dimanche 22 juin 2014

Evaluez correctement les gains liés à vos projets informatiques


Il existe au sein de la communauté informatique un important débat à propos des gains liés aux projets informatiques. Beaucoup de personnes s’interrogent sur la nature de ces gains et sur leur importance. Certains vont même plus loin et se demandent s’il existe effectivement des gains. En effet la plupart des gains n’apparaissent pas à l’informatique mais dans les comptes des départements où travaillent les utilisateurs. Si ces derniers ne sont capables de les évaluer ou ne veulent pas les mesurer on peut alors s’interroger sur leur matérialité.
Cette attitude est assez étonnante car tout le monde convient qu’il est nécessaire de mesurer les gains. L’ensemble des auteurs, des enseignants et des consultants sont unanimes en ce qui concerne le principe mais dans la pratique on constate des attitudes contrastées. Certains font valoir la difficulté de l’opération, d’autres mettent en avant le fait que ce ne peut être qu’une estimation car généralement le système comptable en place ne permet pas de les mesurer. Pour une minorité il est vain de chercher à estimer les gains car ils ne seraient pas mesurables.
Ces différentes attitudes expliquent le fait qu’aujourd’hui un grand nombre de projets ne disposent pas d’une étude de rentabilité digne de ce nom ([1]). Il n’existe pas de statistique sur le pourcentage de projets lancés sans disposer d’un bilan économique mais il ne doit pas dépasser 10 % et il est même peut-être encore plus bas. Ceci peut être toléré pour des petits projets mais ne l’est pas dans le cas des grands projets. Cette absence est une prise de risques importante. Comment expliquer cette attitude ? Est-ce que les entreprises sont d’accord pour investir plusieurs millions d’euros par an sans avoir de garantie d’avoir un retour significatif ?

La plupart du temps les gains liés à l’informatique sont massifs et évidents

Rassurons-nous l’informatique n’est pas le tonneau des Danaïdes. La plupart des projets informatiques dégagent de la valeur et certains permettent de dégager d’excellentes rentabilités. Cela fait plus de 60 ans que les entreprises font de l’informatique. On estime l’ensemble des investissements (matériels informatique et de télécommunication, logiciels, progiciels, développements spécifiques,..) à un montant de l’ordre de 2.200 à 2.300 milliards de dollars par an. En France il serait chaque année de l’ordre de 50 milliards d’euros. Il est difficile d’imaginer que les entreprises dépenseraient des sommes aussi importantes s’il n’y avait pas des contreparties significatives. Mais, rassurons-nous, les gains existent et ils sont massifs.
Cependant, pour les connaître il faut être capable de les mesurer. Dans un grand nombre d’entreprises on attend que les informaticiens les évaluent. Mais ils sont les plus mal placés pour le faire car l’essentiel des gains se font loin de chez eux, dans les services utilisateurs. En effet, les gains réalisés au sein de la direction informatique sont généralement faibles : matériels moins chères, baisse des coûts de maintenance, … La quasi-totalité des gains se font dans des unités. Or elles n’ont pas mis en place des outils et des méthodes capables de les mesurer. Il est certain que tant que les gains ne sont pas régulièrement mesurés, il est délicat de les estimer de manière prévisionnelle.

