mardi 23 juin 2015

Et avec ça Docteur, vous croyez qu’on sera sauvé ?

Parfois on rencontre des rapprochements de dates curieux. Le 18 Juin 2015 Manuel Valls, Axelle Lemaire et Emanuel Macron ont présenté la "Stratégie Numérique du Gouvernement" à l'occasion de la remise du rapport du CNNum établi à la suite de la "grande concertation sur le numérique" lancé à l'automne dernier. Le rapport porte le nom de "l’Ambition Numérique" ([1]). Annoncé le 18 Juin, 75 ans après le discours de Londres on pouvait s'attendre à de grandes ambitions du type "On a perdu une bataille mais on n'a pas perdu la guerre". Comme on va le voir il y a une certaine distance entre les grandes ambitions annoncées et les mesures effectivement proposées.

La situation de la France n'est pas brillante

Comme nous l'avons vu récemment, (voir le message du mercredi 10 juin 2015 sur ce blog : "Le classement informatique du World Economic Forum 2015 : La France perd une place" ) la France est à la traîne du classement des pays développés en matière de numérique, d’Internet et de TIC. Elle se trouve en 26ème position en compagnie de la Belgique, de l'Irlande, du Portugal et de Malte, loin derrière la Grande-Bretagne et l'Allemagne et à une année-lumière de deux champions exæquo : Singapour et de la Finlande.
A l'origine du rapport « Ambition Numérique » il y a la demande du 1er Ministre de lancer une grande consultation pour faire prendre conscience du retard français en ce domaine et demander aux personnes compétentes et avisées les mesures à prendre. C'est indiscutablement une bonne idée.

Un rapport bien sous tous rapport

L'affaire a été confiée au CNNum qui venait d'être renouvelé et doté d'un nouveau dirigeant : Benoît Thieulin. Ils ont organisés à travers toute la France 70 ateliers sur les sujets les plus divers. 1.300 personnes ont participé à ces séances. Le site Web de l'opération a reçu 17.678 contributions. 
Cela s'est traduit par un rapport de 398 pages abordant de nombreux sujets concernant le numérique. Le rapport "Ambition Numérique" est disponible en ligne en format PDF. 
Il se compose de quatre grandes parties appelés volets dotées de titres ronflants  :
       « Loyauté et liberté dans un espace numérique en commun »
       « Vers une nouvelle conception de l’action publique : ouverture, innovation, participation »
       « Mettre en mouvement la croissance française : vers une économie de l'innovation »
       « Solidarité, équité, émancipation : enjeux d'une société numérique »
Chaque partie, après une courte présentation du domaine, détail un certain nombre de propositions. Au total il y en a 70.
Couverture du rapport Ambition Numérique
Pour résumer le contenu de ces domaines le mieux est de citer in extenso leur présentation pages 26 et 27 du rapport :
       "Le premier volet, intitulé “Loyauté et liberté dans un espace numérique en commun” veut fixer un cadre juridique pour assurer les droits individuels et collectifs des consommateurs et des citoyens dans la société numérique. Les relations des acteurs numériques entre eux et avec les utilisateurs doivent être régulées afin d’assurer la constitution d’un environnement loyal et ouvert et de garantir le respect des droits humains dans le monde numérique. La gouvernance d’Internet doit sortir de sa technicité pour devenir un objet politique à part entière".
       "Le deuxième volet, intitulé “Vers une nouvelle conception de l’action publique : ouverture, innovation, participation” insiste sur la nécessité pour la puissance publique de mettre à profit le numérique pour repenser ses missions et ses modes d’intervention, en promouvant une culture de l’innovation ouverte et en renouvelant la conception des politiques et des services publics".
       "Le troisième volet, intitulé “Mettre en avant la croissance française : vers une économie de l’innovation” a pour objectif de promouvoir une économie audacieuse et créative qui permette d’augmenter la compétitivité des acteurs numériques français. Il s’agit donc de soutenir le tissu numérique français en facilitant le financement de l’innovation, en élaborant une véritable stratégie industrielle française relative au numérique ainsi qu’en menant une politique d’attractivité à différentes échelles. "
       "Le quatrième volet, intitulé “Solidarité, équité, émancipation : enjeux d’une société numérique”, s’engage à repenser les champs fondamentaux du vivre ensemble - santé, éducation, citoyenneté, communs - tout en esquissant les premiers contours de chantiers auxquels il nous faudra collectivement nous confronter dans les années à venir - travail, justice, nouveaux modèles de protection sociale…à l’heure du numérique."
Comme on le voit le domaine couvert est vaste. Mais est-ce que les 70 mesures proposées permettrons de combler le retard français constaté année après année par le World Economic Forum ?

