dimanche 28 mai 2017

L’art d’organiser un projet


Un projet, quelle que soit sa nature, n’est pas spontanément organisé. Si on n’y prend pas garde rapidement il risque de devenir assez confus et cela va se traduire par des micro-conflits et finalement des pans entiers du projet qui sont oubliés. Pour éviter ces dérives il est nécessaire de répondre aux cinq questions de base : Qui fait Quoi, Où, Comment et Quand. C’est le classique QQOCQ.
Pour rendre la gestion du projet efficace il est nécessaire de définir une organisation adaptée. Si elle n’est pas mise en place il n’y a aucune raison pour qu’il arrive à atteindre spontanément ses objectifs. Si le dispositif de pilotage n’est bien conçu si les objectifs ne sont pas clairs ou si l’enchainement des opérations se déroulent dans le désordre le projet risque de dériver et finalement d’échapper à tout contrôle. Il tend alors à s’enkyster et il finit par devenir un projet perpétuel. En effet il n’a aucune raison pour qu’il se termine or, par définition, un projet est une organisation temporaire encadrée par un planning et un budget.
Pour ces raisons il est indispensable de commencer le projet en définissant son organisation. Dès que le chef de projet est nommé sa première tâche consiste à définir l’organisation à mettre en place. Ce travail est indispensable afin de rendre le projet pilotable. Si les petits projets sont simples et faciles à organiser, par contre les grands projets sont nettement plus complexes et difficiles à mettre en œuvre. Ce qui va suivre dans ce post concerne les grandes et moyens projets. Il ne concerne pas le flux de petits projets qui est le quotidien des services informatiques.

Fixer les objectifs du projet et de l’application

La première étape de toute démarche d’organisation du projet consiste à lui fixer des objectifs. Ils peuvent concerner le projet proprement dit ou la future application. Bien sûr ils peuvent être communs aux deux. Mais la plupart du temps ils sont différents. Les objectifs du projet reviennent à assurer son bon déroulement alors que les objectifs de l’application est d’améliorer la rentabilité de l’entreprise, augmenter sa réactivité ou réduire le nombre de non-qualité.
Pour que le projet se déroule sans peine il est nécessaire que des objectifs du projet soient clairs et effectivement atteignables. Ce sont, par exemple, une date de mise en place à respecter ou des performances transactionnelles à atteindre. Très souvent on constate que l’objectif d’un projet est son budget ou la charge de travail qui lui est allouée. Mais il faut être prudent face à ce type d’indicateurs car ce ne sont pas de vrais objectifs mais des ressources mis à la disposition du chef de projet.
Le choix des objectifs est très important car il permet de structurer le projet. Il est pour cela recommandé d’avoir des objectifs quantifiables car il est ainsi possible de mesurer qu’ils sont effectivement réalisés. On peut ainsi évaluer de manière simple sa capacité à atteindre ses objectifs. Il existe aussi des objectifs qualitatifs. Ils sont intéressants mais plus difficiles à évaluer et peuvent prêter à interprétation. Il est pour cela préférable de ne pas les utiliser.
Il est de même recommandé de ne pas avoir comme objectif des indicateurs de ressources sans cela les objectifs et les ressources finissent par se confondre. Il est toujours préférable de choisir des objectifs liés aux performances de la future application.
Les objectifs sont souvent fixés très tôt, lors du lancement du projet. Ils doivent ensuite être validés lors de l’étude de faisabilité (étude d’expression des besoins, étude d’opportunité, ….) est terminée. Les objectifs ont une influence sur le planning du projet, son budget et l’évaluation de ses gains. De plus, ces objectifs ont un effet important sur les choix de solution technique et fonctionnelle adoptés.
Dans tous les cas ces objectifs doivent être validés par le management concerné et le maître d’ouvrage. Ils ont la responsabilité de s’assurer à ce que qu’ils existent et qu’ils soient raisonnables. L’absence d’objectif ou le choix d’objectifs inadéquates est une cause fréquente de dérive des projets. Il doit ensuite s’assurer que les ressources disponibles sont adaptées aux objectifs recherchés.
Quoi qu’il en soit l’absence d’objectif a pour effet de rendre difficile pour qu’un projet permet d’obtenir des résultats satisfaisants.

