mercredi 21 décembre 2011

Attention : baisse probable des investissements informatiques en 2012

La dernière note de conjoncture de l’INSEE qui vient d’être publiée à la mi-décembre 2011 est préoccupante. Jusqu’alors la presse et les hommes politiques ne cessaient d’évoquer la crise mais la conjoncture résistait assez bien avec une croissance de l’ordre de 1,5 à 1,7 %. Ce n’est pas génial mais ce n’est pas la crise. En fait, la plupart de ces commentateurs mélangent trois crises différentes : il y a d’abord la crise grecque qui est bien réelle, la crise de l’euro qui est en fait une crise de crédibilité des dirigeants européens et une crise économique qui rôde et qu’on craint mais qu’on n’a pas encore vue. On craint le « double dip » ([1]), surtout aux USA mais jusqu’à maintenant on n’avait encore rien vu.
Le critère d’une crise économique est d’avoir deux trimestres de suite connaissant une croissance négative. Eh bien, aujourd’hui, on y est. L’INSEE annonce une baisse du PIB de 0,2 % au quatrième trimestre 2011 suivie d’une baisse de 0,1 % au 1er trimestre 2012. Ce n’est pas l’effondrement qu’on a connu de 2008-2009 mais c’est un craquement significatif. D’autant plus qu’il fait suite à des affirmations répétées des différents membres du gouvernement sur le taux de croissance prévue de 1,7 % à 2 % en 2012, ramenée au mois d’octobre à 1 % mais les plus réalistes pensent qu’on risque d’être aux alentours de 0,5 %. En fait on est probablement aux alentours de 0 %. 
En soit ce n’est pas grave si ce n’est que cela va se traduire par une augmentation du chômage de l’ordre de 200.000 à 250.000 personnes. Cela risque surtout d’avoir un impact significatif sur le niveau des investissements des entreprises et notamment ceux concernant l’informatique. La baisse des investissements de 2012 risque d’être de l’ordre de 1,5 % alors qu’en 2011 la croissance était de 3,9 %. C’est un sérieux coup de froid sur les investissements. 
Pendant longtemps l’informatique échappait aux crises économiques mais depuis le début des années 90 les crises économiques ont eu un impact significatif sur le montant des investissements informatiques. On a bien vu ces contractions en 1991-1993, en 2001-2002 et surtout en 2008-2009.
En 2009 la baisse globale des investissements des entreprises a été massive avec une diminution de 12,2 % alors que, pendant ce temps, la baisse du PIB était 2,7 % soit une baisse supérieure à 4,5 fois celle de la PIB. C’est un effet multiplicateur inverse ([2]) important. Si on considère l’ensemble des investissements (entreprises, administrations, ménages) ([3]) la baisse globale est plus faible. Elle est de 9 % car les ménages et les administrations jouent le rôle d’amortisseurs. Dans ce cas le multiplicateur est de 3,3. C’est un chiffre encore élevé, signe d’une forte sensibilité des investissements à la baisse.
Si on considère les investissements informatiques on constate qu’ils sont encore plus sensibles à la baisse que l’ensemble des investissements. De plus les différents secteurs de l’informatique ne supportent pas la baisse de la même manière. En 2009 elle a été plus forte dans le domaine du matériel avec une baisse de 23,2 % alors que pour les logiciels et les services la baisse n’a été que de 3,4 %.
Ceci montre que le matériel informatique est particulièrement sensible à la baisse. Elle est deux fois plus élevé  que pour le reste des investissements (exactement 2,6 fois ([4])). Ceci veut dire que lorsque les investissements baissent de 1 %, les investissements en matériels informatiques baissent de 2,6 %. En ce qui concerne les logiciels et les services la diminution est nettement plus faible que celles constatées dans le cas de l’ensemble des investissements. Le rapport des baisses est de 0,38 ([5]), c’est-à-dire que lorsque les investissements baissent de 1 %, les investissements en logiciels et en services informatiques ne baissent que de 0,38 %.
Rapporté à la baisse du PIB l’élasticité à la baisse des matériels informatiques est de 8,6 ([6]) alors que pour les logiciels et les services la baisse est du même ordre de grandeur que la contraction économique.
Il est dans ces conditions possible de craindre que l’année prochaine le secteur des logiciels et les services risquent d’être stables alors que la baisse dans le secteur du matériel serait de l’ordre de 13 %. Un sérieux coup de froid.