Deux cas parmi des milliers d’autres

Deux exemples parmi de nombreux autres permettent d’apprécier la nature et l’importance des gains liés aux projets :
-      L’élaboration des devis. Dans une entreprise d’ingéniéring une application de calcul de devis est utilisée depuis de nombreuses années. Elle est lourde et peu efficace. La saisie est complexe et longue. Seul des techniciens expérimentés arrivent à s’en servir. Les traitements se font toutes les nuits et il faut souvent plusieurs allers retours pour obtenir un devis présentable. Cela prend plusieurs jours.
Il est décidé de reconcevoir cette application. Elle repose sur trois innovations : la saisie est simplifiée, les calculs se font en temps réels et elle permet de calculer la marge prévisionnelle attendue du devis. De plus l’entreprise souhaite réduire le délai de fourniture d’un devis d’une semaine à seulement 2 heures. La charge de travail par devis qui est d’une demi-journée sera ramenée à 1 h de travail. Mais le véritable gain va consister à augmenter le taux de réussite des devis.
Effectivement, après deux ans de fonctionnement de la nouvelle application, on constate que le taux de réussite des devis est passé de 15 % à 25 %. Cela s’est traduit par une augmentation du chiffre d’affaires de 15 % par an au lieu des traditionnels 4 à 6 %. On est passé à un temps moyen de saisie de chaque devis à 1 h 15. De plus la marge nette de l’entreprise est passée en deux ans de 2 % à 6 %. L’objectif est maintenant d’arriver à 10 %. Mais, bien entendu ce gain n’est pas uniquement lié au système de devis.
-      Le suivi des incidents. L’entreprise produit des moteurs de camions et d’engins de travaux publics. Elle gère un parc important. Pendant longtemps on suivait les incidents grâce à des fiches suiveuses gérées par les ateliers centraux, les concessionnaires et certains gros clients. Une fois ces fiches remplies elles étaient centralisées au siège puis saisies. C’était lourd et surtout la base ainsi constituée était incomplète.
Aujourd’hui les moteurs sont dotés de systèmes électroniques notamment pour gérer la carburation et pour faciliter les tests lors des visites d’entretien. Un contrôleur enregistre en permanence les incidents qui peuvent survenir et ils sont stockés en mémoire. Lors des visites périodiques le mécanicien récupère ces informations sur son ordinateur de tests, les complète par ses observations et la liste des interventions effectuées puis l’ensemble est immédiatement envoyé pour mettre à jour la base de données centrale. Ces informations sont analysées en temps réel et un message est envoyé au mécanicien pour attirer son attention sur d’éventuelles fragilités, des réglages à effectuer, des pièces à remplacer de manière préventive,…
A terme on envisage de connecter le contrôleur sur un modem 3 G pour envoyer en temps réel les incidents et les relevés d’activité. Le but de ce système est de pouvoir détecter les fragilités avant que la panne survienne. Ceci doit permettre d’éviter des arrêts d’exploitation forts coûteux aux clients.
Mais elle doit aussi permettre de diminuer le coût de la maintenance en développant la maintenance préventive et éventuellement d’espacer les visites d’entretien. Cela va se traduire par une baisse du coût d’entretien de 20 %. C’est bien pour le client mais pour l’entreprise ce n’est pas un gain mais c’est au contraire une baisse de son chiffre d’affaires.
Mais ce n’est qu’une partie des gains. L’enjeu le plus important concerne la réduction du coût d’indisponibilité des équipements chez les clients. On estime globalement ce gain sur l’ensemble de tous les clients à plusieurs centaines de millions d’euros.
Ces nouveaux services auraient pu être facturés par les concessionnaires aux clients. Cela aurait remonté la rentabilité du projet mais cela aurait freiné leur rapide généralisation. Il a été décidé de ne pas le faire payer. Seule la mise à niveau du contrôleur est facturée ([2]).
Pour le fournisseur de moteur les gains directs liés au projet sont faibles. Par contre il offre un avantage concurrentiel important ([3]), une gestion plus efficace des pièces détachées et une meilleure planification des interventions des mécaniciens chargés de l’entretien de ces moteurs.
Si on ne compte que les seules baisses des coûts de l’entreprise le gain est faible mais si on prend en compte l’ensemble des gains y compris ceux réalisés par les clients le retour sur investissement est très élevé.
Pour profiter de ces gains l'entreprise a dans un premier temps proposer à ses clients des contrats d'entretien forfaitaires coûtant environ 20 % du tarif antérieur à charge pour elle de diminuer ses coûts et gagner la différence. Mais dans un deuxième temps elle est allé plus loin est à proposer de louer ces moteurs aux clients comprenant l'entretien des matériels. Ceci concerne notamment la rechange des moteurs qui permettent de donner une deuxième vie au camion où à l'engin. Elle a pu bénéficier des gains de maintenance ainsi obtenus.  

Rassurons-nous la plupart des projets informatiques sont rentables. Mais parmi toutes les opérations envisageables certaines ne le sont pas et doivent être évitées. C’est le rôle indispensable des études de rentabilité des projets.

Le remplacement d’applications existantes

Quand on s’intéresse aux gains permis par les projets il est nécessaire de distinguer le renouvellement des applications existantes et la création de nouveaux systèmes d’information. La logique économique n’est pas la même. En effet quand on remplace une application existante par une nouvelle il n’y a pas forcément de nouveaux gains. De même remplacer un camion en bout de course par un autre tout neuf ne se traduit pas forcement par des gains. Il est seulement nécessaire de le remplacer et on le fait. Il est probable qu’à l’origine, lorsqu’on a mis en place pour la première fois cette application, des gains ont pu être dégagés et tant qu’elle est utilisée elle permet d’en dégager. Mais, la plupart du temps, il est probable que le remplacement de l’ancienne application par une nouvelle ne dégage pas des gains supplémentaires.
Dans ce cas il est difficile de justifier ces nouveaux investissements par de nouveaux gains. Pour cette raison il est nécessaire d’amortir les applications de façon à dégager le cash-flow nécessaire pour les renouveler en fin de vie. Ceci n’est pas propre à l’informatique. Il en est de même si des camions ou des machines-outils il faut prévoir leur renouvellement au bout d’un certain nombre d’années. Leur coût de revient doit normalement comprendre des amortissements permettant de financer leur renouvellement périodique. Il en est de même pour les applications informatiques qui doivent être périodiquement réécrites et le cas échéant, être remplacée par une nouvelle.
Dans le cas du logiciel il faut savoir que le montant des amortissements sont importants et peuvent représenter 20 % à 30 % du coût de revient réel des applications opérationnelles. Cela veut dire que « l’oubli » de ces amortissements permet de réduire de manière significative le coût de revient apparent des applications. Mais cette baisse est illusoire car à terme il sera nécessaire remplacer cette application. Ainsi le coût informatique d’une facturation est de 5 euros par facture. Mais en négligeant les amortissements on peut afficher un coût de 3,50 à 4 euros. C’est agréable à court terme mais à long terme ce n’est pas une solution tenable.

