mardi 21 février 2012

Les vœux-pieux et les douces illusions du Syntec Numérique

A la suite de l’AFDEL, le Syntec Numérique, syndicat des sociétés de service, a, à son tour, établi une liste de dix mesures qu’il suggère aux différents candidats à l’élection présidentielle (« 10 propositions pour les candidats à l’élection présidentielle de 2012 » Syntec Numérique). Il est vrai que l’élection présidentielle est le bon moment pour sensibiliser les futurs dirigeants aux problèmes et aux difficultés du secteur.
Guy Mamou-Mani, président du Syntec Numérique et co-président du Groupe Open, après avoir rencontré les conseillers des différents candidats il constate : « Il faut dire qu’en la matière il y a beaucoup de travail à faire. Ils ont peu de connaissance de notre secteur. On part globalement de zéro ». Le premier rôle de cette liste de mesures à comme premier objectif de sensibiliser les futurs dirigeants à l’importance de l’informatique pour le développement de l’économie et notamment du secteur des services informatiques.
10 mesures pour développer l’économie numérique

Ces mesures sont regroupées en quatre thèmes : 
·       Croissance économique de la France.
·       Emploi.
·       Efficacité de la dépense publique.
·       Transformation de la société.
Ces thèmes ne sont pas sans rappeler les conclusions de la « Commission pour la libération de la croissance française » dite Commission Attali de 2008. Elle a affirmé que l’économie numérique est un moteur clé de la croissance économique. Son développement permet d’accroître le volume d’emploi qualifié et l’augmentation de la valeur ajoutée créée. L’économie numérique se traduit par une importante amélioration de l’efficacité des entreprises et des administrations. Ce mouvement va permettre, à terme, une profonde transformation de la société.
Mais pour qu’elle se produise encore faut-il encore trouver les moyens d’action qui permettront de décoincer la situation actuelle. Les Plans Besson, qui devaient le faire, n’y ont pas réussi. Peut-être le plan du Syntec Numérique aura plus de succès. Pour cela il propose 10 mesures :
1.     Une reconnaissance des entreprises responsables valorisant leur capital humain.
2.     Un réseau unique de l’innovation simplifiant l’accès aux dispositifs existants.
3.     Un crédit Impôt Recherche consolidé apportant de la visibilité aux investissements des entreprises.
4.     Un crédit numérique PME, levier de la politique d’accompagnement numérique des petites entreprises.
5.     Des filières de formation numérique pour tous.
6.     Une modernisation de l’Etat amplifiée par le déploiement des technologies du numérique.
7.     Le numérique au service d’une relation entre l’Etat et le citoyen plus efficiente.
8.     Un déploiement accéléré de l’e-éducation.
9.     Un cadre de travail adapté au nomadisme numérique.
10.  Une extension des services numériques à domicile.
Ce sont des mesures intéressantes notamment le crédit numérique destiné aux PME ou la définition du cadre de travail adapté au nomadisme numérique. Mais est-ce qu’elles seront suffisantes pour assurer le développement économique recherché ? Par exemple, l’idée de renforcer la formation à l’informatique est un autre point très intéressant. Encore faut-il définir le contenu de cette formation. Mais est-ce que cela sera suffisant pour retrouver le chemin de la croissance ? C’est une utile mesure parmi de nombreuses autres. Mais seule elle risque d’avoir peu d’effets.

Convergence des diagnostics

La volonté du Syntec Numérique est de remettre la France en tête des pays les plus développés. L’objectif de faire en sorte qu’elle rejoigne le Top 5 du classement établi par The Economist et IBM dans l’étude : « Digital economy ranking 2010 » 

Or, dans ce classement, la France est classée 20ème alors qu’elle était encore en 2008 au 15ème rang. Les 5 leaders du classement sont la Suède, le Danemark, les USA, la Finlande et la Hollande. Ceci dit la France n’est pas en bas du classement mais dans une honnête moyenne en compagnie de l’Allemagne, de la Suisse et de la Belgique.


Cette étude est très intéressante car elle permet d’évaluer la capacité de l’économie à mettre en œuvre les technologies informatiques et de communication. Il est ainsi possible d’estimer les bénéfices qu’il est possible d’en attendre. Ce classement un indicateur permettant de juger la qualité et l’efficacité des politiques mises en œuvre. C’est aussi un bon indicateur permettant d’apprécier l’importance des efforts qui reste à effectuer.



