jeudi 4 juin 2015

Informatique : Gains de productivité ou gains d’efficacité ?

Pour évaluer la rentabilité des projets informatique il est indispensable de recenser l’ensemble des gains possibles qui leur sont liés et de chercher ensuite à les valoriser. Malheureusement il n’existe aucune méthode générale pour les repérer et les évaluer. Pour y arriver il est nécessaire d’avoir une démarche pragmatique basée sur l’observation de ce qui se passe lorsque les applications sont mises en œuvre.
Elle montre qu’il existe deux grandes familles de gains :
·       Les gains de productivité,
·       Les gains d’efficacité.
Elles sont très différentes l’une de l’autre. Pour mieux comprendre leurs spécificités nous allons les décrire à l’aide d’exemples tirés de la pratique.

La productivité a été au rendez-vous

La productivité consiste à effectuer le même travail avec moins de ressources. Ce sont par exemples :
      Dans le domaine industriel. L’exemple type de ces gains est celui de l’ouvrier qui passe moins de temps à usiner la même pièce mécanique grâce à un matériel plus performant.
      Dans les services on fait des gains de productivité. Ainsi dans un restaurant si, en améliorant la prise des commandes, on arrive à servir plus de clients avec le même effectif on aura fait des gains de productivité.
      Dans l’administration il existe aussi des gains de productivité. Contrairement à une idée fausse souvent répétée, des gains peuvent être obtenus. Ainsi si on arrive à produire plus d'actes administratifs dans le même délai et avec les mêmes effectifs en réorganisant les opérations on aura fait des gains de productivité.
Comme on le voit les gains de productivité sont de nature très variés. Ils ne sont pas uniquement dans l’industrie. On en trouve dans tous les secteurs d’activité. Il est très nombreux et très difficile à tous les recenser.
Parmi ceux-ci les investissements informatiques ont jadis permis d’effectuer des gains de productivité massifs en particulier en automatisant les tâches administratives. Ils ont eu pour effet de réduire leur coût. Mais ce ne sont qu'une partie des gains de productivité possibles. Il est possible de réduire les consommations d’énergie ou de matière première. Ce sont aussi des gains de productivité.