La traduction gouvernementale du rapport « Ambition Numérique »

Il est probable que le gouvernement, un peu perdu dans les 398 pages du rapport et ses 70 propositions, a choisi de présenter un document court de 28 pages appelé "Stratégie Numérique du Gouvernement". Il est consultable en cliquant ici.  C'est une liseuse où, lorsqu'on tourne les pages on droit à un joli « slurp » du plus bel effet. Il est aussi possible de télécharger le texte en format PDF
Curieusement ce document de stratégie commence par un : "Edito du Premier Ministre". Voilà Manuel Valls devenu rédacteur en chef ! En quelques lignes il définit la stratégie du gouvernement en matière de numérique et, plus généralement, dans le domaine des TIC :
"Cette stratégie vise à faire de la France une République numérique, fondée sur 4 piliers :
       la Liberté d’innover : nous devons libérer tout le potentiel du numérique pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de moteur de la croissance ;
       l’Égalité des droits, pour protéger encore davantage les citoyens et leurs données personnelles ;
       la Fraternité d’un numérique accessible à tous les Français, quels que soient leur âge, leur lieu de vie, leurs revenus ;
       l’Exemplarité d’un État qui se modernise en accomplissant la transformation numérique de son administration pour un meilleur service au public."
Liberté, Égalité et Fraternité. ... Cela rappelle quelque chose. Quelle drôle d'idée ! On est pas loin de « Aux armes citoyens ». Comme si la République était menacée ! Surement une idée d’une agence de communication car tout le monde connaît la devise de la République ! Après tout , peu importe, c’est de l’emballage, ce qui compte c'est la liste des mesures qui seront prises.

Couverture du plan : Stratégie Numérique du Gouvernement
Un plan en 14 mesures

Au-delà de ces curieuses formulations le gouvernement présente 14 mesures :
"1 - Soutenir la montée en puissance et l’ouverture à l’international de la « French Tech »
2 - Promouvoir une économie de la donnée en créant la notion de données d’intérêt général
3 - Créer une véritable alliance autour de l’innovation ouverte en encourageant la coopération
entre entreprises traditionnelles et startups
4 - Organiser la transition numérique des TPE-PME
5 - Favoriser une science ouverte par la libre diffusion des publications et des données de
la recherche
6 - Sud(s) et Numérique(s) : accompagner la révolution technologique dans les pays du Sud
7 - Plan de transition numérique dans le bâtiment : promouvoir la « maquette numérique »
8 - Réguler les plateformes pour protéger les utilisateurs sans brider l’innovation
9 - Renforcer la médiation numérique pour accompagner son usage par les particuliers
10 - Déployer le plan numérique pour l’éducation
11 - Développer les « startups d’État » pour produire du service public autrement
12 - Déployer le plan médecine du futur
13 - Ouvrir l’« Emploi Store », un bouquet de services pour les demandeurs d’emploi
14 - Lancer la « Grande École du Numérique"