La fragilité constatée par l’étude : « Digital economy ranking 2010 » est confirmée par l’étude effectuée en 2011 par The Economist et BSA : « Investment for the Future, Competitiveness 2011 »


Selon cette étude la France est classée dans cette étude en 21ème place en dégradation de quatre places par rapport à l’enquête précédente. Ceci est dû au fait que les investissements nécessaires ne sont pas à la hauteur de ceux qu’il faudrait effectuer. Si on veut demain connaître d’une réelle croissance il est nécessaire de préparer l’avenir en investissant dès aujourd’hui. Or en ces périodes d’incertitudes économiques il est difficile de décider d’effectuer des investissements conséquents.


Il est à noter que le World Economic Forum a établi en 2011 un classement : « The Global Information Technology Report ».








Celui-ci, fait sur la base d’autres critères, classe aussi la France au 20ème rang. Il est vrai que le nombre de pays pris en compte est de 138 alors que les études de The Economist portent sur 66 pays. De plus la méthode d’évaluation n’est pas la même. Mais les résultats sont assez voisins.

Si l’informatique est réellement un facteur clé de croissance cela veut dire que nous avons un sérieux retard à combler. Dans ces conditions il est nécessaire de mettre en place un plan d’action énergique de façon à rattraper le retard constaté.
Une démarche en retrait par rapport à l’importance des besoins

Les dix mesures proposées par le Syntec Numérique sont un mélange de mesures générales et de mesures sectorielles nécessaires afin de développer l’activité informatique, dont celle des sociétés de service.
Les mesures d’ordre générales sont les suivantes : 5, 7, 8, 9 et 10. L’objectif est de renforcer la culture informatique (5), d’améliorer les relations entre les citoyens et l’Etat (7), de développer l’e-learning (8), de favoriser le télétravail (9) et d’étendre les services aux consommateurs basés sur l’informatique (10). Ces mesures sont intéressantes mais il est probable que l’Etat risque d’avoir du mal à dégager les ressources nécessaires pour les financer. Dans les années à venir le thème sera plutôt de réduire les dépenses, notamment celles concernant l’informatique. Si le Syntec Numérique veut être suivi il serait préférable de mettre l’accent sur la mutualisation des ressources, d’une meilleure maîtrise des projets et de réduction de leur coût. Pour y arriver l’Etat, les collectivités locales et le secteur de la santé vont avoir besoin de renforcer la gouvernance informatique.
Les mesures sectorielles proposées par le Syntec Numérique ont pour but d’améliorer le fonctionnement des sociétés de service. Ce sont les mesures : 1, 2, 3, 4 et 6. Elles ont pour but de favoriser les entreprises incitant au développement des compétences humaines (1), en améliorant le financement de l’innovation dans les PME (2), en pérennisant du crédit impôt recherche (3), en prévoyant un financement spécifique de l’informatique des PME (4) et en améliorant la gouvernance de l’informatique publique (6). Ce sont des mesures intéressantes mais est-ce qu’elles seront suffisantes pour améliorer la position concurrentielle des SSII françaises. Il est vrai qu’elles se portent globalement bien. Par contre, certaines ont quelques difficultés à se développer. Est-ce que ces mesures permettront de leur donner le dynamisme recherché ?
Renforcer les SSII françaises