Etablir un planning avec des livrables clairement définis

Une fois les objectifs fixés la deuxième étape de la démarche consiste à découper le projet en phases et en étapes. Ce travail est indispensable car un projet peut comporter plusieurs centaines de tâches, voire plusieurs milliers. Or, il est très délicat de suivre chaque tâche et il est difficile d’arriver à avoir une vue d’ensemble de toutes les tâches. On a pour cela pris l’habitude de les regrouper dans des ensembles homogènes appelés phases, étapes ou lots. Généralement ils correspondent à un découpage temporel des opérations : la conception, la réalisation, les tests, …. Cela peut aussi être des ensembles d’opérations confiées à une autre équipe ou à un sous-traitant.
L’établissement de ce découpage n’est pas évident. Il existe autant de découpages possibles qu’il y a de chefs de projets. Chacun a son approche. L’observation montre que certains sont bien conçus alors que d’autres sont franchement mal organisés. Dans ce domaine l’expérience des chefs de projet ou des maîtres d’ouvrage joue un rôle important.
C’est toujours un travail délicat nécessitant un véritable savoir-faire. Il est important de veiller à ce que les étapes ne soient ni trop longues ni trop courtes. La durée raisonnable d’une étape est comprise entre deux ou trois mois. Si elle dure plus longtemps, on a intérêt à la couper en deux. Ainsi une étape qui dure 6 mois est mieux contrôlée s’il existe un livrable intermédiaire fournis au bout de 3 mois. Un découpage bien conçu permet de détecter rapidement des retards et même de mesurer l’ampleur de la dérive.

Déterminer les rôles et les responsabilités

La troisième étape de la démarche consiste à définir le rôle des différents intervenants et de préciser qui fait quoi et quand de définir ils doivent le faire. On va pour cela établir un tableau RACI. Le sigle RACI veut dire R pour « responsible », responsable, A pour « accountable » qui peut être traduit par « autorité » mais en fait on vise ceux qui doivent rendre des comptes, C pour « consulted », consulté, et I pour « informed », informé. Ce tableau permet d’avoir en ligne les différentes tâches, ou des groupes de tâches, à accomplir et en colonne les différents intervenants et dans les cases on indique qui est responsable, qui doit rendre des comptes, qui est consulté ou qui est simplement informé. Généralement on établit ce type de tableau au début de chaque étape pour identifier les tâches à effectuer et le rôle des différents intervenants.
Les tableaux RACI est le cœur des notes de cadrages. Ce type de document est établi par le chef de projet au début de chaque étape du projet. Cas particulier : lors du lancement du projet permettant d’initialiser l’étude de faisabilité ce document est rédigé par le maître d’ouvrage. (Pour en savoir plus sur les notes de cadrage voir sur ce blog : « N'oubliez pas la note de cadrage ». Pour lire le texte cliquez ici ).
La rédaction d’une notre de cadrage à chaque étape du projet est un minimum mais il est possible d’aller plus loin est mettre en place des dispositifs plus puissants comme les PMP, les PDP, les PDL ou les PAQ :
-       Le PMP (Plan de Management de Projet) est un document couvrant l’ensemble du cycle du projet et mettant côte à côte les différentes notes de cadrage qui seront établies au cours du projet. Pour éviter les répétitions un certain nombre de dispositifs communs aux différentes étapes sont détaillées à part comme le fonctionnement du comité de pilotage, le suivi de l’avancement, le budget du projet, les principaux choix techniques, … A chaque étape du projet le document est remis à jour en détaillant le chapitre correspondant à la prochaine étape.
-       Le PDP (Plan de Développement de Projet). Dans le cas des grands projets complexes il est possible d’aller plus loin et de définir l’organisation des différents groupes de travail ou des comités les relations entre ces différents organes, la structure des documents à produire, …
-       Le PDL (Plan de Développement de Logiciel). C’est une démarche voisine du PDP. Elle est plus orientée vers la production du code et la manière dont il doit être organisé et testé. Cette démarche est surtout adaptée à la production de programmes complexes et de grande taille comme les applications militaires et spatiales, les logiciels systèmes, …
-       Le PAQ (Plan d’Assurance Qualité). C’est la base de toute démarche Qualité. Elle est basée sur la norme ISO 9001. Le PAQ s’attache à définir la manière dont va être produite et validé le code produit. De même il définit les documentations à établir et la manière dont le système Qualité va les produire et les valider. C’est une démarche plus ambitieuse que la mise en place de notes de cadrage ou un PMP mais assez voisine des PDP ou des PDL.
Quelle que soit la démarche adoptée il est indispensable de définir l’organisation à mettre en place. C’est le rôle des notes de cadrages comme des PAQ. Si ce n’est pas fait il ne faut pas s’étonner de constater que des facteurs très importants concernant la réussite du projet ne sont pas pris en compte et on risque alors d’assister à la multiplication des conflits de compétence entre les différents intervenants concernés par le projet (informaticiens, maitrise d’ouvrage et utilisateurs).