Quelques commentaires s’imposent

Pour les apprécier quelques mots de commentaire :
1.      Soutenir la montée en puissance et l’ouverture à l’international de la « French Tech ». Il s'agit de renforcer le dispositif d'aide aux startups en renforçant la présence d'une Agence du numérique chargée de les aider par une présence accrue à l’international.
2.      Promouvoir une économie de la donnée en créant la notion de données d’intérêt général. L'objectif de cette mesure est de renforcer l'Open Data en prouvant des "données d'intérêt général" en incitant les acteurs publics et privés à mettre ces informations en commun tout en garantissant la confidentialité. Ce sont des objectifs un peu contradictoire : une bien curieuse gymnastique.
3.      Créer une véritable alliance autour de l’innovation ouverte en encourageant la coopération entre entreprises traditionnelles et startups. Le gouvernement veut inciter à la coopération entre les grands groupes et les PME dynamiques en garantissant l'application de bonnes pratiques. Cette idée est intéressante, faut-il encore s'assurer que les acteurs concernés sont effectivement intéressés et sont prêts à jouer le jeu.
4.      Organiser la transition numérique des TPE-PME. C'est un vrai problème même si l'enjeu économique est faible. Par contre la solution proposée est dérisoire : "élaborer  un cahier des charges pour que les acteurs du numérique développent des produits numériques adaptés aux besoins des TPE-PME et des PME". Ce n’est pas très sérieux.
5.      Favoriser une science ouverte par la libre diffusion des publications et des données de la recherche. Il s'agit de mettre aux chercheurs de publier sur le Web des articles sans passer par le contrôle d'un comité de lecture. Il existe aux USA le site SSRN, Social Science Research Network, avec un stock de plus de 600.000 articles. On peut faire le "French Research Network". Mais ce n'est rien par rapport à Scholar Google. Peut-on encore lui faire concurrence ?
6.      Sud(s) et Numérique(s) : accompagner la révolution technologique dans les pays du Sud. L'idée d'aider les pays en voie de développement est excellente. Faudrait il encore que nous soyons en avance ! Malheureusement nous ne sommes que 26ème, pas loin de pays du Sud.
7.      Plan de transition numérique dans le bâtiment : promouvoir la « maquette numérique ». C'est une excellente idée mais, on le sait bien le secteur de la construction n'est pas parmi les plus dynamiques. Un comité de pilotage a été mis en place avec un organisme technique en appui. Espérons que cela marche et donne des résultats.
8.      Réguler les plateformes pour protéger les utilisateurs sans brider l’innovation. Il est nécessaire d'adapter la législation sur la protection des consommateurs dans l’environnement Internet et de renforcer l'action de la Direction de la Concurrence. C’est bien mais ses effets se manifestent à long terme.
9.      Renforcer la médiation numérique pour accompagner son usage par les particuliers. La médiation numérique consiste avoir 10.000 lieux ouverts à tous les publics où les enfants et les personnes âgées trouveront des jeunes gens compétents et disponibles. Une partie de ces lieux existent. Mais quel sera leur impact ?
10.   Déployer le plan numérique pour l’éducation. Ce programme d'un milliard d'euros sur trois ans a déjà été annoncé. Dès la rentrée 2015 on a annoncé que 200 collèges et 340 écoles seront équipées ou rééquipées. Les professeurs seront formées de façon à les aider à transformer leurs pratiques pédagogiques. Ce n'est que le nième plan d'informatisation de l’Education Nationale. Espérons qu’il produira des effets positifs.
11.   Développer les « startups d’État » pour produire du service public autrement. Comme il est très difficile de développer des applications originales dans le cadre de l'administration des petites équipes, rattachées au Secrétariat Général à la Modernisation, seront chargées de ces développements. Une approche intéressante.
12.   Déployer le plan médecine du futur. Dans le cadre des 34 plans de la Nouvelle France Industrielle 3 plans concernent la santé. Le but est d'offrir une médecine personnalisée dans le cadre des soins quotidiens. Un comité de pilotage est chargé d'élaborer une feuille de route. A voir.
13.   Ouvrir l’« Emploi Store », un bouquet de services pour les demandeurs d’emploi. Il s'agit de quatre plateformes gérées par Pôle Emploi de façon à aider les chômeurs à choisir un métier et trouver un emploi. Intéressant mais est-ce que cela sera suffisant pour diminuer le taux de chômage ?
14.   Lancer la « Grande École du Numérique". Il ne s'agit pas d'une grande école capable de former les 3.000 à 4.000 informaticiens du niveau ingénieur Bac + 5 par an qui manquent mais de lancer 50 centres de formation orientées vers des jeunes sans formation. C'est la généralisation de l'initiative de Xavier Noël de l'école 42 qui forme déjà 800 jeunes par an sur une durée de trois ans. C’est bien mais c’est loin d’être suffisant.
Tout cela est intéressant mais est-ce que cela va permettre un développement rapide du numérique et plus généralement des TIC ?

Est-ce que cela sera suffisant ?

