On s’interroge fréquemment
sur la rentabilité des investissements informatiques. C’est une étrange
question, comme si la plupart de ces opérations n’étaient pas rentables. Or,
non seulement ils le sont mais ils sont parmi tous les investissements
possibles à une entreprise sont parmi les plus intéressants. En général les pay-back
des investissements sont compris entre 4 et 6 ans (c’est-à-dire un taux de
rentabilité compris entre 16 et 25 %). Mais en informatique les retours sur
investissement sont compris entre 2 et 4 ans. Ceci explique l’appétence des
entreprises pour ces investissements.
Bien sûr il
existe des projets non-rentables, voire de véritables catastrophes. Mais ce
n’est pas la règle générale. Ils sont beaucoup moins fréquents que certains le
prétendent. Bien entendu il est nécessaire de faire le plutôt possible la
chasse à ces moutons noirs. C’est le rôle des études de rentabilité devant
figurer dans le dossier d’expression des besoins ([1]).
Malheureusement aujourd’hui moins de 10 % des dossiers d’investissement
comprennent une étude de rentabilité digne de ce nom du projet. En
Grande-Bretagne c’est l’inverse. 90 % des dossiers des projets comprennent une
analyse coût/rentabilité et un dossier de ce type sans étude de rentabilité à
toutes les chances d’être rejeté.
Aujourd’hui les
montants des investissements informatiques et leurs conséquences sur la
rentabilité des entreprises sont tels qu’il est nécessaire de sortir rapidement
de ce flou artistique.
Une vérité trop souvent oubliée
Pour comprendre
la mutation en cours il est nécessaire d’avoir en tête deux chiffres clés. Le
premier est la masse des dépenses informatiques dans le monde et le second est
le poids des investissements informatiques dans le total des investissements
effectués dans les économies modernes.
On estime que le
total des dépenses mondiales faites dans le domaine de l’informatique et des
télécommunications est de l’ordre 4.500 milliards de dollars par an. C’est un
des secteurs d’activité les plus importants, supérieur à celui de l’automobile,
de la pharmacie ou de l’aviation. Une partie de ces dépenses correspondent à des
achats de matériels, de logiciels et de services, une seconde partie est
constituée par les réseaux (téléphone, Internet, LAN,…) et la troisième partie est
constituée par les dépenses des entreprises et des administrations pour mettre
en œuvre ces matériels, ces logiciels et effectuer les développements
nécessaires.
Pour apprécier
l’importance de ce montant on peut le rapporter à l’ensemble des PIB créés dans
le monde. Selon la Banque Mondiale elle s’élève en 2012 à 72.800 milliards de
dollars. Les dépenses des TIC seraient égal à 6,2 % de ce total. Un autre
chiffrage effectué par l’OCDE concernant les pays développés ([2])
évalue le secteur à 8 % de la valeur ajoutée qu’ils créent. Et, malgré la
succession des crises depuis cinq ans, ce chiffre ne cesse de croître.
Or, si on analyse
ce montant on constate qu’une partie significative de ces dépenses sont des
investissements : achats de matériels (PC, serveur, mainframe, équipements
de télécommunication) et de logiciels (un grand nombre d’entre eux sont fournis
avec les matériels et se trouve incluse dans leur prix comme le système d’exploitation
mais la plus grande part des logiciels sont achetés séparément). A ces montants
d’investissements s’ajoutent les développements spécifiques. Ils sont faits par
l’entreprise ou bien confiés à une société de service. L’ensemble de ces investissements
représente environ la moitié du total des dépenses informatiques. Leur nature
ne fait aucun doutes : elles sont effectuées une année donnée et vont
ensuite servir pendant de nombreuses années, par opposition à des dépenses de
fonctionnement qui sont des charges de l’exercice (bâtiments, matériels
roulants, machines et équipements divers,…).
Ces
investissements sont massifs et représentent selon le pays et le secteur
d’activité des entreprises entre 20 et 30 % du total des investissements qu’elles
réalisent.
Poids des
investissements en informatique et en télécommunication par rapport au total
des investissements par pays
L’observation du
graphique ci-dessus permet de distinguer quatre groupes de pays :
·
Les USA sont hors concours avec 32 % de leurs
investissements effectués dans le domaine de l’informatique et des
communications. Ils sont nettement en avance sur les autres pays et ce
pourcentage continu de croître.
·
Les paquets des pays qui misent sur l’avenir :
la Suède, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande et la Belgique.
Ces pays consacrent entre 20 et 25 % de leurs investissements aux TIC.