[1] - Le double « dip » consiste à subir une deuxième récession après être sorti d’une première crise.
[2] - Le terme « multiplicateur inverse » est inexact. En économie politique cela s’appelle l’élasticité-revenu.
[3][3] - Quelques ordres de grandeur : le PIB de 2010 est de 1.933 milliards d’euros, le total des investissements est de 303 milliards d’euros et les investissements des seules entreprises non financières (ENF) de 193 milliards d’euros.
[4] - 2,6 est le rapport entre la baisse des investissements en matériel informatique (23,2 %) par rapport à la baisse des investissements (9 %).
[5] - 0,38 est le rapport entre la baisse des investissements en logiciels et en services (3,4 %) par rapport à la baisse des investissements (9 %).
[6] - C’est le rapport entre 23,2 % (baisse des investissements en matériel informatique) et 2,7 % (baisse du PIB). Ainsi quand le PIB baisse de 1 % les investissements en matériel informatique baisse de 8,6 %.

lundi 19 décembre 2011

Quel avenir pour le Cobol ?

Parmi les professionnels de l’informatique il existe un débat récurent : Java ou pas Java. Est-ce que Java est le langage d’avenir qui va remplacer tous les autres. Il y a les pour et les contre Java. Personne n’est indifférent. Différentes solutions alternatives sont évoquées comme : Ruby, Python, C, C#, C++, PHP, JavaScript, Visual Basic,… Il y a là une panoplie complète allant du plus nouveau au plus classique et on oublie dans la liste le très traditionnel Cobol. On le considère généralement comme un langage en déclin rapide et on annonce régulièrement sa mort imminente. Il est vrai qu’il a plus de 50 ans. Mais cela fait déjà 20 ou 30 ans que des prophètes auto-proclamés annoncent périodiquement sa mort. Mais il vit toujours. Dans les années 70 IBM avait d’ailleurs développé un langage qui devait déjà tuer Cobol : le PL/1. Depuis on l’a bien oublié. Paix à ces cendres.
Annoncer la fin de Cobol était probablement un peu anticipée. Selon le Gartner Group 75 % des applications de gestion utilisées dans le monde sont écrites en Cobol. Cela représente un stock de code compris entre 180 et 200 milliards de lignes. Comment voulez-vous remplacer du jour au lendemain une telle masse de programmes. Sur la base d’un coût de développement de 7 à 25 euros par ligne ([1]) cette masse de programme représente un investissement compris entre 1.300 et 4.000 milliards d’euros ([2]). Ce montant est sans commune mesure avec le coût des mainframes et ses serveurs qui l’exploitent. Il n’est pas possible de faire du jour au lendemain un write-off d’un montant aussi important. De plus cette masse de code augmente chaque année. On estime qu’actuellement 15 % des nouvelles applications sont développées en Cobol ce qui représente une augmentation du stock de code de 5 milliards de ligne de code par an.