L’amélioration de la gouvernance informatique de l’Etat est certainement un point important mais il n’est pas certain que ce soit le cœur des préoccupations des SSII. Pour les connaître il suffit de discuter avec les responsables de sociétés de service. Les trois problèmes les plus importants qu’elles rencontrent sont :
·       Développer les SSII française à l’internationale. Globalement leur présence à l’étranger est faible. Alors que les sociétés d’ingéniéring françaises sont très orientées vers l’exportation, les SSII ont plus de difficultés. En dehors de quelques réussites exemplaires les ventes de services à l’étranger sont rares et les tentatives d’implantation sont peu fréquentes. Elles sont plutôt réservées aux grandes entreprises. Il serait souhaitable de leur faciliter leur développement international, mais ce n’est pas évident à mettre en œuvre. 
·       Etre plus présent sur le marché de l’externalisation. Traditionnellement les SSII sont des fournisseurs de régie. Cela a été pendant de nombreuses années le cœur de leur activité. Elles ont du mal à vendre d’autres types de prestations notamment l’externalisation des traitements et notamment le cloud. C’est un marché considérable mais les SSII françaises s’intéressent plutôt à la reprise complète de services informatiques. Le nombre de SSII offrant des services complets comme la gestion de la paie, de la gestion des ressources humaines, du CRM, des logiciels intégrés (SAP, Oracle,…),… est faible.
·       Etre présent sur le marché des progiciels. Les grandes SSII sont aussi absentes du marché des progiciels. Elles sont des spécialistes du spécifique et du sur-mesure comme elles l’ont toujours été alors que depuis dix ans le marché a basculé vers l’emploi massif des progiciels. Elles ont laissé le marché des progiciels aux éditeurs et aux constructeurs qui sont, pour partie, devenues des sociétés de services. Si elles ne veulent pas être chassées du marché elles vont devoir offrir des progiciels.
Comme le montre ces trois axes d’action l’Etat a peu de moyen d’aider les entreprises du secteur de la SSII. De plus il est probable que la liste des dix propositions du Syntec Numérique risque d’avoir peu d’effets sur le fonctionnement des SSII et sur le volume d’activité global du secteur car elles ne concernent que partiellement les préoccupations des SSII.
Dans ces conditions, il est assez étonnant que les dirigeants de ces entreprises ont accepté un plan d’action aussi loin de leurs véritables préoccupations et des possibilités de l’Etat. Ceci montre qu’on ne s’improvise pas stratège. Le choix de quelques mesures ne fait pas un plan d’action structuré. Il est vrai que c’est un vrai métier. Tout cela manque un peu de vision. 

mardi 14 février 2012

Un cloud un peu nuageux

Le thème du cloud est à la mode. Selon le Gartner les DSI classent le cloud en tête de leurs préoccupations aux côtés des réseaux sociaux, de la mobilité et de la gestion de l’information. Le Ministère de l’Industrie a mis le cloud au cœur de sa stratégie informatique (voir le Plan France numérique 2012-2020, Bilan etPerspectivespages 12 et 13, voir ci-dessous) en espérant une baisse des coûts informatiques.


Pour l’instant cela donne lieu à un curieux conflit, dont nous avons le secret, pour se partager un pactole de 135 millions d’euros de fonds publics pour créer un service cloud franco-français avec deux projets concurrents : d’un côté Orange, Thales et la Caisse des Dépôts et de l’autre Dassault Systèmes et SFR.
Le thème du cloud a été récemment relancé par l’Agence Française pour les Investissements Internationaux, AFII, qui a publié une étude évaluant le marché français du cloud à 2 milliards d’euros en 2011 ([1]). C’est un montant considérable. Malheureusement ce chiffre est surement très surestimé Au niveau mondial il serait, selon cet organisme public, de l’ordre de 68,3 milliards de dollars en 2010. Ce chiffre est probablement surestimé. On a additionné des prestations très différentes notamment des services Web, des travaux faits à façon (paie, comptabilité), de l’externalisation de serveurs, du stockage externe de données, de la gestion de réseau… La notion de cloud est floue. Mais il est probable que le marché du cloud en France est plutôt de l’ordre 800 millions d’euros.
Il est d’ailleurs possible que ces calculs ne prennent pas en compte les vraies prestations de cloud fournies aux utilisateurs français comme celles assurées par Salesforce, Google App, Microsoft Azur, Amazon Web Services,…. C’est dommage. D’ailleurs Google, Microsoft, IBM ou Amazon ne publient pas de chiffres sur leurs activités cloud. Il est probable que ceci est dû au fait que les chiffres ne sont pas aussi élevés que ceux qu’ils auraient espérés.
Par contre on connait le chiffre d’affaires mondial du principal acteur du secteur : Salesforce. En 2011 son chiffre d’affaires a été de 1,6 milliards de dollars. Notons que cette entreprise est en pertes depuis plusieurs trimestres. On peut estimer le chiffre d’affaires de Salesforce en France à un montant de l’ordre de 40 millions d’euros ([2]). On est loin des 2 milliards d’euros annoncés.
Ce soudain intérêt de l’administration française pour le cloud computing est en grande partie dû au plan décidé en décembre 2010 par l’administration fédérale américaine. Son objectif est de basculer rapidement et massivement vers le cloud (« 25 point implementation plan to reform federal informationtechnology Management », Vivek Kundra, US Chef Information Officer ([3]).