Une stratégie est un ensemble de mesures permettant de mobiliser les ressources et les compétences autour de quelques grandes orientations. Pour qu'une stratégie soit efficace il est de bonne pratique de commencer par un audit mettant en avant les points forts, les points faibles, les menaces et les opportunités. Il permet de dégager les objectifs. Les mesures permettent de lancer les actions sont ensuite choisies pour leur effet d'entraînement.
Manifestement on n'a pas procédé de cette façon. Manuel Valls a demandé au CNNum un rapport concernant un vaste domaine basé sur une large consultation. Parmi les nombreuses propositions 14 ont été choisies. On peut dans ces conditions se demander si ces 14 mesures auront l'effet mobilisateur attendu et entraîneront le processus de développement espère ? On peut en douter. En effet ce sont de nombreuses petites mesures. Aucune n'est suffisamment parlante pour mobiliser l'opinion publique ni même celles des professionnelles concernées.
Il est probable que le choix de ces mesures est le résultat du processus de travail adopté. Cette consultation nationale a été une sorte de gigantesque boîte à idées. Sont sorties de cette gigantesque collecte les mesures qu'un certain nombre de gens pouvaient accepter ou du moins celles n'entraînant pas trop de réaction d'hostilité.
Si César avait demandé l'avis de tous les centurions et de tous les soldats de l'armée romaine il est probable qu'il n'aurait jamais conquis la Gaule. En effet une stratégie est une construction intellectuelle permettant d'agir pour faire changer la situation. Elle exprime la vision du commandement. Dans le cas de la guerre l'objectif est de vaincre l'ennemi. Dans le cas d'une entreprise l'objectif est de gagner des parts de marché. Dans celui d'une situation comme celle de la France qui a la volonté de corriger son retard en matière numérique et d'une manière plus générale sa faiblesse dans le domaine des TIC il s'agit de corriger les points faibles, et ils sont nombreux, en se basant sur les points forts, qui, hélas, sont peu nombreux.
Or cette construction n'a pas pu être. En effet il manque dans la démarche un diagnostic préalable solide. Faute de cette base on a ramassé quelques mesures qui étaient déjà dans le "pipeline", on l'a complète par quelques annonces sympathiques, on l'a emballé d'un terme qui ne veut rien dire : "la république numérique" et on a ajouté un ruban avec la devise : « liberté, égalité, fraternité ». C'est un peu léger.
A l'automne une loi sur le numérique va permettre de concrétiser cette stratégie. Elle sera consultable sur un site Web dès la fin du mois de juin et sur ce site de simples citoyens comme vous et moi pourront donner leur avis et même proposer des amendements. Je sens que sur le front du numérique l’été sera chaud. 





[1] - Pour la petite histoire cette présentation a eu lieu à la Gaieté Lyrique, le palais de l'opérette. Elle n’a pas eu lieu en souvenir de Jacques Offenbach et de la Belle Hélène mais tout simplement parce que cette salle est devenue un centre culturel dédié aux arts numériques depuis 2011.

mercredi 10 juin 2015

Classement informatique du World Economic Forum 2015 : La France perd une place

Tous les ans on dispose, grâce au World Economic Forum de Davos d’un classement de la plupart des pays du monde selon leur degré de maturité informatique. Ce document est très intéressant et mérite une étude particulière. C’est le « Global Information Technology Report 2015 ». On dispose ainsi chaque année d’une photo nous montrant la réalité de l’avancement international des TIC, d’Internet et de la transformation numérique.
C’est, en quelque sorte, c’est l’équivalant de l’enquête Pisa réalisée par l’OCDE pour évaluer l’efficacité de l’enseignement secondaire obligatoire ([1]). L’enquête du WEF repose sur un index synthétique, le NRI, le Networked Readiness Index, basé sur 53 indicateurs regroupés en 4 domaines et 10 sous-catégories.

Page de garde du rapport 2015 du WEF sur l’état des technologies informatiques
 L’an passé on avait constaté avec satisfaction, que, selon le classement, après plusieurs années de déclin, la France avait arrêté de reculer. En effet, entre 2009 et 2013 la France était passée de la 18ème à la 26ème place ([2]). En 2014 on a constaté que la chute s’arrêtait et même que la France regagnait une place et se trouvait 25ème.
Malheureusement en 2015 on constate que non seulement la France ne continue par sa remontée pas dans le classement du WEF mais au contraire qu’elle perd de nouveau une place et elle se retrouve de nouveau à la 26ème place comme en 2013. Pendant que de nombreux pays progressent on fait, au mieux, du surplace. Il faut être claire la France stagne et régresse lentement.