N’oubliez pas les gains

La troisième étape de la démarche du projet est de réfléchir aux gains liés à la future application. C’est essentiellement la responsabilité des métiers et des maîtres d’ouvrage. Il fut un temps, pas si lointain, où il était possible de lancer des projets conséquents sans déterminer ces gains. Aujourd’hui la plupart des projets sont dotés dès l’étude de faisabilité d’un budget. Celui-ci est plus ou moins bien correctement calculé mais il comprend au minimum la charge de travail des informaticiens. On trouve moins fréquemment l’ensemble des coûts de la maîtrise d’ouvrage et des utilisateurs participants au projet. Souvent les frais généraux liés au projet sont sous-évalués voir ignorés. On progresse même s’il reste encore des efforts à faire en matière de budget.
Par contre la situation est nettement moins satisfaisante en ce qui concerne l’évaluation des gains. Rares sont les projets ayant une évaluation prévisionnelle de qualité de ces gains. Cette situation est due à la conjonction de plusieurs facteurs.
La cause la plus grave est liée la difficulté éprouvée par un certain nombre de maîtres d’ouvrage de s’engager sur ces estimations. Les informaticiens maîtrisent assez bien leurs coûts, par contre les utilisateurs et leur hiérarchie ont plus de mal à imaginer ce que seront le détail des gains futurs et surtout de donner une estimation raisonnable de ces montants. Or, dans un projet, le plus important ne sont pas les coûts mais les gains et la rentabilité du projet. Cette prudence excessive explique le fait qu’un nombre élevé de projets une fois réalisés font apparaître des gains faibles voir nuls. Il serait de bonne pratique de les supprimer mais on risquerait alors de devoir faire face à un certain nombre de réactions hostiles y compris de la part des décideurs. Ceci explique en grande partie la prudence excessive constatée en ce domaine.
L’évaluation des gains est compliquée par le fait qu’il n’existe pas de barème des gains permettant d’effectuer des estimation rapides et fiables. Cela oblige à chaque fois d’effectuer des calculs complexes et un peu fragile.
Enfin les décideurs et les maitres d’ouvrage ont tendance à privilégier des évaluations analytiques et détaillées. Ils répugnent à effectuer des évaluations globales qui sont pourtant, l’expérience le monte, plus fiables que les évaluations analytiques.

L’importance du contrôle interne

Enfin, quatrième étape de la démarche, il est nécessaire qu’un projet soit régulièrement contrôlé pour éviter toutes les différentes dérives possibles. Il est notamment très important de s’assurer que les bonnes pratiques de la gestion de projet sont effectivement appliquées. Pour cela on doit de s’assurer que les projets respectent les règles de contrôle interne adaptés au contexte de la gestion de projet. C’est le rôle de l’audit de projet.
Bien entendu il existe des particularités propres aux projets mais la plupart des règles à appliquer sont de bonnes pratiques générales s’appliquant aux entreprises et notamment en matière d’investissement. Celles-ci sont largement connues mais elles ne sont pas pour autant appliquées. Compte-tenu des enjeux il est souhaitable de s’assurer qu’elles le sont. C’est une condition nécessaire afin d’améliorer la qualité de la gestion de projets.