Productivité ou efficacité ?

L’expérience montre qu’il existe une grande variété de gains. Il est donc difficile de tous les recenser. Cependant l’analyse d’un certain nombre d’applications montre qu’il existe deux grandes familles de gains : la productivité et l’efficacité. Ce n’est pas la même chose. Ce sont deux logiques différentes :
·       La productivité consiste à effectuer le même travail avec moins de ressources. C’est par exemple la possibilité de saisir une commande client en 10 minutes au lieu de 15 minutes avec l’ancien système. Dès les débuts de l’informatique on a constaté des gains de productivité massifs. Ils ont justifié les investissements informatiques pendant de nombreuses années. Aujourd’hui ils jouent un rôle moins important.
·       L'efficacité consiste à obtenir un résultat supérieur en employant les mêmes ressources. Ces gains se traduisent pas une augmentation du chiffres d’affaires, de la valeur ajoutée créée par l’entreprise, par une amélioration de sa marge brute et finalement pas une augmentation de sa marge nette. Les systèmes d’information comme le commerce électronique, l’exploitation de grandes bases de données à des fins de marketing ou des systèmes de suivi des clients type CRM sont des applications permettant d’améliorer le chiffre d’affaires et la marge de l’entreprise.
Depuis une dizaine d’années les gains d’efficacité sont devenus le moteur essentiel du développement des applications informatiques. L’expérience montre que les gains d’efficacité ont un potentiel de développement considérable. Ce sera probablement le facteur clé de croissance de l’informatique dans les années à venir.

Si on ne mesure pas l’impact des projets il est difficile d’apprécier leur rentabilité

Comme on le voit les gains liés aux projets sont importants et leur mesure est généralement simple à effectuer. Il est dans ces conditions assez étrange de constater que de nombreux intervenants partie-prenantes affirment qu’il est très difficile de les mesurer. Cette attitude s’explique, en grande partie, par le fait que les informaticiens sont assez mal placés pour les évaluer. Certains gains se font à l’informatique comme, par exemple, la baisse du coût de maintenance des matériels ou des logiciels ou bien la réduction des dépenses d’exploitation. Mais ce n’est qu’une faible partie des gains. L’essentiel des gains se font chez les utilisateurs. Ceci fait que seuls les responsables des métiers sont capables de les évaluer.
Mais, souvent, ils éprouvent une certaine difficulté à effectuer ce type d’évaluation. Ceci est fréquemment lié à leur prudence. Ils hésitent à s’engager sur un résultat prévisionnel quantifié alors qu’ils ignorent encore comment fonctionnera la future application et quelle sera son impact sur l’organisation en place. Mais très souvent on constate qu’ils ne sont pas capables de le faire car ils n’ont pas les compétences nécessaires pour effectuer cette évaluation. De plus ils sont souvent trop impliqués et ne disposent pas de la distance suffisante pour effectuer ce travail. Il est pour cela souhaitable de recourir à des hommes ayant suffisamment de recul. C’est le rôle de la maîtrise d’ouvrage et des sponsors qui ont la responsabilité ultime de mesurer la rentabilité des projets.
Mais, la plupart du temps ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour effectuer ce type de chiffrage. Pour évaluer les coûts du projet ils font appel aux informaticiens mais ils ont ensuite la responsabilité délicate de mesurer l’impact du projet. Ce travail doit être assuré par l’encadrement des différentes fonctions assisté par le ou les contrôleurs de gestion de l’entreprise. Ils ont la responsabilité de faire participer l’ensemble des personnes concernées à cette évaluation et de valider ensuite les chiffres ainsi obtenus. C’est toute la difficulté de l’opération.

Que faire des projets qui dégagent une rentabilité insuffisante ?