C’est la stratégie du « Cloud First » dont l’objectif est de permettre aux administrations de fournir aux citoyens américains des services informatiques de bonnes qualités dans de meilleures conditions. De même le recours au cloud pour la messagerie pour l’ensemble de l’administration devrait permettre de faire baisser le coût de cette fonction de 50 %.

Un projet franco-français

En France, on s’intéresse plus à la mise en place de l’infrastructure du cloud qu’aux applications et aux utilisateurs. C’est l’objet du projet Andromède qui dispose d’un budget de 300 millions d’euros ([4]). Le but consiste à créer un cloud situé sur le territoire national de façon à ne plus être obligé de stocker des données sur des serveurs situés à l’autre bout du monde avec tous les risques liés à la distance, notamment les différences de législation, sans évoquer les risques liés au Patriot Act. De plus il y a la préoccupation d’améliorer la sécurité de l’accès aux données et de leur stockage.
Ce projet est basé sur un partenariat public-privé dont Orange est chef de file. L’objectif est de réaliser en 2015 un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Il sera installé au Val de Rueil en Normandie. Le centre de traitement de 5.000 mètres carrés est en cours de construction et il sera inauguré en juin prochain.
Parallèlement le Ministère de l’Industrie a lancé différents appels à projets comme le développement d’une plateforme d’ingénierie logiciel orientée cloud (CloudForce), la réalisation d’outils de portage d’application (CloudPort), la mise en œuvre d’infrastructure logicielle haute performance (Magellan), la création d’un cloud communautaire (Nu@ge) et un cloud destiné à l’enseignement supérieur (UnivCloud). Ce dernier projet regroupe 23 établissements de la région parisienne et concerne à terme 500.000 étudiants.   
Mais on ne sait toujours pas quelles seront les applications qui seront mises en œuvre sur ces systèmes informatiques. Or le développement du cloud ne peut se faire sans qu’il existe des applications originales et intéressantes. Est-ce que l’affirmation que les données resteront sur le territoire national sera suffisant pour entrainer un développement aussi rapide ?

Les applications du cloud

Il existe actuellement trois applications qui expliquent le développement du cloud. Ce sont :
·       La messagerie. Un grand nombre d’entreprises gèrent avec difficulté leur serveur de messagerie alors que de nombreux prestataires le font gratuitement ou pour un coût très faible : Google, IBM, Microsoft ; Orange, HP, SFR, ... Il est ainsi possible d’améliorer la qualité de service tout en réduisant significativement les coûts.
·       Le CRM, Customer Relationship Management. Face à des logiciels lourds, complexes et coûteux comme ceux de SAP, d’Oracle (Siebel, Peoplesoft),… Salesforce s’est imposé en misant sur la facilité d’utilisation et l’adaptation du logiciel aux besoins des commerciaux ([5]).
·       Les outils bureautiques comme le traitement de texte, le tableur, les logiciels de présentation, … Au lieu de fonctionner sur un PC à l’aide d’Office ils sont exploités sur des serveurs distants en recourant l’interface du navigateur Internet ce qui permet de réduire le coût des licences. 
Les autres applications jouent un rôle nettement plus marginal. Ce peut être de la paie, de la gestion des ressources humaines, de la comptabilité, la facturation, l’établissement des devis, la gestion de projet, … Ce peuvent aussi être des applications spécifiques à un secteur. Mais elles ne représentent actuellement que des volumes limités.
Il existe à côté de ces applications il existe deux autres possibilités intéressantes :
·       Le stockage de données. A l’origine Amazon a proposé une offre de stockage à prix cassé, le S3 : Simple Storage Service. Le prix est très bas : 0,093 dollars par Go et par mois alors que les concurrents proposent des prestations analogues pour des coûts compris entre 1 et 2 euros par Go et par mois. Cette possibilité est surtout utilisée pour la sauvegarde et l’archivage de données. Par contre il n’est pas raisonnable de les utiliser pour effectuer des traitements. Pour l’instant, c’est un marché de PME. Il est possible que l’arrivée d’Apple sur ce marché avec iCloud peut amener un développement rapide de ce marché.
·       La mise à disposition de serveurs. C’est un marché classique de location de moyens de traitement. On peut l’appeler cloud mais traditionnellement c’est de l’externalisation d’exploitation. L’originalité de cette offre est de proposer des machines virtuelles. Cette solution est intéressante notamment dans le cas du développement de nouveaux services Web pour lequel on a du mal à déterminer le nombre de futurs utilisateurs. C’est l’offre EC2 d’Amazon (Elastic Cloud) qui facture le service à l’heure. La plupart des hébergeurs comme Colt, Orange, SFR, OVH, IBM, HP,… offrent des services analogues sur la base d’un forfait mensuel en fonction de la configuration.
Ces prestations sont assez loin de l’approche classique du cloud. On les distingue en parlant d’IaaS et de PaaS par apposition au SaaS. IaaS c’est l’Infrastructure as a Service et le PaaS c’est la Platform as a Service. Ce sont des formes divers formes d’externalisation qu’il faut distinguer du SaaS : Software as a Service.

