lundi 19 mars 2012

Le classement informatique du World Economic Forum en 2012 : Une triste réalité

 Depuis dix ans le Forum économique de Davos calcule un indicateur intéressant qui mériterait d’être mieux connu. C’est le NRI, le Networked Readiness Index. Il permet de positionner les différents pays sur la base de leur capacité à mettre en œuvre de technologies informatiques et de la communication. Il est ainsi possible d’apprécier les pays qui ont fait les plus importants efforts en ce domaine, et d’être capable d’en tirer les résultats attendus (voir : « The Global Information Technology Report »).

Comme tout français on pensait que notre pays était le premier ou à défaut être parmi les tous premiers. Or, il faut bien le constater la France n’est pas en tête du classement mais en 20ème position. C’est pas mal mais on n’est pas le premier. Le pays en tête du classement est la Suède. Ce n’est pas la première année mais la deuxième et avant elle était classée en deuxième position.
Classement complet du NRI 2011

Les 23 premiers du classement NRI
Cette situation n’est pas dramatique mais elle n’est pas aussi brillante que certains l’espérait de plus elle n’est pas nouvelle. Si on remonte, à 2007 on constate qu’il y a 5 ans la France n’était pas dans le peloton de tête mais dans une honnête moyenne en se situant à la 23ème place. D’ailleurs, comme le montre le tableau ci-dessous, ces dernières années des progrès ont été réalisés et ils ont permis de gagner 5 places pour remonter au 18ème rang en 2010. Malheureusement, la dernière enquête montre que la France a rétrogradé en un an de deux places pour arriver au 20ème rang.
Evolution depuis 5 ans de l'index NRI de la France
Ce positionnement médiocre explique, peut-être, le fait que le classement NRI du Forum de Davos n’est pas très souvent cité en France. Mais, ce n’est pas la première fois qu’on a en France ce type de réaction. On le sait bien, il a fallu un certain temps pour que les responsables de l’Education Nationale reconnaissent la pertinence du classement PISA et admettent qu’il reflétait bien la vérité.

Les premiers et les derniers

Comme le montre le tableau ci-dessus parmi les dix pays en tête du classement il y a quatre pays d’Europe du Nord : la Suède, 1er, la Finlande, 3ème, le Danemark, 7ème et la Norvège, 9ème. Si on ajoute la Suisse qui est 4ème, on constate que la moitié des dix premiers pays du classement sont européens. On notera que parmi ces dix pays trois sont asiatiques : Singapour, 2ème, Taïwan, 6ème et la Corée, 10ème. A cela s’ajoute les Etats-Unis en 5ème place et le Canada en 8ème. Tous sont des pays développés ayant effectués des investissements importants dans ces domaines et ayant des politiques adaptées.
On note qu’il existe ensuite entre la 11ème et la 20ème place un deuxième lot de pays comprenant l’Allemagne, 13ème, la Grande-Bretagne, 15ème, le Japon, 19ème, et la France. On notera que les pays d’Europe du Sud comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal sont situés entre la 30ème et la 65ème place, voisins des BRIC : Brésil (56ème), Russie (77 ème), Indes (48 ème) et Chine (36 ème). Les pays se trouvant en fin du classement comme le Zimbabwe, l’Angola, la Bolivie, Timor, Burundi et le Tchad sont tous des pays sous-développés et souvent ils sont africains. On notera que le classement du World Economic Forum porte sur 138 pays sur les 193 pays existants. 55 pays ne sont pas pour l’instant pris en compte par cette enquête.
On observe qu’il existe une forte corrélation entre le niveau de richesse des pays et le degré de développement des TIC. En effet on trouve en tête du classement des pays riches et développés et en fin de classement des pays du tiers monde. Cependant ce n’est pas le seul facteur influençant le taux d’informatisation. Il y a aussi l’aptitude des pays à saisir les opportunités qui se présentent et à les exploiter. A niveau de développement identique certains pays saisissent mieux ces opportunités que d’autres. Ceci explique l’écart constaté entre d’une part les pays de l’Europe du Nord et d’autre part l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France. Ce sont des économies voisines mais elles n’ont pas en ce domaine les mêmes politiques. Il est pour cela important de comprendre ce que mesure le Networked Readiness Index.
La structure de l’indicateur NRI