·
Les pays qui ont plus de difficultés et qui ont
du mal à sauter le pas comme la France, la Hollande, la Suisse, le Canada, et
la Finlande. Leurs investissements informatiques sont compris entre 15% et 20 %
du total.
·
Les économies à problèmes comme l’Australie, l’Espagne,
le Japon, le Portugal, l’Allemagne, l’Autriche, la Corée et l’Italie qui sont entre
10 % et 15 %. Ce groupe est assez hétérogène. On peut se demander si les
pourcentages de l’Australie, du Japon, de l’Allemagne et de la Corée ne sont pas
sous-évalués.
Dans certains
secteurs effectuant des investissements très lourds comme l’industrie lourde,
la chimie,… le ratio est faible mais il est très élevé dans les banques, les
compagnies d’assurances, les entreprises de services, l’e-commerce, … Dans ces
secteurs certaines entreprises sont déjà à 50 % et au-delà. A terme il est
probable que les investissements dans les TIC représenteront un montant égal à la
moitié du total des investissements.
L’analyse de la
composition de ces investissements est intéressante. Elle montre que le
matériel et le logiciel sont à part-égales avec un petit avantage pour le
logiciel avec 53,6 % contre 46,4 % pour le hardware. La tendance à moyen
terme est une augmentation régulière du poids du software. De même le matériel
informatique l’emporte sur celui des télécoms : 27,4 % contre 19 %. Il est
probable que le poids relatif des équipements de communication va continuer de
baisser car une part croissante est constitué par de l’informatique. On se
rappellera que le prix des matériels comprend de nombreux logiciels et
notamment les systèmes d’exploitation. Si on raisonnait que sur le prix du
matériel nu la baisse serait probablement encore plus rapide.
Software
|
Equipements de Communication
|
Matériel informatique
|
Total
|
|
Etats-Unis
|
18,7
%
|
6,1
%
|
7,4
%
|
32,1
%
|
Suède
|
17,9
%
|
1,4
%
|
5,5
%
|
24,7
%
|
Danemark
|
13,5
%
|
0,9
%
|
10,1
%
|
24,6
%
|
Royaume-Unis
|
12,9
%
|
3,5
%
|
7,4
%
|
23,8
%
|
Nouvelle
Zélande
|
9,9
%
|
5,7
%
|
5,7
%
|
21,2
%
|
Belgique
|
5,5
%
|
4,2
%
|
10,4
%
|
20,1
%
|
France
|
15,6
%
|
2,1
%
|
2,0
%
|
19,7
%
|
Hollande
|
10,1
%
|
3,6
%
|
5,9
%
|
19,5
%
|
Suisse
|
10,5
%
|
5,0
%
|
3,0
%
|
18,5
%
|
Canada
|
9,0
%
|
2,8
%
|
5,2
%
|
17,0
%
|
Finlande
|
11,0
%
|
2,2
%
|
2,3
%
|
15,5
%
|
Australie
|
5,6
%
|
2,7%
|
5,5
%
|
13,8
%
|
Espagne
|
6,9
%
|
4,7
%
|
2,2
%
|
13,8
%
|
Japon
|
8,0
%
|
1,7
%
|
3,8
%
|
13,5
%
|
Portugal
|
1,2
%
|
7,0
%
|
4,5
%
|
12,7
%
|
Irlande
|
6,8
%
|
2,7
%
|
2,9
%
|
12,4
%
|
Allemagne
|
6,9
%
|
2,2
%
|
3,2
%
|
12,4
%
|
Autriche
|
5,5
%
|
2,3
%
|
4,6
%
|
12,3
%
|
Corée
|
6,9
%
|
2,7
%
|
1,5
%
|
11,1
%
|
Italie
|
5,1
%
|
3,2
%
|
2,6
%
|
10,9
%
|
Parts respectives
du logiciel, des matériels de télécommunication et des matériels informatiques
par rapport au total des investissements informatiques et télécommunication
Comme on le voit,
les investissements informatiques sont massifs et représentent une part
croissante des investissements des entreprises. Depuis 50 ans leur poids ne
cesse de croître. De plus, avec le temps qui passe, le montant du soft
l’emporte sur le hard. Ce sont des tendances lourdes qui montrent l’appétence
des entreprises pour ce type d’investissement. Est-ce vraiment
raisonnable ? On ne peut pas sérieusement penser que tous les dirigeants
de toutes les entreprises du monde sont subitement tous tombés sur la tête. Il
est fort probable que si ces 2.200-2.300 milliards de dollars d’investissements
n’étaient pas rentables quelqu’un s’en serait quand même aperçu. Ceci montre
que globalement les investissements informatique sont rentables et sont nettement
supérieurs aux autres investissements. C’est la bonne nouvelle.