L’essentiel de ce code fonctionne sur des mainframes d'IBM travaillant sous Z/OS mais aussi sur AS/400. Il existe aussi des applications Cobol sur les matériels de Bull, d’Unisys, de Siemens, de Nec, de Fujitsu, d’Hitachi,… La plupart fonctionnent sur des systèmes d’exploitation propriétaire comme par exemple GCOS 7 et GCOS 8 chez Bull ou OS 2200 chez Unisys. Mais de plus en plus d’applications écrites en Cobol fonctionnent sur des systèmes sous Unix ou Linux comme ceux d’HP, de Sun,… De plus on constate qu’un nombre croissant d’applications écrites en Cobol fonctionnent sur des serveurs Windows.
L’intervenant clé sur le marché du Cobol est une entreprise anglaise, Micro Focus, qui réalise un chiffre d’affaires de 430 millions de dollars en vendant un compilateur Cobol qui est devenu le standard du marché : AcuCobol. Traditionnellement il fonctionne en environnement CICS mais depuis il a considérablement évolué et fonctionne sous Windows, avec .Net, la JVM, sous Unix ou Linux et même sur le Cloud. Il a été adapté à tous les environnements notamment Visual Studio et Eclipse. Il est même orienté objet. La dernière version (15 juin 2011)  est Visual Cobol R4 est orientée vers l’environnement Windows avec .Net et il existe une version orientée sites centraux : Virtual mainframe. En 2009, Micro Focus a racheté Borland et plus récemment l’activité de tests de Compuware.
Mais Micro Focus n’est pas seul acteur présent. IBM est aussi très actif sur ce segment. Elle propose Cobol on z/OS, Cobol for Aix,…Allez voir sur son site « Cobol café ». Il est très intéressant. Vous pourrez constater par la richesse et la variété des discussions que Cobol n'est pas mort.
Mais à côté de ces deux leaders : Micro Focus et IBM il existe de nombreux produits autour du Cobol. Un site américain les recense : The COBOL Center . Il existe un Cobol sans run-time développé par Fujitsu Software : le NetCOBOL. Il est diffusé par Alchemy. Il existe une version qui fonctionne sur Azure, le service Cloud de Microsoft. NetCobol est diffusé depuis plus de 10 ans par Microsoft sous le nom de Cobol for Microsoft.NET.
On trouve aussi un système qui prend du Cobol et génère du code Java : Cobol for Java ou isCOBOL de Veryant. Il existe même plusieurs compilateurs Cobol libres : Cobol for GCC, Tiny COBOL et Open Cobol. Ce dernier produit est intéressant car il traduit le code Cobol en C puis le code produit est compilé en C avant d’être exécuté. Il fonctionne ainsi dans de nombreux environnements : Windows, Mac OS, Linux, Unix,… Une société de service française, Cobol-IT, assure la diffusion d’Open Cobol avec ou des interfaces pour Oracle ou DB2 mais en proposant aussi pour PostgreSQL et MySQL.  Comme on le voit le Cobol n’est pas mort. Au contraire il est bien vivant. La question n’est pas de savoir si Java le remplacera mais plutôt de se demander si un jour on ne va pas constater que Cobol a fini par remplacer Java dans le domaine de la gestion.

Sur ce sujet voir sur ce même blog : "Le Cobol n’est toujours pas mort" du  mardi 10 décembre 2013


[1] - 7 euros la ligne de code est un prix d’ami. Je pense que le coût réel : conception, réalisation et tests compris est plus près de 25 euros que de 10 euros.
[2] - Le PIB de la France en 2010 est de 1.932 milliards d’euros.

vendredi 16 décembre 2011

Les tablettes vont-ils tuer les PC ?