L’indicateur NRI est calculé à partir de 71 indicateurs. Un peu moins de la moitié d’entre eux proviennent de statistiques établies par la Banque Mondiale, les Nations Unies et l’IUT (Union Internationale des Télécommunications) mais la majorité des indicateurs proviennent d’une enquête faite auprès de 15.000 exécutifs dans le monde. Les indicateurs sont regroupés en trois domaines eux-mêmes décomposés en trois sous-domaines :
·       Environnement :
-      L’environnement marché (10 indicateurs),
-      L’environnement politique et la régulation (11 indicateurs),
-      L’environnement des infrastructures (10 indicateurs).
·       Aptitude à être prêt :
-      L’aptitude individuelle à être prêt (9 indicateurs),
-      L’aptitude des entreprises à être prêt (8 indicateurs),
-      L’aptitude du gouvernement à être prêt (3 indicateurs).
·       Utilisation :
-      Les utilisations individuelles (8 indicateurs),
-      Les utilisations des entreprises (8 indicateurs),
-      Les utilisations gouvernementales (4 indicateurs).
Sans entrer dans le détail des différents indicateurs on peut citer parmi ceux-ci les plus significatifs :
-      la disponibilité des dernières technologies,
-      le nombre de jours pour créer une entreprise,
-      le nombre de serveurs Internet sécurisés par million d’habitants,
-      le degré de sophistication des acheteurs,
-      le degré de priorité des TIC pour le gouvernement,
-      le pourcentage de souscripteurs connectés à Internet à haut débit,
-      le nombre de brevets par million d’habitants,
-      ….
Ce sont des indicateurs variés permettant de mesurer la politique suivie dans le domaine de l’informatique et des télécommunications et son impact sur l’économie. Pour chaque indicateur un classement des pays est établi puis de même on effectue un classement pour les index par sous-domaine, par domaine puis global. Ce n’est pas une mesure scientifique mais l’expérience montre que ces évaluations sont significatives. De plus, à quelques modifications mineures prés, la même méthode est utilisée depuis dix ans.
La situation de la France

Le fait d’être 20ème n’est pas glorieux, mais il faut relativiser, ce n’est pas une catastrophe. La France n’est pas classée dans les premiers comme le pensent beaucoup de français mais se trouve dans le peloton de tête en compagnie des pays les plus dynamiques. Sur les 20 premiers pays, 11 sont européens, ce qui n’est pas mal. Mais la France n’est pas en tête du classement mais plutôt en queue de peloton. Or, les dirigeants pensaient qu’elle était en tête. Ils devront se faire une raison ou changer de politique.
Pour comprendre la médiocre situation de la France il est nécessaire examiner la page 204 du rapport « The Global Information Technology Report » décrivant les différents indicateurs concernant notre pays.
La fiche NRI de la France
Première observation : sur les trois domaines couverts par l’étude le positionnement de la France est faible mais le plus fragile est indiscutablement « l’aptitude à être prêt » ou elle est classée 29ème alors que « l’environnement » et « l’utilisation » sont mieux classés avec respectivement la 18ème et la 17ème position. C’est pas mal mais cette situation n’est pas très satisfaisante.
Si on s’intéresse aux sous-domaines on constate que les deux fragilités les plus importantes concernent « l’aptitude individuelle à être prêt » où on est en 48ème place et « l’environnement marché » pour lequel on est à la 32ème place.
Si on pousse l’analyse on constate que quelques groupes d’indicateurs sont particulièrement mal positionnés. C’est le cas du sous-domaine de « l’aptitude individuelle à être prêt ». Cinq indicateurs sont particulièrement mal positionnés :
-      les coûts d’installation du téléphone résidentiel : 55ème,
-      le coût de l’abonnement téléphonique résidentiel : 102ème,
-      le prix du téléphone fixe : 82ème,
-      le tarif de la téléphonie mobile : 113ème,
-      le tarif de connexion fixe Internet : 41ème.
Manifestement on voit les effets négatifs de la probable entente existante dans le domaine des télécommunications. Est-ce que l’arrivée de Free va permettre de revenir à des niveaux de prix plus raisonnables et remonter dans le classement du Forum ?
Quatre autres points marquent la fragilité de cette politique :
-      le coût d’installation d’une ligne dans une entreprise : 35ème,
-      le coût mensuel d’abonnement d’une ligne destinée à une entreprise : 103ème,
-      le pourcentage de souscription au téléphone mobile : 68ème,
-      le pourcentage de souscription donnant accès aux réseaux de données à haut débit : 31ème,
-      le pourcentage de la population couverte par les réseaux mobiles : 48ème.
Il est certain qu’en France le prix des télécommunications est élevé et ceci freine probablement le développement de l’économie numérique.
L’autre point faible concerne « l’environnement marché ». Six points sont particulièrement fragiles :
-      la facilité d’accès au « venture capital » : 32ème,
-      l’existence de pôles de développement : 30ème,
-      le poids de la régulation administrative sur les entreprises : 121ème,
-      l’impact du niveau des taxes sur l’incitation à travailler ou à investir : 107ème,
-      le poids des différentes taxes par rapport au total des profits commerciaux : 123ème (sur 138 pays),
-      la liberté de la presse : 33ème.
Comme on le voit le point faible de notre développement informatique n’est pas technique mais politique et administratif. L’enquête confirme différentes faiblesses structurelles de notre économie comme :
-      l’indépendance de la justice : 38ème,
-      le taux d’inscription dans l’éducation supérieure : 39ème,
-      la qualité du système d’éducation : 29ème,
-      la collaboration université-industrie en matière de R&D : 44ème.
Il est certain que les fragilités de notre système d’éducation et notamment celui de l’enseignement supérieur ont des conséquences importantes.
Le rapport met aussi en avant un certain nombre de fragilités concernant les politiques concernant les TIC et les technologies et notamment :
-      la priorité gouvernementale donnée aux TIC : 42ème,
-      les décisions d’achat des administrations favorisent les innovations technologiques : 47ème,
-      l’importance de la vision gouvernementale des TIC : 30ème.
-      le pourcentage de ménages équipés d’un ordinateur personnel : 29ème,
-      l’accès à Internet dans les écoles : 41ème,
-      l’utilisation des réseaux sociaux virtuels : 37ème,
-      le succès de la promotion des TIC par le gouvernement : 38ème.
On est loin du degré élevé d’autosatisfaction manifesté par le 2ème rapport Besson : « France numérique 2012-2020, Bilan et Perspectives » .
A cela s’ajoute un certain nombre de faiblesses liés aux comportements des personnes et des entreprises :
-      le taux de piratage des logiciels : 24ème,
-      l’accessibilité aux contenus digitaux : 37ème,
-      le pourcentage d’ordinateurs, de télécommunications et de services importés : 34ème,
-      la capacité des entreprises à absorber de nouvelles technologies : 23ème.
Il est vrai que cela fait de nombreux points faibles : 31 sur 71 indicateurs. Ceci explique que la France ne se trouve pas dans le peloton de tête. Mais, heureusement, il existe aussi de nombreux indicateurs nettement plus positifs. On peut recenser dizaine d’indicateurs qui permettrait à la France d’être classés parmi les premiers pays. Le seul problème c’est qu’il y a un grave déséquilibre entre le nombre de points faibles et le nombre de points forts.
Notons qu’il n’y a un indicateur où la France est première. C’est « le niveau de compétition dans les domaines des services Internet et des services en matière de téléphonie à longue distance et la téléphonie mobile ». La note est 6 sur une échelle allant de 0 à 6. Cependant il faut être modeste car 61 autres pays ont la même note. Notre seul problème est qu’il n’y a qu’un seul indicateur sur 71 ou la France est classée au premier rang.