Par contre il existe des projets avec « des
plus et des moins »
La mauvaise nouvelle
consiste à observer que, parmi tous ces investissements, certains ne sont pas
aussi rentables que l’espéraient leurs promoteurs. A côté d’excellents projets
il en existe d’autres qui sont peu rentables et certains même sont franchement catastrophiques.
Parmi les projets les plus profitables on se trouve les applications du
commerce électronique tel qu’Amazon ou les services en ligne, comme les moteurs
de recherches type Google. En France on peut citer Cdiscount et Ventes-Privées.
Il est vrai qu’il existe dans ces secteurs des entreprises qui perdent de
l’argent mais globalement les entreprises bien managées rapportent de l’argent.
Le classement des
entreprises européennes du secteur montre que contrairement à une affirmation souvent
répétée ceux qui réussissent le mieux ne sont pas les « start-up pure
player » mais des sites appartenant à des entreprises traditionnelles qui
ont su prendre le virage du commerce électronique. Ce sont « des
mortars » comme : Otto Group (dont font partie Les 3 Suisses),
Staples (en France JPG), Home Retail Group (qui fait partie du groupe Habitat),
Tesco Stores (1er distributeur anglais), Cdiscount (émanation du
Groupe Casino. On notera que c’est la 1er entreprise française de la
liste), … . Ceci montre que la distribution est un vrai métier et on ne
s’improvise pas commerçant.
Rang Europe
|
Société
|
Pays
|
CA Web 2012 (millions €)
|
CA Web 2011 (millions €)
|
Croissance
2012
|
1
|
Amazon.com
|
USA
|
12 293
|
10 297
|
19,38%
|
2
|
Otto Group
|
All
|
5 610
|
5 220
|
7,47%
|
3
|
Staples
|
USA
|
3 167
|
3 248
|
-2,49%
|
4
|
Home Retail Group
|
UK
|
3 020
|
2 561
|
17,95%
|
5
|
Tesco Stores
|
UK
|
2 918
|
2 780
|
4,98%
|
6
|
Apple
|
USA
|
1 693
|
1 355
|
24,98%
|
7
|
Cdiscount.com Casino
|
Fra
|
1 557
|
1 343
|
15,95%
|
8
|
Tengelmann
|
All
|
1 520
|
507
|
200,00%
|
9
|
Shop Direct Group
|
UK
|
1 474
|
1 398
|
5,46%
|
10
|
Sainsburys
|
UK
|
1 352
|
1 122
|
20,45%
|
11
|
Vente-Privee.com
|
Fra
|
1 307
|
1 075
|
21,54%
|
Source : Internet Retailer / Top 500 Guide
Mais le commerce
électronique n’est pas la seule source de profits liés à l’informatique. Dans
le domaine de l’informatique de gestion on constate des gains importants obtenus
grâce à des progrès de productivité dégagés grâce à des applications efficaces comme,
par exemple, la gestion des commandes ou le suivi de la logistique (SCM :
Supply Chain Management). Ces applications permettent de dégager des gains de
productivité importants. Il est par contre fort probable que des applications
comme la comptabilité ou à la paie se traduisent par des gains massifs. Elles
sont très répandues car elles ont jadis permis de réaliser des gains de
productivité importants mais, aujourd’hui, on ne fait que les renouveler.
En dehors de la
gestion il existe deux autres applications ayant une forte rentabilité comme la
messagerie ou la CAO. La première a permis d’augmenter de manière considérable
la réactivité de l’entreprise tout en diminuant les coûts de communication. La
seconde a révolutionné la manière de concevoir les produits et permis de réduire
leur durée du cycle de conception-développement.
Par contre il
existe à côté des projets rentables des opérations nettement moins intéressants.
Ils se caractérisent de la manière suivante :
·
Leurs réalisations connaissent des dérives budgétaires
ou des allongements des délais. Ces contre-performances sont souvent dues à des
faiblesses de conception ou une dérive du périmètre fonctionnel où les deux.
·
Ces projets ont des gains faibles, voir négatif.
Changer de version de logiciel ou remplacer une base de données par une autre
ont des coûts connus mais les gains correspondants sont difficiles à évaluer.
En fait, ils sont faibles et parfois on constate même des pertes.
Il n’existe pas
de profil type des projets à problèmes, voir calamiteux. Dans le même secteur,
la même application peut être dans une entreprise très rentable et dans un
autre cas être franchement catastrophique. L’importance des gains dégagés est
en grande partie liée à l’évolution de l’organisation et à la qualification du
personnel en place.