Quelques règles de contrôle interne à appliquer

Parmi les nombreuses bonnes pratiques concernant les projets dix règles sont particulièrement importantes :
1.     A chaque étape il doit exister au minimum une note de cadrage. Cela peut aussi être un PMP (Plan de Management de Projet), un PDP (Plan de Développement de Projet) ou un PDL (Plan de Développement de Logiciel) ou un PAQ (Plan d’Assurance Qualité). La note de cadrage est une solution minimum et elle est souvent suffisante. (Pour en savoir plus sur les notes de cadrage voir sur ce blog : « N'oubliez pas la note de cadrage ». Pour lire le texte cliquez ici). Dans le cas des projets importants et complexes il est nécessaire de recourir à des dispositifs plus rigoureux.
2.     Chaque étape du projet se termine par un livrable et il doit y avoir un contrôle suffisant des livrables pour s’assurer que ce qui est livré est conforme à ce qui était prévu et s’assurer que rien ne manque. Le but de ce contrôle est de vérifier que le livrable est complet. La validation détaillée proprement dit du livrable est une opération plus conséquente, notamment celle de l’analyse fonctionnelle et du code développé. Souvent, c’est une étape spécifique.
3.     L’existence d’un comité de pilotage. Il est composé par les décideurs directement concernés par le projet. Il doit se réunir aux différents moments clés du projet pour prendre, si c’est nécessaire, les décisions qui sont nécessaires. Ils doivent avoir l’autorité nécessaire afin de prendre les décisions qui s’imposent. L’objectif n’est pas d’organiser tous les mois des réunions du comité de pilotage car les décideurs n’ont pas le temps disponible et si c’est le cas ils ont tendance à déléguer à des collaborateurs qui n’ont pas forcément l’autorité nécessaire pour prendre les décisions qui s’imposent.
4.     Des réunions périodiques autour du projet. Indépendamment des réunions du comité de pilotage. Il est nécessaire d’informer toutes les personnes concernées sur le contenu de la future application et l’avancement des opérations. Il est pour cela souhaitable d’organiser des réunions autour du projet. On va pour cela d’organiser des comités projet mensuel, des comités d’avancement, des comités de validation, des groupes de travail, …
5.     L’existence d’un tableau de bord mensuel. Les décideurs doivent recevoir périodiquement une information synthétique sur l’avancement du projet concernant le planning, la charge, les dépenses, l’avancement détaillée, … Il doit être établi dans les premiers jours qui suivent la fin du mois précédent et diffusé à la maîtrise d’ouvrage et aux membres du comité de pilotage.
6.     L’étude de faisabilité ou l’expression des besoins. Quelle que soit la méthode de développement utilisée (classique ou agile) il est nécessaire de commencer la conception de la future application par une étude permettant de définir son périmètre fonctionnelle (voir sur ce sujet dans ce blog le post : « Le problème du périmètre fonctionnel ». Pour le lire cliquez ici  ). Il est de même nécessaire de fixer le planning et le budget du projet.
7.     L’évaluation des coûts du projet (strict et complet) et sa rentabilité. Trop souvent les coûts du projet sont sous-évalués. Ceci se traduit inéluctablement par des dérives budgétaires qui sont généralement mal vécues par le management. (Voir sur ce sujet dans ce blog le post : « Estimer correctement le coût des projets informatiques ». Pour le lirecliquez ici )
8.     L’existence d’un planning et d’un suivi périodique. C’est l’outil de base pour piloter le projet et détecter d’éventuels retards. Un premier planning doit être établi lors du lancement du projet. C’est la « baseline ». C’est la base de référence. Ensuite, au fur et à mesure, on note les dates des livrables et des « milestones ». Ceci permet d’évaluer le retard du projet.
9.     La validation de l’analyse fonctionnelle. Une fois que l’analyse fonctionnelle est terminée elle doit être validée par l’ensemble des responsables concernés. Il est pour cela nécessaire de s’assurer d’un consensus suffisant. Ceci ne concerne pas les développements faits à l’aide de méthodes agiles car il n’y a pas d’étape d’analyse fonctionnelle. Dans ce cas les développements sont effectués de manière itérative avec les utilisateurs concernés. On doit dans ce cas s’assurer que ces derniers ont largement participé à la réalisation du projet.
10.  Distinguer les tests techniques, les tests utilisateurs et la réception. Trop souvent, pressé par le temps, ces différents types de tests sont effectués ensemble. Cela risque d’être insuffisant. Il est nécessaire de s’assurer qu’après une série de tests techniques permettant de s’assurer que l’application est opérationnelle les utilisateurs doivent effectuer des tests fonctionnels suffisants pour s’assurer que l’application est conforme à l’analyse fonctionnelle. On peut alors organiser sa réception qui aboutit un PV (Procès-Verbal) de réception et le cas échant une liste de réserve.
Ces dix bonnes pratiques permettent d’avoir une assurance raisonnable que le mode projet est correctement maîtrisé. Il est bien sur possible d’aller plus loin en se basant sur d’autre bonnes pratiques. Mais est-ce nécessaire ? Si aujourd’hui déjà tous les projets respectaient ces dix bonnes pratiques il est probable que leurs dérives seraient moins fréquentes et le cas échéant elles seraient de moins grande ampleur.
Pour s’assurer que les projets sont correctement maîtrisés il est nécessaire de les auditer périodiquement. Un projet de grande taille doit être systématiquement audité à une de ses étapes clé, en particulier à la fin de l’analyse fonctionnelle. Comme les enjeux concernant les projets de taille moyenne sont moins importants il n’est pas nécessaire de tous les audités. Il suffit d’en contrôler chaque année quelques-uns pour s’assurer que les projets se déroulent sans difficultés particulières.



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