M. Emmanuel Macron et Mme Axelle Lemaire : « Réveillez vous ! »

La situation de la France par rapport aux pays analogues n’est pas brillante. Elle n’est pas en compagnie des autres pays développés voisins du notre comme la Grande-Bretagne (8ème) ou l’Allemagne (13ème). Ce n’est pas brillant et de plus sa position tend à se dégrader.
Cependant, bonne nouvelle, la note globale de la France progresse et passe de 5,1 en 2014 à 5,2 en 2015, sur un index variant de 1 à 7, soit un gain de 0,1 point. En 2014 avec 5,2 la France aurait été en 24ème position. Malheureusement la plupart des autres pays ont progressé plus rapidement. Ainsi le Japon est passé de 5,41 à 5,6 et a ainsi bondi de la 16ème place à la 10ème place. Ceci fait qu’en deux ans le Japon est passé de la 21ème place à la 10ème : beau rétablissement. Le Canada a connu en 2015 une progression analogue et passe de la 17ème à la 11ème place.

Classement des 143 pays de l’enquête WEF selon leur valeur de leur indice NRI
Cependant d’autres pays, moins nombreux il est vrai, ne progressent pas et donc régressent dans le classement comme Hong-Kong, Taïwan, Israël, le Qatar,…
Heureusement la France n’est plus dans cette situation. Cependant elle n’arrive pas à remonter de manière significative dans le classement du World Economic Forum car ses progrès se font plus lentement que la progression moyenne des autres pays.

Les premiers sont toujours les mêmes

Lorsqu’on s’intéresse aux premiers du classement du WEF on constate une grande stabilité. Cette année les deux premiers sont Singapour et la Finlande avec un index de 6.0. Ce n’est pas nouveau. C’est une permutation par rapport au classement de 2014 ou Singapour était en second et la Finlande première.
Les pays suivants se retrouvent la même place d’une année sur l’autre : la Suède (3ème), les Pays-Bas (4ème), la Norvège (5ème), la Suisse (6ème), les Etats-Unis (7ème). On note dans ce classement deux progressions : la Grande-Bretagne passe de la 9ème à la 8ème place et le Luxembourg est passé de la 11ème à la 9ème place. Enfin, nous l’avons vu, le Japon est remonté de la 16ème à la 10ème place.
Seul rétrogradation par rapport au classement de 2014 : Hong-Kong dégringole de la 8ème place à la 14ème place. Ceci est dû à une légère baisse de leur index qui est passé de 5,6 à 5,5. Cette baisse de 0,1 point se traduit par une perte de 6 places. Ceci montre que les notes des pays leaders sont dans un mouchoir de poche. Elles vont de 5,6 à 6,0. La Grande-Bretagne et le Japon sont à 5,6, la Hollande est à 5,8, Singapour et la Finlande sont à 6,0. Comme ont le voit ce sont des notes très voisines.

Les 10 premiers pays du classement
On notera que sur les 10 premiers pays du classement 7 sont européens. Ce sont tous des pays d’Europe du Nord. Contrairement à une idée souvent répétée l’Europe n’est pas à traîne. Comme le signale le rapport du WEF : « Europe is home to somme of the best connected and most innovation-driven economies on the World » ([3]). Par contre certains pays européens sont à la traîne dont la France. Cela concerne de manière plus général les pays d’Europe du Sud.
Par contre les pays suivants sont plus dispersés : l’Allemagne est à 5,5 et se retrouve à la 13ème place alors que la France avec 5,2 est rejetée à la 26ème place. Ce chiffre confirme que la France est manifestement larguée dans cette course à l’informatisation et la transformation numérique. Cependant elle n’est pas le seul pays européen mal positionné. Elle est accompagnée par la Belgique (24ème), l’Irlande (25ème), le Portugal (28ème), Malte (29ème). Plus loin dans le classement on note que l’Espagne est en 34ème position, la Russie en 41ème, l’Italie en 55ème, la Grèce en 66ème, l’Ukraine en 71ème, … C’est un peu rassurant.

Les 28 premiers pays du classement du WEF
On notera dans la partie de droite du tableau que le Maroc est 78ème, gagnant 19 places en un an, la Tunisie 81ème et l’Algérie 129ème, gagnant 9 places. Les pays d’Afrique Sub-Saharienne stagne en fin de liste et, pour l’instant, à du mal à en sortir.