Le succès de l’iPad est indéniable. Des millions d’utilisateurs se sont rués sur les tablettes depuis 2 ans. IDC estime que 63 millions d’unités ont été vendues en 2011 (selon DisplaySearch il se serait même vendu 73 millions de tablettes sur 285 millions de PC portables) et en France le total des ventes serait égal à 1,5 millions de tablettes. Environ 70 % sont des iPad. Les tablettes sous Android de Google n’arrivent pas à percer et la tendance est à la diminution de leurs parts de marchés (Samsung Galaxy Tab, Xoom Motorola, Inspirion duo Tablet PC de Dell, Eee Pad d'Aesus, Ideapad de Lenovo,…). Le PlayBook de RIM et TouchPad sous WebOS ne font pas mieux et les tablettes sous Windows sont invisibles.
GFK estime qu’au cours du seul mois de décembre 2011 400.000 tablettes vont être vendues en France alors que sur toute l’année 2010 seulement 435.000 ont été vendues. IDC estime les ventes de 2012 à 4 millions de tablettes. Cela va être la ruée.
Le succès de l’iPad 2 est extraordinaire et provoque l’enthousiasme de ses afficionados. Il est fréquent qu'au cours d’un dîner, d’un voyage ou d’une réunion ils le sortent et ils ne peuvent pas s’empêcher de vous montrer comme l'objet est beau et de vous faire une démonstration : « on peut tout faire avec » affirment-ils : mailing, traitement de texte, prise de photos et gestion de l’album, lecture de livres ou du journal,… « Il existe des dizaines de milliers d’applications (1), dont une grande partie sont gratuites ».
C’est un succès marketing étonnant. Ils sont tellement heureux qu’ils ne voient pas qu’il manque à leur tablette des fonctions essentielles nécessaires pour une utilisation courante confortable comme l'existence d'un port USB pour sauvegarder les données sur une clé, pour brancher sa propre clé 3G ou imprimer un document (2). De même, il n'est pas possible de mettre à disposition des utilisateurs de l'entreprise des programmes spécifiques sans passer par l’App Store de façon à ce qu'Apple puisse percevoir une redevance substantielle. Mieux, il n'est pas possible de changer la batterie, or en un ou deux ans elle doit être remplacé. Un ami enthousiaste m’a présenté l'iPad en disant que « c’est un iPhone avec un grand écran » en oubliant que c’est un téléphone portable avec lequel il n’est pas possible de téléphoner. C’est très fort. Bien sûr il est toujours possible d'utiliser Skype mais ce n'est pas très pratique dans le métro ou dans le train. De plus en 3 G ce n'est "théoriquement" pas possible.
De nombreux enthousiastes annoncent la mort du PC classique, qu’il soit fixe ou portable. Est-ce vraiment raisonnable ? Est-ce que les entreprises vont s’équiper massivement d’iPad ? Pour apprécier l’enjeu on se rappellera que les entreprises françaises disposent actuellement d’un parc de 16 millions de PC. Il faudra probablement un certain temps pour y arriver à tous les remplacer. De plus l’usage d’un clavier tactile est acceptable pour envoyer un mail pas trop long mais imaginez-vous travailler 4 à 5 heures de suite sans clavier ? IDC a interrogé à ce sujet un certain nombre d’utilisateurs d’iPad : 75 % ne pensent pas faire plus de la moitié de leurs travaux informatiques sur l'iPad. Seul 25 % des utilisateurs pensent dépasser ce seuil. Il faut donc pour la plupart des utilisateurs disposer d’un PC en plus d’une tablette. C’est, en quelle que sorte, leur deuxième voiture.  
Mais, paradoxalement, cette deuxième voiture est plus chère que la première voiture. Les prix de l’iPad sont élevés : le modèle de base (Wifi et 16 Go de mémoire) coûte 500 € HT et le modèle haut de gamme (3G, Wifi et 64 Go) est de 670 € HT. Comparé aux prix des netbooks on est dans un rapport du simple au double. Est-ce vraiment raisonnable ?
En vérité le développement professionnelle des tablettes est liée à l'apparition d'une application stratégique qui va permettre de développer l’emploi des tablettes comme l'ont été les tableurs, le traitement de texte, la messagerie et le Web pour assurer le succès des PC ? Pour l’instant cette "killer application" n’existe pas encore, mais ceci ne veut pas dire que demain elle ne va pas apparaître.
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1 - Il y a 460.000 applications disponibles sur l'App Store dont 90.000 fonctionnent sur l'iPad. Une grande partie sont des jeux.
2 - Pour sauvegarder les données il y a l'iCloud. C'est astucieux mais ce n'est pas simple ni très sûr. Il est possible d'imprimer un document avec une imprimante Wifi.