mardi 29 janvier 2013

Sœur Anne ne vois-tu rien venir ?


Cela fait près de quatre mois que l’ensemble des acteurs du secteur de l’informatique et des télécommunications attendent que des décisions publiques soient prises afin de relancer le développement secteur. Au mois d’octobre 2012, pensant qu’un plan serait rapidement annoncé j’avais proposé un certain nombre de recommandations (Voir sur ce blog le message du 4 octobre 2012 : « Pour un plan de développement del’économie numérique »). Mais depuis cette date il ne s’est pas passé beaucoup de choses :
·       une communication au conseil des ministres en octobre,
·       le rapport Gallois en novembre,
·       un décret réformant le Conseil National du Numérique en décembre et la nomination de ses trente nouveaux membres en janvier.
Quel rythme ! Quel suspens !

Le conseil des ministres du 10 octobre 2012

On se rappellera qu’un débat a eu lieu au moment de la campagne électorale de l’élection présidentielle sur le rôle et l’importance du secteur du numérique : (Voir sur ce blog les messages du 22 Avril 2012 : « Economie Numérique : 5 candidats à la présidentielle ont parlé », du 3 Février 2012 : « Le développement économique selon les éditeurs de logiciels », du 21 Février 2012 : « Les vœux-pieux et les douces illusions du SyntecNumérique » et du 15 Avril 2012 : «Economie numérique : les silences de la campagne»). Dans ces conditions on s’attendait à ce que le nouveau gouvernement mettre rapidement en place un plan audacieux et courageux qui permettrait d’oublier les décevants plans Besson 1 et Besson 2. A la place on a eu droit le 11 octobre 2012 à un bref communiqué de presse :     « Lesgrands axes stratégiques pour le numérique ». A lire absolument.
En 26 lignes et 4 titres tout est dit :
·       « Le très haut débit partout, l'accès au numérique à tous
·       Respect de la vie privée et protection des données
·       Moteur de croissance et de modernisation
·       Un grand quartier numérique à Paris »
Pour la bonne bouche le quartier numérique choisi serait la Goutte d’Or. J’imagine la tête des habitants de la rue Myra, de la rue Doudeauville ou de la rue d’Oran quand ils vont voir débarquer tous les jeunes technos des starts-up.
Arriver à ramener une stratégie complexe en quatre points est surement la preuve d’un remarquable sens de la synthèse. Pour apprécier la qualité de la réflexion, je n’hésite pas à vous proposer quelques citations du communique de presse :
« Les changements profonds dont le numérique est le moteur concernent aussi bien la vie quotidienne des Français, que la modernisation de l’Etat et la compétitivité et l’innovation des entreprises. Il est devenu indispensable, dans la vie quotidienne comme professionnelle. »
Le Gouvernement « veillera que les transformations résultant du développement du numérique soient pleinement conciliables avec les principes républicains et garantissent le respect de la vie privée et de la liberté d’expression, ainsi que la protection des personnes face à la multiplication des fichiers. »
« Le numérique comporte également des enjeux de souveraineté, qu’il s’agisse de la sécurité des réseaux, systèmes et données, de l’indépendance technologique ou de la capacité des autorités judiciaires et administratives à agir en cas de besoin. »
« Enfin, le Gouvernement entend développer l’attractivité internationale de la France dans le numérique. »
Quelles belles paroles ! On apprend à bien écrire à l’ENA. Il est difficile d’être contre. Avec ces lignes on voit qu’on est bien gouverné.
Mais, malheureusement on ne voit pas très bien comment tout cela sera mis en œuvre. Si on peut s’autoriser une remarque il aurait été bien de donner en même temps la feuille de route correspondante à ces quatre mesures. Mais pour cela il faudra attendre le mois de février (C’est bientôt). On meurt d’impatience d’autant plus que l’annonce sera faite par Jean-Marc Ayrault. Un Premier Ministre expliquant les choix faits en matière de réseau à très haut débit (ADSL, SDSL, FTTH ou LTE) et de sécurité des données, cela risque d’être instructif.

Le rapport Gallois

Mais très vite le curieux communiqué de Fleur Pellerin a été éclipsé par le rapport Gallois. Cela a été le grand événement politico-médiatique du mois de novembre. Il a suscité un important débat sur les moyens de rendre plus compétitif l’économie française. Plutôt que d’augmenter la TVA comme l’avait fait le précédent gouvernement il est décidé de réduire de 20 milliards d’euros les charges sociales sous forme d’un crédit d’impôt, financé pour partie par une majoration de la CGS et pour le reste par une hausse de la TVA.