Des progrès trop lents

La progression de l’index globale de la France passant de 5,1 à 5,2 est due à quelques progrès ponctuels significatifs. Lorsqu’on compare les détails des index entre 2014 et 2015 on constate des écarts significatifs :
·       Les index mesurant les impacts des TIC ont augmenté de 0,3 point en passant de 4,7 à 5,0. Ceci est pour l’essentiel dû aux impacts sociaux avec une augmentation de 0,6 point due notamment au développement de l’e-participation.
·       Les usages ont augmenté de 0,1 point dû aux applications publiques et individuelles.
·       La capacité d’agir progresse de 0,1 point dû pour 0,2 aux infrastructures et 0,1 pour la facilité d’accès.
C’est bien mais c’est faible. Ceci montre qu’il y a eu quelques améliorations mais finalement elles jouent de manière assez marginale. Ainsi on note des progrès significatifs concernant les dix indicateurs suivants :
·       « L’efficacité du système juridique concernant le règlement des conflits » passe de la 48ème à la 41ème place. 
·       « La disponibilité de venture capital » passe de la 49ème à la 35ème place.
·       « Le nombre de jours pour créer une entreprise » passe de la 32ème à la 14ème place.
·       « Les achats de l’administration dans les nouvelles technologies » passe de la 60ème à la 43ème place.
·       « La bande passante Internet à l’international » passe de la 26ème à la 17ème place.
·       « La qualité du système d’enseignement » passe de la 43ème place à la 34ème.
·       « L’extension de la formation des salariés » passe de la 42ème place à la 31ème.
·       « Les services en-ligne de l’administration » passe de la 8ème à la 1ère place !
·       « L’accès des écoles à Internet » passe de la 64ème place à la 55ème.
·       « L’e-participation » passe de la 25ème place à la 4ème.
Un certain nombre d’items connaissent des progressions significatives. Ils représentent environ le quart des items. On note qu’ils sont en général faibles ou très faibles. C’est donc un mieux dans la médiocrité. Mais on est encore loin de l’excellence espérée.
La fiche d’évaluation de la France
Simultanément on constate que différents points se dégradent :
·       « La couverture des réseaux mobiles » passe de la 58ème à la 66ème place.
·       « L’usage des réseaux sociaux » passe de la 54ème place à la  68ème.
·       « L’utilisation d’Internet pour faire des échanges B to B » passe de la 37ème place à la 44ème.
·       « L’impact des TIC sur les nouveaux services et les nouveaux produits » passe de la 21ème place à la 31ème.
·       « L’impact des TIC sur les nouveaux modèles d’organisation » passe de la 42ème à la 48ème place.
Ce sont des points importants. Ils montrent les difficultés rencontrées à faire évoluer nos organisations. Très souvent l’indicateur mesuré ne change pas ou très peu mais pendant ce temps les autres pays ont progressé. Dans cette course celui qui ne progresse pas recule.

Une belle collection de points faibles

Si on pointe les 53 items de l’enquête on constate qu’en France 15 sont des points faibles ([4]) et, globalement, ils étaient faibles en 2014 et le restent en 2015 malgré le temps qui passe. Ce sont :
·       « L’efficacité du système juridique concernant le règlement des conflits », 41ème place,
·       « Le taux des taxes par rapport au bénéfice », 135ème place ([5]),
·       « Le pourcentage d’une classe d’âge suivant l’enseignement supérieur », 45ème place,
·       « Les achats de l’administration dans les nouvelles technologies », à la 43ème place,
·       « La couverture du réseau mobile », à la 66ème place,
·       « Le prix de la minute de téléphone mobile prépayée », à la 118ème place,
·       « Le tarif de l’abonnement fixe à Internet », à la 40ème place,
·       « Le taux de souscription au téléphone mobile », à la 96ème place,
·       « L’usage des réseaux sociaux virtuels », à la 68ème place,
·       « L’utilisation d’Internet pour faire des échanges B to B », à la 44ème place,
·       « L’importance des TIC dans la vision du gouvernement », à la 53ème place,
·       « Le succès de l’effort public de promotion des TIC », à la 63ème place,
·       « L’impact des TIC sur les nouveaux modèles d'organisation », à la 48ème place,
·       « L’accès des écoles à Internet », à la 55ème place.
·       « L’usage des TIC et l’efficacité de l’administration », à la 43ème place.
Une belle collection de grelots. Avec tous ces handicaps il est évidement difficile de faire la course en tête. Si Mme Axelle Lemaire a un peu de temps à consacrer au développement de l’économie numérique, elles pourrait prendre chacun de ces items et voir ce que l’Etat pourrait faire pour l’améliorer et aussi ce qu’il devrait faire pour inciter les entreprises à s’engager dans la transformation numérique avant qu’elles ne soient toutes Uberiser, Amazoniser, Airbnbiser, Googliser, Bookingiser,… On peut toujours rêver.