L’avenir du cloud

Dans ces conditions on peut s’interroger sur le réalisme de la démarche publique et l’importance donnée au projet Andromède. Investir 300 millions d’euros dans un marché de l’ordre de 900 millions d’euros par an, est-ce vraiment raisonnable ? Ceci explique probablement la tendance de l’administration à surévaluer l’importance du marché.
A l’origine de ce dérapage il y a probablement le plan Besson qui n’hésite pas à affirmer (page 12) que : « La dématérialisation des infrastructures informatiques permise par le cloud computing est porteuse d’enjeux majeurs en termes de simplification des usages et de compétitivité. Le cloud accroît la compétitivité des entreprises, avec une baisse des coûts informatiques estimée de 35 % à 50 %. En outre, il va générer de nouveaux services de logiciels, de plateformes et d’infrastructures à la demande. Le marché mondial du cloud computing atteint d’ores et déjà 5 milliards d’euros, avec une croissance de 35 % par an. »
Ces chiffres ne sont pas sérieux. Que veut dire 5 milliards d’euros alors que le seul marché français est estimé à 2 milliards d’euros. Ces chiffres sont sortis d’un chapeau et ils ne sont là que pour impressionner le lecteur. De plus ces chiffres, quel qu’ils soient, sont dérisoires par rapport au marché mondial de l’informatique qui est estimé par le Gartner à 3.800 milliards de dollars. Ce n’est même pas l’épaisseur du trait mais ces chiffres permettent de justifier l’affirmation péremptoire que : « L’industrie du cloud computing est stratégique pour notre économie numérique ».
Dans ces conditions il est urgent de se mobiliser. Le but de ce type d’affirmation est de faire passer n’importe quel projet, même les plus déraisonnables. Comme notre avenir en dépend il serait déraisonnable de mégoter sur les moyens à mettre en œuvre. Il est ainsi logique de dépenser des sommes considérables au bénéfice d’objectifs incertains.
Pour éviter ce type de gabegie il est nécessaire d’adopter une stratégie claire. Il est évident que le cloud est une opportunité qu’il ne faut pas rater. Mais au lieu de construire des centres de traitements il serait peut-être préférable de s’intéresser aux applications et aux utilisateurs.



[1] - Ce chiffre d’affaires semble un peu fort. IDC évalue le marché français du cloud à 846 millions d’euros tandis que Markess l’estime à 1.661 millions dont 840 millions de SaaS.
[2] - Estimation de l’auteur.
[3] - Vivek Kundra a récemment démissionné de cette fonction pour devenir enseignant à Harvard.
[4] -Ce chiffre est considérable car un centre de traitement comprenant 1.000 serveurs coûte de 4 à 6 millions d’euros.
[5] - Ce système est utilisé par 1,5 million commerciaux dans le monde travaillant dans 54.000 entreprises. Cependant il ne faut pas s’imaginer un système informatique gigantesque. Salesforce utilise un centre de traitement comprenant seulement 1.000 serveurs.