Mais ce n’est qu’une partie du rapport. Il fait 67 pages. Il est très intéressant car il montre bien que le débat sur le coût de l’heure de travail n’est qu’une approche partielle des problèmes de compétitivité de l’industrie française. Son décrochage serait dû à la conjonction d’une série de fragilités antérieures : la faiblesse de la R&D, des programmes de formation mal articulés sur les besoins de l’industrie, l’insuffisance des financements, le manque de solidarité du tissu industriel, la médiocrité du dialogue social ;… Sur la base de cette analyse Louis Gallois propose 22 mesures dont certaines sont intéressantes et auraient dû être regardées de plus près mais elles ont été un peu éclipsées par le débat sur le crédit d’impôt diminuant les charges sociales.
Il est étonnant de constater que ce rapport dont l’objectif est de redynamiser l’économie française ne comprend pas un chapitre ni même un paragraphe sur l’informatique et les télécommunications. Dans tout le rapport on trouve seulement trois citations indirectes concernant notre secteur :
  • ·   Page 33 : des grands groupes devraient aider les autres entreprises de leur secteur en mettant « en place de plateformes informatiques communes (plateforme d’achat par exemple) ». Pourquoi pas !
  • ·  Page 42 : parmi les trois priorités techniques et technologiques il y a : « le développement et la diffusion des technologies génériques (numérique et microélectronique, photonique, nanotechnologies, biotechnologies, matériaux, systèmes…) ». Curieusement Louis Gallois ne s’intéresse qu’au « numérique et la microélectronique » en oubliant l’informatique et les télécommunications.
  • ·  Page 55 : « les révolutions technologiques – aujourd’hui celle du numérique et d’internet, demain celle liée à la transition énergétique – modifient très profondément la manière dont sont conçus et fabriqués les produits ». En quelques sortes c’est une mode comme une autre et il faut s’y faire !

C’est un peu court jeune homme ! On ne trouve rien sur le retard français en matière de télécommunication, les investissements à effectuer en informatique qui ont été différés, les systèmes que les entreprises devraient développer, les priorités à fixer,… Ce silence est très étonnant car Louis Gallois est le Commissaire Général à l’investissement. Il a la haute main sur le financement de l’ensemble des investissements à venir et les orientations à appliquer à moyen terme. Cet oubli est d’autant plus étonnant qu’il a été pendant des dizaines d’années patron de plusieurs grandes entreprises et qu’il a bien vu le rôle clé des investissements informatiques.
Mais on se rappellera qu’il a connu deux crises majeures dues à l’informatique. Il a été nommé président de la SNCF juste après le plantage du système de réservation Socrate. Il a eu la responsabilité de remettre en état de marche le système de billetterie et de réservation et de gérer les pertes importantes dues à cet investissement mal maîtrisé. Ensuite à la tête d’EADS il a vécu les trois ans de retard du programme d’Airbus A380 liées aux difficultés d’industrialisation de la première série d’avions fabriqués dues en grande partie à des problèmes d’incompatibilité des versions du logiciel de CAO : Catia. L'Allemagne et l'Espagne employaient la version 4 du logiciel et le Royaume-Uni et la France la version 5. Conséquence : il manquait un mètre aux câbles du réseau local liant les 400 sièges passagers et les gouvernes. Il a fallu décâbler chacun des 29 premiers avions fabriqués et refaire à la main les harnais de câbles. Un travail de Titans et des surcoûts conséquents.
Il est probable que ces expériences pas très satisfaisantes ont amenées Louis Gallois a ne pas se faire une idée très positive du rôle de l’informatique. Ceci explique qu’il a oublié un secteur qui emploie 1,5 millions de personnes et qui représente 25 % des investissements productifs. Les petites causes ont parfois de curieuses conséquences.

Le rapport oublié

Mais tout le monde n’a pas oublié l’informatique et les télécommunications. En octobre 2012 un groupe de réflexion Terra Nova a publié un rapport sur le développement dunumérique : il fait 124 pages et propose 123 mesures. Les auteurs seront Nelly Fesseau et Gabriel Lavenir. Terra Nova est « un think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des solutions politiques innovantes ». Ce rapport, sans être réellement innovant, est riche. Il est dans la continuité du 1er rapport Attali sur la croissance. D’ailleurs Jacques Attali a écrit la préface de ce nouveau rapport.