Les raisons du succès des meilleurs

Pour choisir une stratégie le mieux est de regarder ce que font les meilleurs, de s’en inspirer et ensuite d’essayer de faire mieux. Cette année le « best in class » est la ville-Etat Singapour qui a permuté avec la Finlande qui en 2014 était premier et qui cette année est le second. La comparaison de leur fiche de résultat avec celui de la France permettant de constater une différence fondamentale : la France a peu de points d’excellence et un nombre élevé de points faibles.
La France a deux indicateurs sur 53 classée en premier. C’est mieux que l’an passé où il n’y avait qu’un seul indicateur. Il n’y a aucun indicateur se trouvant à la 2ème et 3ème place et seulement deux indicateurs à la 4ème place, puis ensuite aucun indicateur entre la 5ème et la 11ème place. Au total 4 indicateurs pour lesquels la France est classé avant la 10ème place.
C’est pas mal mais, que pèsent ces quatre indicateurs par rapport aux 15 indicateurs se trouvant au-delà du 40ème rang.
Singapour a un profil très différent  de celui de la France :
·       Elle a 7 indicateurs classés en 1er contre 2 dans le cas de la France,
·       21 indicateurs sont compris entre la 2ème et la 10ème place, au lieu de 2 pour la France,
·       Au total plus de la moitié des items sont classés avant la 10ème place alors que dans le cas de la France moins du dixième des items sont dans ce cas.
·       Bien sûr il y a quelques points faibles. Il y a 3 indicateurs se trouvant au-delà de la 40ème place. On est loin de la collection française de nos 15 grelots.
C’est le secret : avoir quelques points d’excellence et ne pas avoir trop de points faibles.

La fiche d’évaluation de Singapour
De même la Finlande a un profil assez semblable à celui de Singapour :
·       Elle a aussi 7 indicateurs classés en 1er.
·       23 indicateurs sont compris entre la 2ème et la 10ème place,
·       4 indicateurs se trouvant au-delà de la 40ème place.
Comme on le voit les pays les mieux informatisées ont trois caractéristiques : un certain nombre d’items sont classées en 1er position et ensuite un grand nombre d’items ont un rang élevés. Au total plus de la moitié des indicateurs sont inférieurs ou égaux à la 10ème place. Enfin il y a très peu d’indicateurs médiocres.
C’est simple !

La fiche d’évaluation de la Finlande
 Quelques mesures simples

Dans les messages précédents je m’étais permis de suggérer différentes mesures. Elles sont toujours d’actualité :
1.     S’inspirer des pays voisins se trouvant en tête du classement comme la Finlande Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse ou la Grande-Bretagne, le Luxembourg,…Il n’y a pas de honte à copier les bons élèves.
2.     Améliorer l’environnement économique et notamment en simplifiant le contexte administratif et réglementaire tout particulièrement en luttant contre les nombreux dysfonctionnements de la justice commerciale et de l’administration. 
3.     Avoir une politique publique positive en faveur des TIC basée sur une vision claire de l’impact des TIC sur le développement économique. L’absence de vision est certainement une des grande faiblesse de la France. La feuille de route de Fleur Pellerin 2013 (voir sur ce blog : « Est-ce le début du commencement ? » ([6]) est oubliée depuis longtemps et le rapport Lemoine de novembre 2014 est déjà passé à la trappe à peine publié.
4.     Réduire la tarification des télécommunications. Malgré la guerre des forfaits initiée par Free dans le domaine du téléphone mobile les tarifs des télécommunications restent élevés en France notamment en ce qui concerne les tarifs hors-forfaits et l’accès à la bande passante.
5.     Inciter les entreprises moyennes et grandes à investir dans les TIC. Les plans publics misent très souvent sur les PME. Elles sont nombreuses mais en réalité elles ont peu d’influence sur le degré de l’informatisation de l’économie. Il faut au contraire miser sur les grandes entreprises qui ont les moyens de financer ces projets.
6.     Favoriser les investissements des entreprises et des administrations dans les TIC. Il est pour cela nécessaire urgent d’autoriser l’amortissement des études débouchant sur des applications rentables. Pour favoriser le développement de certaines applications, notamment pour la création de nouveaux services basés sur les TIC et Internet, il serait souhaitable de mettre en place un mécanisme de crédit d’impôt.
7.     Favoriser les capacités des entreprises du secteur de l’économie numérique à l’exportation (matériel, logiciels, services). Il est important de développer les coopérations entre les entreprises pour les inciter à intervenir dans ce domaine et faciliter leur présence au niveau mondial.
8.     Développer la formation à l’informatique notamment en matière de développement et renforcer la connaissance des systèmes d’information. On ne forme pas assez de professionnels de l’informatique et ceux qui sont formés n’ont pas toujours la formation adaptée aux besoins. Ils sont formés à la technique informatique et ignorent largement les usages de l’informatique.
9.     Développer la culture des dirigeants des entreprises et des administrations à l’informatique et aux systèmes d’information. On parle beaucoup de « transformation numérique » mais celle-ci bute sur le faible niveau des connaissances du sujet par les décideurs français. Il faut créer des MBA systèmes d’information et compléter les cursus des grandes écoles d’ingénieurs, d’administration et de commerce.   
Il est pour cela indispensable que le gouvernement mettre en place une « feuille de route » sérieuse qui permettent de développer réellement le secteur de l’économie numérique. Faute de quoi le déclin dans ce domaine stratégique est inéluctable.




