dimanche 15 avril 2012

Economie numérique : les silences de la campagne

La campagne présidentielle domine l’actualité. Elle fait l’essentiel des journaux télévisés et radios, sans compter les journaux. De nombreux sujets sont abordés et font l’objet de prises de positions des candidats comme le déficit des comptes publics, leur redressement, l’euro, la mondialisation, le made in France, l’école, le permis de conduire,… C’est un grand déballage d’idées et de propositions. Mais, il faut bien le constater, l’économie numérique est un des grands absents de la campagne. Personne n’en parle.
Un certain nombre d’acteurs du secteur du numérique comme le Syntec Numérique, le Sfib, l’Afdel (éditeurs de logiciels), le FFT (opérateurs de télécoms), l’Acsel (vente en ligne), l’Apeca (dématerialisation), le Crip (responsable infrastructure et production), l’Eurocloud (éditeurs du cloud), la Fevad (e-commerce), le Forum Atena (télécoms et sécurité), la Renaissance Numérique (think tank), le Snjv (éditeurs de jeux en ligne), et Systematic (pôle de compétitivité) se sont regroupés dans le collectif « Union du Numérique » ([1]) pour rappeler l’importance de l’économie numérique. Ils n’hésitent pas à annoncer quelques chiffres significatifs : le secteur emploie 1,5 million de salariés et ce chiffre a doublé en 15 ans ([2]). De plus la croissance du secteur représente 25 % de la croissance économique globale.
Comme nous l’avons vu dans une précédente chronique (Voir sur ce blog le message du 17 janvier 2012 « Enfin l’INSEE prend en compte l’informatique ») l’INSEE estime que les effectifs de l’économie numérique sont inférieurs de l’ordre de 900.000 personnes et considère que la croissance du secteur est en moyenne période de 0,4 % de PIB soit 20 % de la croissance moyenne. Ceci montre, une fois de plus, que quand on aime on ne compte pas. Malgré ces exagérations il est certain que le dynamisme du secteur des TIC tire la croissance économique globale. De plus ces investissements ont un impact sur le dynamisme du reste de l’économie qui est souvent ignoré.
Lorsqu’on évoque dans la campagne présidentielle l’économie numérique seule deux thèmes apparaissent :
- La loi Hadopi. Certain la défende bec et ongle alors que d’autres rêvent de la supprimer, mais entre nous, c’est un peu un sujet accessoire. L’enjeu est faible et il peut probablement être traité de manière moins répressive,
- Le Très Haut Débit. Il consiste à faire venir la fibre optique jusqu’au domicile de l’utilisateur. C’est une excellente idée mais c’est un investissement considérable évalué à 25 milliards d'euros pour couvrir 50 % du territoire français pour un gain qui reste à démontrer.
Les autres sujets sont ignorés. Est-ce bien l’essentiel des sujets concernant l’économie numérique ? N’y a-t-il pas des thèmes de débats intéressants et des enjeux ? Ne serait-il pas opportun de fixer de nouvelles orientations ? Manifestement il n’y a pas de réponse.
Sœur Anne ne vois-tu rien venir ?
Aucun des dix candidats à la présidence de la république ne propose dans son programme une quelconque mesure concernant l’économie numérique. Tout le monde attend le retour de la croissance mais en oubliant les moyens permettant d’y arriver et notamment les TIC. Ceci est dû à la conjonction de trois facteurs :
- La méconnaissance de l’économie numérique par les candidats mais plus généralement par les politiques et les élites françaises. Ils considèrent que ce sont des sujets techniques qui ne les concernent pas. C’est une véritable faiblesse. Manifestement le rapport Attali (« Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française ») a été oublié, en particulier son chapitre 3 :« les révolutions à ne pas manquer » et spécialement les pages sur« le numérique, passeport de la croissance ».
- L’opinion est peu sensible au thème de l’économie numérique. Il existe pourtant de nombreuses « success story” dans le secteur mais elles sont peu connues. Les entreprises californiennes comme Apple, Google, Amazon,… sont mondialement connues mais on ignore les leaders de la technologie se trouvant en Europe ou en France. Les innovations motrices de la croissance sont exclusivement vues comme américaines alors qu’il existe sous nos yeux de nombreuses mises en œuvre originales et efficaces.
- Les usages quotidiens de l’informatique se sont banalisés. Depuis longtemps, dans la plupart des entreprises françaises les applications informatiques ne font plus rêver. On a le sentiment que les projets mis en œuvre sont nécessaires mais ils ne permettraient pas de dégager les gains spectaculaires qui étaient attendues. Trop peu de projets permettent de créer de la valeur. Mais ce n’est pas exact car de nombreuses applications sont rentables mais il est vrai que ce n’est pas systématiquement le cas.