Comment font les leaders

Pour comprendre les causes de ce médiocre classement il suffit de se comparer aux meilleurs de la classe. La Suède est le pays classé en première place. C’est un pays semblable au notre. Il est plus petit que le nôtre mais avec un niveau de PIB par habitant un peu supérieur. Dans ces conditions pour quelles raisons la Suède est si bien placée.
La fiche NRI de la Suède
Quand on parcourt la liste des indicateurs de la Suède on constate que pour 12 d’entre eux ce pays est classé en 1er. Elles concernent les trois domaines : « Environnement » : 5 citations, « Aptitude à être prêt » : 2 citations, « Utilisation » : 5 citations. C’est la culture de l’excellence.
Mais cela ne veut pas dire qu’elle est excellente en tout. Elle a aussi des faiblesses. C’est par exemple le cas des indicateurs concernant les tarifs téléphoniques : 4.04 à 4.08, 5.05 et 5.06. De même elle a des impôts élevés : 1.06 et 1.07, des lourdeurs bureaucratiques : 1.08. Elle a aussi une faiblesse dans le domaine des réseaux mobiles : 3.02 et 7.01. Au total elle 10 points faibles.
Par rapport à la France la Suède a moins de points faibles et plus de points forts et notamment elle a un certain nombre de points d’excellence. Ce n’est pas le fait du hasard mais le résultat d’une politique claire et une administration efficace veillant à mettre en place un environnement favorable au développement des TIC. Tous les pays n’ont pas cette chance.

Et maintenant que faire ?