[1] - Il est intéressant de noter que la France est classée 21ème en lecture, 25ème en mathématique et 26ème en science sur 34 pays. Le 1er pays est la Chine à Shanghai, la 2ème est Hong Kong et la 3ème est Singapour. A méditer
[3] - Page xiv : « L’Europe est l’endroit le plus connecté et ayant les économies les plus pilotées par les innovations du Monde ».
[4] - Je considère comme faible les items qui place la France au-delà de la 40ème position.
[5] - Le World Economic Forum affirme que le taux des impôts représente 66,6 % des bénéfices. Bizarre, bizarre.
[6] - En relisant mon post d’avril 2013 je ne peux que sourire. Manifestement cette « feuille de route » est pour l’essentiel oubliée :
« Axe 1 : Faire du numérique une chance pour la jeunesse.
·       Mesure n° 1 : L’entrée du numérique dans les enseignements scolaires.
·       Mesure n° 2 : Une politique ambitieuse de formation des enseignants aux usages du numérique, avec notamment la formation de 150 000 enseignants en deux ans.
·       Mesure n° 3 : Lancement du projet “France Universités Numériques”.
·       Mesure n° 4 : Renforcer les formations aux métiers du numérique.
·       Mesure n° 5 : Faire du numérique une chance pour les jeunes peu qualifiés.
Axe 2 : Renforcer la compétitivité de nos entreprises grâce au numérique.
·       Mesure n° 6 : Création de quartiers numériques dans les territoires.
·       Mesure n° 7 : Financement de technologies numériques clés à hauteur de 150 M€ et soutien à la recherche et à l’innovation.
·       Mesure n° 8 : Financement de la “numérisation” des PME/ETI grâce à 300 M€ de prêts bonifiés.
·       Mesure n° 9 : Le très haut débit pour tous dans 10 ans.
Axe 3 : Promouvoir nos valeurs dans la société et l’économie numérique.
·       Mesure n° 10 : Développer les Espaces Publics Numériques pour faciliter l’accès aux outils numériques.
·       Mesure n° 11 : Généralisation de la délivrance de certificats diplômants sur l’utilisation des outils numériques pour les demandeurs d’emploi et les personnes en emploi les moins diplômées.
·       Mesure n° 12 : Rétablir notre souveraineté fiscale.
·       Mesure n° 13 : Une loi sur la protection des droits et des libertés numériques.
·       Mesure n° 14 : Numérisation du patrimoine culturel.
·       Mesure n° 15 : Faire de l’ouverture des données publiques le levier de la modernisation de l’action publique.
·       Mesure n° 16 : Refonder la stratégie de l’État en matière d’identité numérique.
·       Mesure n° 17 : Territoire de soins numérique, moderniser l’offre de soins en mobilisant les technologies numériques.
·       Mesure n° 18 : Contrôle de l’exportation des technologies de surveillance de l’Internet. »
Que de vœux pieux ! Comme on est loin du vrai sujet ! Quelle faible part de la feuille de route a été réalisée en deux ans.