Tentative de classification des gains de productivité

Les gains de productivité possibles sont nombreux et très variés. On peut les classer en trois grands groupes :
      Les coûts directs correspondent pour l’essentiel à la diminution des coûts de production et de logistique. On peut aussi prendre en compte les gains obtenus sur les traitements de masse activités administratives. Ce sont par exemple :
·       Les coûts de personnel. Ils peuvent être réduits grâce à une diminution des qualifications nécessaires du personnel pour effectuer le même travail,
·       Une meilleure utilisation des machines et des équipements. Ces gains sont obtenus grâce à une meilleure planification des travaux effectués et une réduction des temps d’attente et de réglage,
·       La consommation de matière première. Dans la confection on peut chercher à mieux utiliser le tissu disponible en calculant les plans de découpe à l’aide d’un ordinateur connecté à une machine de coupe.
·       Une réduction de la consommation des énergies et des consommables par un pilotage plus efficaces des machines et des équipements.
Comme on le voit les gains sur coût direct concernent pour l’essentiel les activités industrielles. Mais elles peuvent aussi concerner la logistique et les opérations administratives et comptables de masse. Dans tous les cas l’informatique permet de mieux maîtriser la complexité des opérations et de mieux utiliser le parc de matériel disponible
      Les gains obtenus sur la consommation d’unités d'œuvres. Celles-ci correspondent à l’activité nécessaire pour produire une unité que ce soit un la production d’un bien, le traitement d’une opération administrative (gestion d’un crédit, établissement d’un contrat d’assurance, saisie d’une pièce comptable,…), la commercialisation d’un volume de produits ou de services,… C’est le domaine où les entreprises ont réalisés depuis cinquante ans les progrès les plus importants. Il y a 20 ans pour produire une voiture il fallait en moyenne 45 heures de main d’œuvre. Aujourd’hui on est à 25 heures. Une partie de ces gains est dû à l’informatisation des processus. Ces gains se manifestent de différentes manières :
·       La diminution des temps de main d'œuvre par pièce. C’est l’exemple type des gains de productivité et l’informatisation des machines de production a joué un rôle important dans ce processus. Dans le domaine administratif, grâce à une saisie interactive et de contrôles efficaces on peut obtenir une diminution du temps nécessaire pour établir un dossier ou pour passer une transaction. Dans le domaine commercial on mesure ces gains par un indicateur comme le VHT (Ventes par heure travaillée) qui mesure le nombre de clients, ou le nombre d’articles traités par employé en une heure. 
·       L’informatisation des machines de production permet aussi de réduire les temps de réglages. De même l’équipement des postes de travail de bureaux en PC mais aussi en serveurs et en systèmes de communication a permis d’augmenter de manière significative la productivité des cols blancs. Les gains sont peut-être moins spectaculaires que dans le domaine industriel mais ils sont certains et conséquents.
·       La réduction des surfaces de stockage nécessaires. Jadis les entrepôts étaient rangés dans un ordre logique de façon à retrouver facilement la marchandise recherchée. Aujourd’hui les palettes sont rangées là où il y a de la place et on les retrouve grâce au système informatique. Dans le même entrepôt on peut ainsi stocker entre 30 et 50 % de marchandises en plus. Or un entrepôt de grande taille coûte des dizaines de millions d’euros. C’est une économie en capital mais aussi des gains importants sur les opérations de manutention.
·       L’amélioration de la logistique. Elle se fait en diminuant le nombre de kilomètres parcourus pour effectuer les livraisons aux clients. La gestion des tournées est un grand classique de la recherche opérationnelle. Doublée par le « tracking » des colis il a été possible de réduire le nombre de plis perdus en route et de mieux maîtriser la dates et l’heure de la livraison.
      Le développement des systèmes d’information ont permis de lutter contre l’alourdissement des frais généraux. Cela a joué de deux manières différentes :
·       en stabilisant puis en diminuant le niveau moyen des frais généraux. L’informatique fait généralement partie des frais généraux des entreprises mais ces coûts supplémentaires ont permis de réduire les coûts de fonction comme l’administration des ventes, les achats et approvisionnements, la comptabilité,…. Ceci a eu un effet global sur la masse des frais généraux. Mais ces gains ont souvent été perdus par des dépenses somptuaires comme des sièges sociaux ressemblant à des palais des Milles et Une Nuits. Un peu de sagesse aurait effectivement permis de réduire le poids effectif des frais généraux.
·       un important travail de rationalisation a permis de réduire la consommation de certaines ressources par unité produite comme la comptabilité, la facturation, le taux d’encadrement,… Il est certain que ces gains auraient pu être obtenus sans recourir à l’informatique. En fait elle a permis, une fois qu’ils ont été dégagés de les stabiliser et d’éviter tout retour en arrière.
Ces différents exemples montrent que les gains de productivité ont été importants. Ils ont justifié les investissements informatiques effectués pendant de nombreuses années. Depuis le milieu des années 90 leur importance diminue car ils ont été dépassés par les gains d’efficacité.