dimanche 5 février 2012

Le développement économique selon les éditeurs de logiciels

Plus la date de l’élection présidentielle s’approche, plus les différents lobbys s’agitent et interpellent les candidats pour obtenir des engagements en leur faveur. C’est une opportunité qu’il ne faut pas manquer. Or, elle ne se présente que tous les cinq ans. Faut-il encore que l’élu une fois au pouvoir ne soit pas frappé d’amnésie !
Les groupes d’influence les plus efficaces vont plus loin et proposent des plans qui, le moment venu, pourront être repris par les nouvelles équipes arrivant au pouvoir et recherchant des idées originales à mettre en oeuvre. Dans notre domaine trois groupes de pression efficaces se sont manifestés :





Ce dernier document est particulièrement intéressant et mérite d’être regardé de près. Il commence par un court texte de Patrick Bertrand, Président de l’AFDEL et directeur général de Cegid : « L’économie du numérique constitue un puissant levier de croissance et de productivité, en tant que telle bien sûr, mais surtout pour l’industrie et les services dans leur ensemble ». C’est une excellente approche, malheureusement le reste du texte n’est pas ne va pas dans ce sens.
Une liste un peu hétérogène
L’AFDEL propose une série de vingt mesures concrètes et pratiques : 
1.     Allonger le délai d’investissement des FCPI, Fond Commun de Placement l’Innovation, dans  à trois ans et réduire la marge de liquidité à 20 %.
2.     Porter l’avantage fiscal de 19 % à 30 % pour les FCPI pour relancer la collecte des fonds.
3.     CIR, Crédit Impôt Recherche - Mieux prendre en compte les dépenses de propriété intellectuelle et de protection du droit d’auteur.
4.     CIR - Anticiper les besoins de trésorerie initiaux des entreprises.
5.     Un impôt sur les sociétés (IS) réduit à 20 % pour les start-up technologiques.
6.     JEI, Jeune Entreprise Innovante anticiper la fin du dispositif en 2014 par une clause de rendez-vous.
7.     Guichet Unique - Création d’une Agence française de l’innovation.
8.     Guichet Unique - Création d’un portail web unique.
9.     Renforcer les critères économiques d’intervention du FSI, Fond Stratégique d’Investissement, et de CDC Entreprises.
10.  Création d’un indicateur de suivi de l’attribution des marchés publics aux PME technologiques.
11.  Définir un plan de gouvernance pour la réalisation de l’école numérique.
12.  Création d’une « Qualification numérique universelle ».
13.  Création d’une Cité du Numérique.
14.  Mise en place d’un stage PME Innovantes obligatoire en master 2 et grandes écoles.
15.  Rapprochement des autorités en charge de la régulation du secteur numérique.
16.  Renforcer les moyens du Conseil National du Numérique.
17.  THD, Très Haut Débit - Créer de nouveaux modes de financements.
18.  THD - Mise en place d’un gestionnaire unique du socle passif au niveau régional.
19.  THD - Dispositions contraignantes pour s’assurer du respect du plan national THD.
20.  Aménager les dispositifs de contrôle des concentrations.
Cette liste des mesures est intéressante mais elle est un peu décousue. Il y a de nombreuses idées. Pour les comprendre nous vous conseillons de lire le document de l’AFDEL. Le lecteur constatera alors que ces différentes propositions reposent sur quelques idées qui méritent d’être regardées de plus près.
Des présupposés qui restent à valider
Ces différentes mesures reposent sur quelques notions souvent répétées mais dont la véracité reste à démontrer :
·       Les PME sont les moteurs de la croissance car elles sont innovantes. C’est une idée souvent répétées. Malheureusement, à ma connaissance, il n’existe aucune statistique permettant de prouver que les PME sont un des facteurs clés de la croissance économique. Il est vrai qu’il existe des petites entreprises qui deviennent un jour de grandes entreprises mais ce n’est pas la majorité des cas. L’épicier du coin a peu de chance de devenir Carrefour. La grande masse des PME s’adressent à un marché local et leur croissance est faible. Il existe quelques petites entreprises en forte croissance mais elles sont peu nombreuses.
·       Il existe des PME innovantes mais ce n’est pas le cas général. Le plus grand nombres des PME ne font pas de recherche et travaillent le plus longtemps possible avec la même technologie. Lorsqu’elles changent c’est sous l’influence de leurs clients qui les obligent à changer de procédés ou de produits ou les fournisseurs d’équipement qui font évoluer leurs technologies. Il existe bien quelques PME créés par des chercheurs ou des innovateurs qui se mettent à leur compte. Mais rien ne prouve que l’essentiel de la R&D soit effectuée par les PME.