Il est important d’éliminer les lanternes
rouges et les moutons à cinq pattes
Quand on considère
un ensemble de projets on constate qu’à côté de nombreuses opérations rentables
il existe quelques cas délicats qui empoisonnent la vie des entreprises et qui
pénalisent leur rentabilité. Ce sont notamment deux types de projets :
·
Les projets lanternes rouges. Ce sont des
opérations que l’on soit non-rentable et qui, malgré cela, sont lancées. Très
souvent, dès le lancement, on sait qu’ils ne seront jamais rentables car ils ne
permettent pas de dégager des gains de productivité ou d’efficacité. Malgré
cela on décide de les lancer. Certaines sont imposées par la législation mais
la plupart du temps les entreprises les mettent en œuvre car elles ne voient
pas comment procéder autrement. Il existe de la même manière des applications
lanternes rouges qui, quoi qu’on fasse, perdent de l’argent à chaque fois qu’on
les utilise : le traitement est lent, la maintenance élevée, la productivité
du personnel est faible et, parfois, elle tend même à se dégrader,… Pour éviter
ces applications il est nécessaire de les auditer périodiquement. Cela permet de
détecter et d’arrêter ces projets en amont. Dans ce cas on renforce la
procédure d’investissement et en effectuant systématiquement des évaluations
des projets post-implémentation. Pour cette raison il est souhaitable d’exiger que
chaque dossier d’investissement comprenne systématiquement une étude de
rentabilité sérieuse.
·
Les moutons à cinq pattes. Ce sont des projets
ingérables. Ils peuvent être rentables mais on aura beaucoup de mal à les
mettre en place car ces développements sont complexes et ses réalisateurs ont du
mal à mener cette opération jusqu’à son terme. Cette complexité est souvent due
à l’absence d’un véritable maître d’ouvrage. Dans ces conditions personne ne se
sent vraiment responsable du projet. Les différentes parties prenantes ont des
approches différentes. Par exemple, dans le cadres d’un projet de CRM, on
constate les points de vue très différentes des administratifs, des comptables
et des commerciaux. On sait très vite que le projet est mal parti car on
constate l’impossibilité de trouver un « bon » chef de projet, la maîtrise
d’ouvrage est évanescente, l’absence de compétences en interne,…
Il existe aussi des
projets irréalisables car ce qui est demandé est techniquement impossible à
réaliser ou bien si on arrive au bout de sa réalisation l’application s’exécutera
dans des conditions particulièrement peu performantes. Il est vrai que la
puissance des matériels et les performances des logiciels systèmes sont telles
que ces situations sont aujourd’hui assez rares. Malgré cela on n’arrive pas à
faire fonctionner correctement ces applications. Dans ce cas il est évident
qu’il est préférable d’arrêter de les utiliser.
Le rôle clé de la procédure de gestion des
investissements
Dans ces
conditions il est nécessaire d’être sélectif et d’éliminer tous les projets
fragiles ou faibles. C’est le rôle de la procédure de gestion des
investissements. Sa finalité est de détecter les projets à rentabilité
incertaine. Il ne sert à rien d’investir des sommes conséquentes si le retour
sur investissement est incertain ou négatif. Si, dans une entreprise, on
constate qu’il y a trop de projets posant ce type de problème, la solution est
connue. Il faut renforcer la procédure.
Cette détection se
fait en amont du projet. Il est important de s’assurer que l’étude d’expression
des besoins comprend une étude de rentabilité et qu’elle est basée sur
évaluation raisonnable des gains. De même il faut s’assurer que l’évaluation du
budget se fait en coût complet. Il est certain qu’en sous-évaluant les coûts du
projet et en surestimant les gains on peut arriver faire passer des projets
calamiteux pour des opportunités exceptionnelles.
Pour cette raison
il est recommandé d’effectuer systématiquement une évaluation à la fin du
projet pour détecter les fragilités de la procédure. Les causes de dérive sont
connues : périmètre fonctionnel incertain, sous-estimation du budget,
planning irréaliste, faible niveau de productivité des études, … Il est vrai
que les évaluations des projets post-implantation sont rares. Cela montre qu’il
existe encore une marge de progrès importante.
[1]
- Le terme dossier d’expression des besoins est traditionnel mais il serait
préférable d’utiliser le terme étude de faisabilité ou de traduire le terme
anglais : « business case », par exemple par celui d’étude
d’affaire. On peut aussi employer le terme de dossier d’investissement ou bien
revenir à l’ancien terme tomber en désuétude d’étude d’opportunité.
[2]
- Information Technology Outlook, OCDE.