédagogique repose en grande partie sur la technologie. Il faut que les enseignants apprennent à maîtriser ces différents outils. Mais surtout ils doivent faire évoluer leurs démarches pédagogiques. Dans ces conditions le principal problème est le risque de la réaction bloquante que pourrait avoir le corps enseignant. Ils peuvent rejeter ce qu’ils ont fait pendant 3 mois de Mars à Mai et mettre entre parenthèses cette période. Mais est-ce que les enfants et les adolescents les laisserons faire ?

Les distractions et la culture vont rapidement évoluer

Le confinement a empêché toutes les réunions de plus de 2 personnes or une grande partie des distractions et de la culture se font en groupe comme le théâtre, l’opéra, le cinéma, les concerts, les festivals, les variétés, les musées, … De manière générale, depuis les Grecs, la culture est collective. Il y a l’exception de la lecture d’un livre ou d’un journal. De plus, depuis quelques années, il y a le développement de la VOD (Video On Demand) qui se pratique très souvent seul ou en petit groupe. Mais ce sont des exceptions. On ne change pas si facilement 2.500 ans de pratiques sociales.
Le confinement et l’interdiction des réunions sous quelque forme que ce soit font qu’il y a eu une forte incitation à développer l’usage de la VOD. Ce n’est pas une nouvelle technologie. Elle est apparue dans les années 90 grâce au développement des algorithmes de compression tel que MPEG et l’augmentation de la bande passante disponible dans les réseaux Internet. La crise du Covid-19 a donné un coup d’accélérateur à la VOD. En particulier il y a eu une véritable ruée en faveur de Netflix. C’est un véritable engouement en faveur des séries américaines. On retrouve cela chez ses concurrents : Amazon Prime Video, Hulu, Disney +, StarzPlay, Apple TV +, HBO, … On notera que tous ces fournisseurs sont américains. Il existe quelques plateformes européennes et en particulier françaises comme Canal + Series, OCS (Orange) et Molotov mais ils sont très loin des américains ([3]).
Le moment de l’engouement passé on ne va pas passer sa vie à regarder des feuilletons américains et de nouvelles démarches culturelles vont se développer :
-       Les orchestres confinés. Des dizaines de musiciens jouent chacun dans son appartement. Le chef d’orchestre bat la mesure et chaque musicien joue sa partition. Sur un écran du PC l’orchestre apparaît au complet chaque musicien se trouvant dans une petite fenêtre. L’orchestre National de France joue ainsi le Boléro de Ravel : https://www.youtube.com/watch?v=Sj4pE_bgRQI ou la valse n° 2 de Chostakovitch : https://www.youtube.com/watch?v=8c9QzDfFjxY.
-       Le musée virtuel. Face à la fermeture des musées différentes sortes de visites en VOD ont été organisées. Ainsi l’exposition sur Pompéi au Grand Palais qui devait ouvrir le 25 mars n’a pas pu avoir lieu. Face à cet obstacle la RMN (Réunion des Musées Nationaux) a organisé en urgence une visite virtuelle de l’exposition : https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/pompei. Même le Louvre s’est lancé dans le musée virtuel : https://www.louvre.fr/visites-en-ligne. A quand la visite de la galerie des Italiens sans devoir supporter la bousculade de la foule des touristes ? Il est aussi possible d’effectuer une visite d’un musée comme le montre l’époustouflante visite du musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg qui dure 5 heures 19 minutes enregistrée d’une seule traite avec un simple iPhone 11 Pro : https://www.youtube.com/watch?v=49YeFsx1rIw&t=26s ([4]).
-       Les podcasts. Leur emploi se développe très vite. Là aussi ce n’est pas une nouvelle technologie. Presque toutes les radios et toutes les chaines de télévisions offrent depuis quelques années la possibilité de voir ou de revoir pendant quelques jours les émissions. C’est la télévision de rattrapage. Mais depuis quelques temps on assiste à la multiplication des podcasts réalisés par des personnes avec leur smartphone, leur appareil photo, leur PC et qui sont ensuite postés sur YouTube, Spotify, SoundCloud, iTunes, … ou sur des sites spécifique comme l’excellente émission de Philippe Meyer : Le Nouvel Esprit Public : https://www.lenouvelespritpublic.fr/podcasts. Mais il aussi possible d’enregistrer du jazz dans son jardin comme le merveilleux groupe Tuba Skinny de la Nouvelle Orléans qui ont été chassé par le Covid des trottoirs de Royal Street et des boîtes de Saint Louis Street ou de Frenchman Street : https://www.youtube.com/watch?v=JYa7LJ7nMqA&t=1248s. Deux heures de bonheur.

Ces trois exemples montrent que les possibilités de développement culturel de nouvelles formes de culture adaptées à ce nouveau contexte sont nombreuses. Aujourd’hui on attend encore les créatifs qui auront les talents nécessaires pour inventer de nouvelles formes de culture. Mais, tôt ou tard ils émergeront.


Comme on le voit le monde d’après sera celui de la transformation des entreprises, de l’éducation et de la culture par le numérique. Le Covid-19 et le confinement ont donné un formidable coup d’accélérateur à ces changements qui étaient plus ou moins en gestation et ont bousculé tous les conservatismes. Les esprits routiniers vont bien sur essayer de freiner ces changements mais je doute qu’ils réussiront à revenir à la situation d’avant.






[1] - Cet ensemble de logiciels permet de gérer une relation pédagogique. Ils offrent un espace de travail, un bureau et de cartables virtuels et des outils collaboratifs. Il existe un certain nombre d’espace numérique de travail destiné au Primaire (Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_num%C3%A9rique_de_travail) comme :
-       oZe7 - édité par ITOP éducation,
-       NetEcole8 - édité par ITOP éducation,
-       K-d'école - édité par Kosmos, société française,
-       Arthur&Lila, nouvel ENT primaire développé en collaboration avec des professeurs des écoles,
-       ONE, l'ENT destiné à l'école primaire édité par Open Digital Education, pouvant être utilisé à l'échelle d'une classe comme d'une académie,
-       ENT AbulÉdu complément intégré à la plate-forme AbulÉdu, développé par la société du même nom,
-       ICONITO Ecole Numérique, ENT open source spécifique primaire distribué par CAP-TIC,
-       itslearning primaire pour les cycles 2 et 3. ENT avec une interface évolutive en fonction du développement de l'élève,
-       Beneylu School pour le premier degré, avec une interface simple.
Il existe aussi des espaces numériques de travail destinés au Secondaire et au Supérieur.
[2] - « Les acquisitions ne se font pas comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue devant les bœufs. » Célestin Freinet
[3] - Netflix a 157 millions de clients alors qu’OCS (Orange) en a seulement 3 millions. Contrairement à ce qui est souvent répété Netflix ne consomme pas une grande partie de la bande passante mondiale. On cite souvent le chiffre de 40 %. Il est inexact. La réalité est assez différente. Netflix représente12,6 % du débit total, ce qui est déjà pas mal. En France Netfix c’est 15 % et 19 % aux USA. Les suivants sont Google : 12,3 %, Facebook : 8,1 %, Microsoft : 5,4 %, Apple : 3,6 %, Amazon : 3,2 %.
[4] - On peut y voir, entre autres, un merveilleux Breughel et un extraordinaire Jérôme Bosch.