·       L’aide de l’Etat est nécessaire pour développer les PME. Si rien n’est fait elles resteront des petites entreprises. Cette vision, assez colbertienne, repose sur l’idée que seul l’Etat a le savoir-faire pour les aider. Elle repose sur deux affirmations qui restent à démontrer : les PME ont besoin d’aide et seul l’Etat peut leur fournir l’assistance nécessaire pour mieux gérer leurs affaires. Manifestement les syndicats professionnels, les chambres de commerce, les experts comptables, les commissaires aux compte, les consultants, les sociétés de service,… n’existent pas !
·       Les grandes entreprises n’ont pas d’avenir car elles sont trop grosses et empêtrées dans leur bureaucratie. Elles ne font pas de recherche, ne sont pas source d’innovation et n’ont pas de croissance. Là aussi, l’observation montre exactement le contraire. Un certain nombre de grandes entreprises ont des programmes de recherche massifs comme Sanofi, PSA, Renault, l’Oréal,… Par contre, il est vrai, que certaines entreprises françaises font peu de recherche où se trompent dans la fixation d’orientations de leurs programmes de recherche mais elles sont assez vite chassées du marché. Les faits montrent des entreprises du CAC 40 bénéficient sur moyenne période une croissance significative, malheureusement depuis une dizaine d’années elles se développement surtout à l’étranger.
Ces quatre affirmations, souvent répétées, sont fragiles et restent à démontrer. Même si elles sont souvent répétées elles ne sont pas très justes. On les retrouve derrière la plupart des mesures proposées par l’AFDEL.
Deux affirmations qui fragilisent ces politiques
 Ces fragilités concernent particulièrement sur deux points importants :
·       Les PME effectuent l’essentiel de la R&D. C’est une affirmation intéressante. Malheureusement, on n’en sait rien. Sur les 39 milliards d’euros dépensés en R&D en France on ignore la part des PME et celle des grandes entreprises ([1]). En fait on dispose de peu de statistiques sur la fonction Recherche des entreprises. Mais l’observation montre que l’essentiel de ces dépenses sont faites par l’université, une poignée d’organismes publiques de recherche et quelques centaines de grandes et de très grandes d’entreprises. La légende de Stève Jobs dans son garage est un mythe. Très vite les « ventures capitalists » sont arrivés et ont financé les investissements considérables nécessaires pour très vite faire d’Apple une grande entreprise.
·       La croissance économique est permise par l’effort de R&D. Cette affirmation est due à un certain nombre de théories économiques récentes qui cherchent à expliquer la croissance économique et affirment que la technologie serait un facteur de croissance au côté du travail et du capital. C’est notamment le cas des études de Solow, de Romer, de Sala-i-Martin, de Barro,… Elles reposent sur une forte corrélation constatées entre le volume de la recherche et la croissance du PIB. Cette relation est probable mais n’est pas mécanique. Cependant corélation ne veut pas dire causalité. De plus, s’il est possible qu’il y a globalement un lien entre la croissance et le niveau de la recherche, on constate qu’au niveau d’une entreprise il n’y a pas de relation prouvée entre le niveau de ses dépenses de recherche et son taux de croissance.
Pour que la R&D se traduise par une croissance effective de l’entreprise il faut que les innovations rencontrent les attentes du marché, permettent des gains de productivité et puissent être convenablement protégés par des brevets. 
Développer le secteur des logiciels par des mesures adaptées 
Or, curieusement, les demandes de l’AFDEL sont assez éloignées de ces préoccupations. L’analyse des vingt mesures proposées montre qu’elles n’ont rien de spécifiques au secteur de l’édition de logiciels. En dehors de quelques mesures spécifiques la plupart de ces mesures peuvent s’appliquer à de nombreux autres métiers. Ce sont les revendications de la plupart des syndicats professionnels : des subventions, des réductions d’impôts, des infrastructures payées par les contribuables, des financements à taux réduit, la simplification des procédures administratives,… C’est bien, mais est-ce que ces mesures seront suffisantes pour développer le secteur des logiciels ? On peut craindre que ce ne soit pas le cas.