Les décideurs ayant des idées claires sur l’économie numérique sont assez rares. Ceci explique qu’ils ont du mal à fixer les orientations à mettre en œuvre dans ce domaine. Le faible impact du plan Besson de 2008 et le probable échec du plan Besson 2011 sont dues à la même cause : ils proposent de nombreuses mesures ponctuelles, dont certaines sont intéressantes, mais il y a peu d’orientations globales. Dans les entreprises ce n’est pas mieux. Souvent il n’y a pas de stratégie informatique et quand il y en a une, elle est peu innovatrice.
Quelques axes d’amélioration
Pour améliorer cette situation il est nécessaire convaincre les décideurs de l’importance de l’économie numérique. Pour cela on doit s’attacher à communiquer autour de quelques idées claires et compréhensibles. Ce sont par exemple les cinq orientations suivantes :
1. Faire baisser les coûts des télécommunications. Elles sont notablement plus élevées en France que dans les autres pays développés et explique en partie le médiocre positionnement de notre pays dans le classement NRI, le Networked Readiness Index ([3]), du World Economic Forum de Davos ([4]). Il montre qu’il existe un « gap » important en ce domaine et qui freine le développement de l’économie numérique. Il est certain que la récente offensive de Free Mobile va dans le bon sens mais il y a encore du chemin à parcourir.
2. Améliorer le contexte administratif et réglementaire. Ce terme recouvre de nombreux points différents ([5]) signalés par l’étude du World Economic Forum et qui met en évidence un certain nombre de fragilités structurelles de l’Etat français. Depuis de nombreuses années les entreprises françaises et notamment les PME souffrent de ce contexte lourd et peu efficace. Le défaut de compétitivité de ces entreprises est, en grande partie, dû à ces insuffisances.
3. Inciter les entreprises à investir dans les TIC. L’informatique n’a pas une bonne image. De nombreux dirigeants pensent que c’est un coût sans contrepartie. Ils sont toujours réticents à effectuer des investissements sans contrepartie. Cette situation paradoxale est probablement due au fait que trop de projets ont un impact trop incertain sur la capacité des entreprises à créer de la valeur. Mais c’est surtout dû à leur faible connaissance de l’économie numérique.
4. Formation des décideurs et des managers à la mise en œuvre des TIC. Les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre n’utilisent pas les mêmes termes, les mêmes démarches et les mêmes concepts. Il est indispensable qu’ils parlent le même langage, qu’ils maîtrisent les concepts de gestion de projet, de pilotage de l’activité informatique et plus généralement qu’ils aient une réelle maîtrise des systèmes d’information.
5. Mieux communiquer sur les résultats des TIC. Il existe en France de nombreuses « success story » liées à la mise en œuvre de l’informatique, mais elles sont souvent ignorées. De plus il existe dans le monde de nombreuses applications intéressantes. Pour éviter ce type de situation il serait souhaitable de mieux les faire connaître ces réussites au management des entreprises, aux politiques et aussi au grand public.
Ces axes d’amélioration sont simples. S’ils étaient mis en œuvre ils permettraient de changer l’attitude des décideurs envers l’économie numérique. C’est la base d’un meilleur usage des TIC au profit de la croissance.


[1]- Sur les 13 organismes 9 sont des syndicats professionnels.
[2]- Un doublement en 15 ans correspond à une croissance de 4,7 % par an.
[4]- Ceci concerne les coûts d’installation du téléphone fixe, son coût d’abonnement et le coût des communications mais aussi le tarif de la téléphonie mobile et le tarif de connexion fixe à Internet.
[5]- L’enquête du World Economic Forum de Davos pointe la difficulté d’accès au « venture capital », la faiblesse des pôles de développement, le poids de la régulation administrative sur les entreprises, l’impact du niveau des taxes sur l’incitation à travailler ou à investir, le poids des différentes taxes par rapport au total des profits commerciaux, la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, le taux d’inscription dans l’éducation supérieure, la qualité du système d’éducation, la collaboration université-industrie en matière de R&D,...


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