Miser sur l’efficacité

L'efficacité consiste à obtenir un résultat supérieur en employant les mêmes ressources. Cela se traduit pas une augmentation du chiffres d’affaires, un accroissement de la valeur ajoutée créée par l’entreprise, une amélioration de sa marge brute et finalement une augmentation de sa marge nette. L’observation montre que l’informatique est un remarquable et puissant moyen d'augmenter l'efficacité des entreprises.
Les gains d’efficacité sont nombreux et massifs. On peut les classer en quatre groupes :
      Les actions sur le chiffre d'affaires de l’entreprise. Elles sont très nombreuses et variées comme par exemple :
·       L’augmentation des quantités vendues aux mêmes clients se fait par de nombreux moyens et notamment des programmes de fidélités qui snt des systèmes permettant de suivre le client et d’acheter de préférences les produits de l’entreprise comme les Miles des compagnies aériennes ou les cartes de fidélité des distributeurs.
·       L’accroissement du prix moyen par article. Ceci est obtenu se fait en offrant des gammes de produits comprenant des offres peu coûteuses mais un peu primitives et d’autres plus sophistiquées et donc vendus à un tarif nettement plus élevés. C’est une stratégie classique reprise sur les sites de commerce électronique. Il est aussi possible d’avoir des systèmes de ventes incitant à augmenter les achats par commande ou incitant le client à acheter plus fréquemment, par exemple par des remises, des promotions, des ventes flash,…. L’informatique facilite ces démarches surtout si le client est « on-line ».
·       L’approfondissement de l’offre. Cette approche est assez difficile dans un magasin physique car la place d’exposition coûte chère. Par contre sur un site Web on peut multiplier les offres. On n’est limité que par la place disque et le coût de saisie de la fiche produit. Il n’est même pas nécessaire d’avoir la marchandise en stock il suffit d’avoir un accord avec un partenaire qui en dispose et à qui on transfert la gestion de la commande.
·       L’augmentation du nombre de clients grâce à des mailings ciblés, des bandeaux sur les pages Web ou des offres « personnalisées », offres liées à des mots clés,…Cela joue bien entendu dans le domaine du commerce électronique mais cela joue aussi dans le commerce physique et les services, moins dans celui de l’industrie.  
·       La vente de nouveaux services liés au produit acheté. Lorsqu’on achète une voiture le vendeur peut proposer au client un crédit, une assurance, voir un contrat d’entretien. Ce sont à chaque fois des systèmes d’information développés par des fournisseurs et adaptés aux demandes des clients
      La valeur ajoutée crée qui permet de mesurer la capacité de l’entreprise à créer des richesses ([1]). Elle est évaluée par le ratio entre la valeur ajoutée crée par l’entreprise et son effectif. Les systèmes d’information constituent un levier puissant de création de valeur :
·       La recherche de produits plus sophistiqués. Cela s’appelle la remontée en gamme. Dans le cas de l’automobile c’est une voiture standard mais avec plein de fonctions sophistiquées permettant de majorer significativement le prix de vente jusqu’à ce service se banalise et fasse partie du produit standard comme l’ABS, l’EPS ([2]) ou le GPS. Demain des systèmes informatique prendront en charge la sécurité, voir la conduite de véhicule. Ils s’intègrent dans de véritables systèmes d’information.
·       La demande de services plus qualifiés correspond à une clientèle évoluée qui a besoin de conseils et d’assistance. Elle fuit le vendeur trop habile et cherchent l’avis des lecteurs (Amazon), des voyageurs (Tripadvisor), … Ce sont à chaque fois des systèmes d’information ciblés.
      La marge brute est un concept très proche de la valeur ajoutée. C’est une notion surtout utilisée par les commerçants. C’est la différence entre le prix de vente et le prix d’achat d’un bien. Les systèmes d’information sont des moyens très efficaces d’amélioration de la marge brute.
·       La réduction du prix d'achat des produits en améliorant les capacités de recherche de fournisseurs potentiels à travers le monde. Mais le principal levier consiste à créer des places de marchés qui permettent de regrouper ses achats avec ceux d’autres entreprises de façon à augmenter les volumes achetés.
·       L’augmentation des prix de vente des produits est l’autre grand levier d’augmentation de la marge brute. Elle est obtenu en améliorant leur valeur grâce à leur « électronisation » des biens comme les voitures, les téléphones, les téléviseurs, les machines à laver, …. Mais ceci se fait aussi en développant des services d’information complémentaires.
·       Le suivi des ventes permet de connaitre les chiffres d’affaires et les marges par articles, par famille d’articles, par client ou par groupes de clients,… Les analyses peuvent se faire en temps réels mais très souvent elles se font à la semaine ou à la fin de chaque mois. Elles permettent de lancer des actions comme des promotions, des rabais,… C’est ce qu’on appelle le mix-produit.
·       Le suivi des clients. Il est possible de suivre chaque client et de lui faire des offres ciblées au moment souhaitable en fonction de leurs achats antérieurs et de leurs centres d’intérêt. Avec les outils de suivi de la navigation il est possible de suivre de la même manière les prospects et de leur faire des offres ciblées.
      La marge nette est le bénéfice de l’entreprise. C’est la différence entre la marge brute et le montant des frais généraux. Le levier le plus important consiste à diminuer le niveau de ces frais. Dans de très nombreuses entreprises il est possible d’effectuer des efforts important dans ce domaine notamment en cherchant à augmenter la productivité des différentes fonctions concernées : comptabilité, administration des ventes, achats et approvisionnement,… Mais aussi à réduire le coût des locaux, les dépenses de la direction générale,…
Comme on le voit les gains d’efficacité liés aux systèmes d’information sont des enjeux considérables. Ils sont aujourd’hui le moteur du développement du commerce électronique et les nombreux services basés sur des systèmes d’informations. Ce qu’on appelle improprement « la transformation numérique » est en fait la recherche de nouveaux gains d’efficacité. Leur impact se mesure in fine sur le compte de résultat de l’entreprise mais pour les isoler il est souhaitable de disposer d’indicateurs significatifs permettant d’évaluer de manière ponctuelle la contribution de l'informatique à l'amélioration de l'efficacité de l’entreprise.