Sur la base de ce constat que faut-il faire ?
La chose la plus importante à faire est de prendre au sérieux le NRI, Networked Readiness Index, et de se fixer un objectif clair et atteignable. Il est possible de gagner dans le classement une à deux places par an. Ainsi en cinq ans l’Allemagne est passée de la 20ème place à la 13ème place, le Luxembourg de la 25ème à la 14ème, la Corée de la 19ème à la 10ème, le Canada de la 13ème à la 8ème, Taiwan de la 13ème à la 6ème, … Certains pays ont même connu des bonds spectaculaires comme la Chine de la 59ème place à la 31ème ou le Vietnam de la 82ème à la 55ème. Faut-il encore en avoir la volonté ! ([1]) Pour cela il est nécessaire d’afficher un objectif claire, par exemple se trouver dans le « Top ten » du classement NRI.
Il est ensuite nécessaire de mettre en place quelques mesures adaptées :
1.      Ne pas hésiter à s’inspirer des pays voisins se trouvant en tête du classement comme la Suède (1er), la Finlande (3ème), la Suisse (4ème) ou le Danemark (7ème). Il est plus difficile de s’inspirer de pays comme Singapour (2ème), les Etats-Unis (5ème) et Taiwan (6ème) car ce sont des pays économiquement et culturellement assez différents de la France. Il ne s’agit pas de copier servilement ce que font les meilleurs mais de voir comment ces pays ont réussi notamment sur les points faibles constatés dans le cas de la France (tarif des télécom, poids de la bureaucratie et efficacité de la justice, succès des politiques publiques,..).
2.      Améliorer l’environnement économique. Il faut lutter contre les dysfonctionnements de l’administration. Il ne s’agit pas de supprimer les moyens d’action de l’Etat comme le proposent les libéraux mais de s’organiser pour qu’il puisse intervenir rapidement et efficacement, lorsque c’est nécessaire. Il est de même nécessaire d’alléger la bureaucratie mesurée par exemple par le délai pour lancer une entreprise, le nombre de procédures à effectuer, le nombre de jours pour obtenir l’exécution judicaire d’un contrat,... Il est certain que le poids excessif de la réglementation va à l’encontre des objectifs recherchés. Ceci n’est pas propre aux entreprises du secteur des TIC mais à toutes les entreprises et notamment celles qui veulent se développer.
3.      Avoir une politique publique positive en faveur des TIC. Le plan Besson contient un grand nombre de mesures, certaines sont intéressantes, mais parmi celles-ci combien contribuent réellement au développement des emplois dans le secteur de l’informatique ? Et combien ont un impact sur la croissance économique globale ? Pour réussi ces opérations il est pour cela nécessaire d’avoir une vision claire de l’impact des TIC sur le développement économique. Sur cette base il est possible de bâtir un plan d’action et de s’assurer qu’il contribue effectivement à la croissance économique.
4.      Réduire la tarification des télécommunications. Malgré les grands discours sur la baisse des coûts des télécommunications, les comparaisons internationales montrent que les tarifs des opérateurs téléphoniques sont en France encore trop élevés. Sans parler des tarifs d’Internet et du mobile il y a celui du bon vieux téléphone fixe. Son abonnement mensuel est parmi les plus élevés du monde (102ème avec un coût de 18,2 $ par mois ([2])) et le coût d’une communication de trois minutes est aussi particulièrement élevé (82ème à 0,18 $). Le tarif du mobile est encore plus élevée (113ème avec 0,63 $ par minute ([3])). Par contre le coût de connexion ADSL est relativement moins élevé en France que les autres prestations de télécommunication mais reste encore coûteuse (41ème à 28,4 $ par mois ([4])). Il y a manifestement des progrès important à faire en ce domaine.
A cela s’ajoute la nécessité de renforcer notre système d’enseignement et notamment l’enseignement supérieur. Est-ce que l’autonomie des universités sera une mesure suffisante ?

La version de 2013 du rapport du World Economic Forum est analysée dans ce blog à : "Economie numérique : la France classée au 26ème rang mondial par le Forum de Davos" paru samedi 6 juillet 2013, la version 2014 est analysée dans "Le classement du World Economic Forum 2014 : France est-ce la fin de la chute ?" paru le vendredi 2 mai 2014   et la version 2015 dans "Le Classement du World Economic Forum 2015 : La France perd une place" paru le mercredi 10 juin 2015.



[1] - Il faut aussi noter que de nombreux pays ont vu leur position se dégrader au cours du temps. Dans certains cas ils ont perdu quelques places mais dans d’autres ils dévissent comme : le Danemark de la 1ère à la 7ème place en 5 ans, le Royaume-Unis de la 9ème à la 15ème place, le Japon de 14ème à la 19ème, l’Italie de la 38ème à la 51ème, la Grèce de la 48ème place à 64ème, … Certains pays perdent ont perdu en quelques années plus de 30 places. Ceci relativise la perte de 2 places constatée dans le cas de la France entre 2010 et 2011.
[2] - Dans 29 pays le montant de la souscription mensuelle est inférieur à 5 dollars et dans 29 pays elle est comprise entre 5 et 10 dollars.
[3] - Il existe dix pays où la minute de communication coûte moins de 0,10 dollar et 17 pays où elle est comprise entre 0,10 et 0,20 dollar. Il y a une marge de progrès importante.
[4] - 12 pays, dont les USA ont un coût de souscription inférieur à 20 dollars par mois.