Ce rapport part du constat que le domaine du numérique souffre de nombreuses faiblesses. Elles sont, en grande partie, dues à l’absence de vision : « le personnel politique rencontre généralement des difficultés pour comprendre les enjeux du numérique et y apporter des réponses efficaces ». Mais ce qui est vrai pour les politiques l’est aussi pour d’autres décideurs : hauts fonctionnaires, banquiers, chefs d’entreprises,…
L’idée centrale du rapport est de développer les usages du numérique. On retrouve des mesures déjà évoquées comme la création d’une licence d’usage « hors marché » (variante de la licence globale), la suppression de l’action répressive de l’Hadopi, la mise en place d’un Small Business Act, le développement du cloud, l’importance des pôles de compétitivité, une réforme du crédit d’impôt recherche, le souhait de favoriser et d’accompagner les TPE et les PME, le développement du télétravail, le rôle de l’Open Data, la mise en place de la « crowed innovation », le renforcement du rôle de la CNIL, … Le rapport propose de très nombreuses mesures dont certaines ont déjà été évoquées. Mais, il faut bien le reconnaître, l’ensemble ne constitue pas une politique. Il serait pour cela nécessaire de fixer des priorités, préciser les budgets et les plannings.
Ce rapport est orienté sur le développement des usages. Ses objectifs visent à garantir l’accès de tous à Internet, de motiver les dirigeants d’entreprises, de former les fonctionnaires d’encadrement, de communiquer sur les aspects positifs du numérique, de développer les investissements dans les TIC, de favoriser la diffusion des savoir-faire, de créer une filière informatique dans l’enseignement supérieur,… La plupart de ces 123 mesures sont intéressantes. Mais est-ce qu’elles seront suffisantes pour améliorer la position dégradée de l’informatique et des télécommunications en France ? Il manque probablement à ce plan un volet du développement de l’offre notamment en matière de matériels, de logiciels de base, de progiciels, de services,… et tout particulièrement il aurait été nécessaire de prendre en compte le rôle des services informatiques des entreprises et celui des grandes SSII. En se polarisant sur Internet les auteurs ont oublié le reste de l’informatique et des télécommunications. Ils feront surement mieux la prochaine fois.

Le nouveau CNNum est arrivé

A cela s’ajoute les curieuses péripéties du CNNum. En 2011 Nicolas Sarkozy voulant montrer son intérêt pour les nouvelles technologies avait créer un Conseil National du Numérique qui était censé l’aider à prendre de bonnes décisions en matière de développement des start-up du secteur de l’Internet. Il comprenait quelques dirigeants d’entreprises du secteur comme Patrick Bertrand (directeur général de Cegid et président de l'Afdel), Frank Esser (PDG de SFR, président de la Fédération Française des Télécoms), Xavier Niel (fondateur de Free), Marc Simoncini (fondateur de Meetic.com), Bruno Vanryb (PDG d'Avanquest Software et président du collège des Éditeurs de logiciels du Syntec numérique), … (Voir sur Wikipedia lapage CNNum)
L’ensemble de ce brillant collège a démissionné en juillet 2011 à la suite de la nomination de Jean-Baptiste Soufron comme secrétaire général du CNNum qui était depuis quelques semaines membre du cabinet de Mme Fleur Pellerin. Etait-ce vraiment raisonnable ? Il a ensuite fallu six mois pour que les services de Mme Fleur Pellerin arrivent à constituer un nouveau collège de 30 membres. Cette liste est étonnante. L’ancien conseil était composé de « peoples » de l’Internet mais ceux du nouveau sont d’illustres inconnus. Je vous laisse le plaisir de lire la liste sur la page Wikipedia du CNNum. Si vous connaissez plus de deux ou trois noms vous êtes très fort et avez un bon carnet d’adresses.
Je me demande bien ce que pourra réaliser ce brillant collège. En tout cas il ne peut pas faire moins que la précédente équipe qui s’est illustrée par son inaction. Il est quand même étrange qu’on ne soit pas allé chercher les compétences là où elles existent. Dans notre secteur il existe un grand nombre de personnes compétentes comme des DSI, des experts, des consultants, des chefs d’entreprise, des enseignants, des chercheurs, … qui ont montré leur connaissance du domaine et la qualité de leurs idées.
Si les membres de ce curieux aéropage sont à la recherche d’idées on ne peut que leur conseiller d’aller lire le rapport de Terra Nova sur le numérique. Mais on peut craindre qu’ils aient quelques difficultés à définir et mettre en place un plan un peu audacieux. Le temps passant on a de plus en plus le sentiment que la volonté politique d’agir manque et qu’une fois de plus on prendra quelques mesures pour répondre à l’urgence comme le financement du haut débit, la limitation de l’aspect répressif de l’Hadopi ou le financement à fonds perdus des services Cloud nationaux. Mais tout cela ne fait pas une politique.