Que faire des autres gains ?

A côté de ces deux familles de gains on se demande souvent s’il n’existe pas d’autres types des gains comme le confort des utilisateurs, la qualité des programmes et des données, la sécurité de fonctionnement,… Ce sont des avantages indiscutables mais sont-ils pour autant valorisables ? Rien n’est moins sûr. Dans ces conditions est-il est possible de considérer que ce sont des gains ?
Que rapporte un système bien sécurisé ? Il est très difficile de chiffrer ce type de gains. Par contre on sait très bien ce que peut coûter un système mal sécurisé. Il est certain que les pertes peuvent atteindre des niveaux très élevés notamment si des informations importantes sont détruites ou volées. Mais ces montants ne sont pas des gains, ce sont, tout au plus, des coûts évités.
De même l’amélioration de la qualité des écrans de saisie se traduit par un meilleur confort pour les utilisateurs. Mais comment chiffrer en euros l’augmentation de leur satisfaction ? S’ils arrivent à être plus productifs il doit être possible de le mesurer. Si dans l’ancienne application il fallait 10 minutes pour saisir un nouveau client et qu’il n’en faut plus que 5 dans le nouveau on peut sans risque estimer qu’il y a un gain de productivité de 50 %. Mais si les temps de saisie sont les mêmes comment valoriser ces gains ?
Ces exemples montrent qu’il est très difficile de chiffrer les gains qui ne sont pas des améliorations de la productivité ou de l’efficacité. Dans ces conditions il est toujours possible de les signaler dans l’étude d’expression des besoins mais en précisant qu’ils ne sont pas chiffrables. 
Le bon sens est de considérer comme nul ce qu’on ne sait pas mesurer.
Mais, rassurons-nous, les gains liés à l’informatique sont là et ils sont massifs. Si ce n’était pas le cas pour quelle raison les entreprises, les administrations et les particuliers dépenseraient en France 124 milliards par an selon l’INSEE (http://rapportsalzman.blogspot.co.uk/2012/01/enfin-linsee-prend-en-compte.html) Au niveau mondial on peut estimer la dépense informatique à un montant compris entre 5.000 à 5.500 milliards de dollars ([3]). C’est plus que l’industrie automobile (2.000 milliards de dollars), l’électronique (1000 milliards de dollars) ou la pharmacie (640 milliards de dollars). C’est aujourd’hui un secteur moteur du développement car ce sont des investissements très rentables. S’il ne l’était pas, il y a bien longtemps que les ordinateurs auraient été rangés au musée à côté des diligences et des lampes à pétrole.




[1] - La valeur ajoutée est la différence entre le chiffre d’affaires et l’ensemble des achats effectués. C’est la somme des salaires, des charges sociales, des amortissements, des frais financiers et des impôts directs,
[2] - EPS : Electronic Stability Program ou en franàais correcteur électronique de trajectoire. En fait c’est un dispositif d’antipatinage.
[3] - La Gartner estime les achats de matériels, de logiciels, de service, de communication à 3.700 milliards de dollars (Voir le site de Zdnet). A ce montant il faut ajouter les salaires et les différents coûts : locaux, frais généraux,… qui sont de l’ordre de 1.000 milliards de dollars, soit un total de 4.700 milliards de dollars. De son côté l’OCDE estime que les dépenses d’informatique et de télécommunication sont de l’ordre de 6 % du PIB. Or ce dernier est estimé par le Cepii à 76.000 milliards de dollars en 2013 soit une dépense informatique de 4.560 milliards de dollars. Ces deux estimations donnent des résultats très voisins. 

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