Parmi toutes les idées de nouvelles applications certaines sont très rentables mais d’autres le sont moins et certaines risquent d’être de véritables puits sans fond. Il est fort probable qu’il existe des projets pour lesquels il n’y a aucun espoir de rentabilité et malgré tout il est impératif de faire. C’est notamment le cas des projets imposés par des changements de réglementation. Il est certain que l’administration à tendance à imposer des traitements et des développements parfois conséquents sans contrepartie. Le bon sens serait de lui facturer ces coûts ou de lui fournir les informations brutes à charge pour elle de les traiter. Mais ce n’est pas son approche et tant qu’une loi ne lui imposera pas une prise en charge de ces projets il y a peu de chance de dégager une quelconque rentabilité de ces projets.
Cependant il faut rester raisonnable : quel est le poids de ces projets dans le portefeuille global d’une entreprise ? Entre 5 et 10 %, parfois moins. Reste les 95 % applications qui sont des investissements. Ceux-ci doivent impérativement dégager une rentabilité. Les entreprises qui suivent la rentabilité de leurs projets ont fait deux constatations importantes :
·       Une grande disparité de la rentabilité des applications. A côté d’opérations très rentables on en trouve de nombreuses autres qui le sont moins. La même application peut être très rentable dans une entreprise et être particulièrement intéressante dans une autre.
·       La variabilité de la rentabilité dans le temps des applications. Certaines opérations sont à leur lancement très rentables mais au fil des années elles deviennent moins rentables. On constate aussi l’inverse.
C’est, par exemple, le cas des logiciels intégrés. Quand les premiers projets de mise en place d’ERP ont été lancés à la fin années 90 c’étaient des opérations lourdes qui s’étalaient dans le temps et dont les budgets dérivaient allégrement. Globalement c’était des opérations non-rentables ([4]). Mais dix ans plus tard on s’est aperçu qu’ils devenaient des investissements rentables. Il a fallu pour cela que les entreprises arrêtent de développer du code à l’intérieur du logiciel intégré pour que celui-ci simule ce que faisait l’ancienne application. Mais les gains conséquents ont commencé à apparaître à partir du moment où les entreprises ont restructurer leurs processus. Ils ont été permis grâce à la redéfinition des tâches et du contenu des postes de travail.

Rôle des informaticiens dans ce contexte

Dans ces conditions il est nécessaire de s’interroger sur le rôle et la responsabilité des informaticiens dans l’évolution de la rentabilité des projets. Aujourd’hui, dans une grande majorité d’entreprises les utilisateurs et les maîtrises d’ouvrage ont la responsabilité de définir leurs objectifs et leur contenu. Ceci fait que ce contexte le rôle des informaticiens change. Ils ont la responsabilité d’informer le management de manière claire et non-ambiguë sur tous les aspects du projet. Ensuite ils doivent définir sa conception fonctionnelle et évaluer le coût de la solution retenue.
Par contre, il faut être très clair sur ce point, ils n’ont pas la responsabilité de calculer les gains car ceux-ci apparaissent chez les utilisateurs et non à l’informatique. Il est possible qu’il y ait des gains informatiques, mais ils sont généralement d’un assez faible montant et, la plupart du temps, ils ne sont pas suffisants pour justifier le montant des investissements.
Comme la plus grande partie des gains apparaissent dans les comptes des unités il est donc assez logique que leurs responsables aient la responsabilité de chiffrer ces montants. Et dans ces conditions les informaticiens doivent les aider à les chiffrer et si aucune étude de rentabilité n’est faite de rappeler qu’elles sont absolument nécessaires. Mais en aucun cas ils ne peuvent pas se substituer à des maîtrises d’ouvrage ou des responsables des métiers négligents ou faiblement motivés. Chacun a ses responsabilités ! 





[1] - Il serait plus juste de dire que seuls quelques projets disposent d’une véritable étude de rentabilité.
[2] - Si le moteur est très ancien un système électronique de surveillance est proposé au client. Il ne mesure pas tout mais effectue certaines mesures et enregistre les incidents graves. De plus il facilite les tests et donc permet de réduire la durée d’immobilisation des engins.
[3] - Ceci dit ce gain est relatif car tôt ou tard les concurrents proposeront la même solution mais il est probable que cela prendra du temps. Un concurrent avait essayé il y a quelques années d’installer un système expert qui n’avait jamais bien marché et cela a mis en péril son activité.
[4] - Il est assez amusant de constater que ces projets ont été lancés à la demande des directeurs financiers et qu’ils ont connu des dérives aussi graves mais ils se sont accrochés à leur idée et effectivement ce sont aujourd’hui des applications honorablement rentables.