Pour améliorer de manière significative la situation des éditeurs de logiciels français il est nécessaire de concentrer les actions sur les quelques points clés qui font le succès ou l’échec des entreprises de ce secteur :
·       Augmenter la taille du marché accessible. Le marché du logiciel français est de taille moyenne. De plus il est dominé par un certain nombre d’éditeurs étrangers notamment des américains, des allemands, des anglais,… comme Microsoft, IBM, Oracle, SAP, Sage, … La place laissée aux éditeurs français est limitée. Ceci explique qu’elles sont peu nombreuses et lorsqu’elles réussissent elles se font rachetées comme ce fut le cas de Business Object qui est maintenant intégré à SAP. Le marché résiduel est limité et correspond à des niches sectorielles ou à des applications spécifiques. Dans ces conditions pour se développer les éditeurs doivent viser les marchés étrangers. Il est pour cela nécessaire d’avoir des produits de qualité préexistants comme cela a été le cas avec Catia. 
·       Faciliter l’exportation. Le succès de Catia est, en partie dû, à l’alliance entre Dassault Systèmes et IBM. Les éditeurs français doivent trouver des partenaires qui sont des entreprises ayant des réseaux de distribution et intéressées par le développement de leurs activités dans le secteur du service. L’objectif est de favoriser la présence de ces entreprises sur les différents marchés de logiciels de grande taille notamment ceux des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne,...
·       Financer le développement des produits. Créer un logiciel et surtout le rendre apte à être commercialisé est un investissement conséquent. Il existe pour cela le Crédit Impôt Recherche mais comme le signale bien le rapport de l’AFDEL (mesures 3 et 4) il faut adapter le système car il n’a pas été conçu pour financer ce type d’opération mais pour favoriser les opérations de recherche au sens classique du terme. Il est de même nécessaire de revoir la pratique des amortissements des logiciels de façon à étaler ces charges sur la durée de vie du produit.
·       Renforcer le capital des éditeurs. L’observation des grands éditeurs de logiciels montre que c’est une activité nécessitant un volume de capital important car il faut financer des investissements significatifs dès le début du cycle des produits. L’idée qu’une petite PME avec 10.000 euros de capital soit capable de développer un logiciel important grâce à quelques subventions d’Oséo, d’un Conseil Régional, du FSI ([2]),… n’est pas réaliste. Même s’il y a eu quelques succès ils restent l’exception. Très souvent on espère recourir au capital-risque. Mais ces espoirs sont un peu illusoires car ces investisseurs se méfient de ces activités. En effet, même si l’entreprise réussit il est ensuite difficile de la mettre en Bourse.
·       Développer les compétences nécessaires. Le rapport de l’AFDEL insiste, à juste titre, sur l’importance de la formation pour garantir un développement régulier du secteur. Il propose pour cela quatre mesures (11, 12, 13 et 14). Elles sont intéressantes comme de mettre en place un TOFL numérique ou créer une cité du Numérique. Mais est-ce que ces mesures seront suffisantes ? Il est certain qu’il manque en France des compétences de marketing, de management et de gestion de projet capables de prendre en charge avec ce succès ce type d’activité.
Comme on le voit l’AFDEL doit encore faire un effort pour passer d’une liste hétéroclite de mesures à un véritable plan de développement sectoriel.

Et le développement économique ?

Depuis des années l’Etat ou des établissements publics ont tenté de susciter des initiatives dans le secteur mais avec des résultats médiocres ou incertains. Il faut le dire, on n’a pas encore trouvé le bon dispositif de développement.  
Est-ce qu’il existe un moteur de recherche français a réussi à s’imposer sur le marché ? Quel est le navigateur Internet français ? Y-a-il un traitement de texte ou un tableur français ?... Ils ont existés mais ont disparus.
L’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont réussi à dégager quelques leaders comme SAP, Sage, SoftwareAG,… Quelles sont leurs facteurs de succès ? De même il y a surement des réflexions et des approches intéressantes à tirer du succès de Catia. On en est assez loin.
Comme on le voit le développement de l’édition de logiciels et celle de l’économie du numérique, c’est une autre histoire. Cela fait des années que les professionnels s’inquiètent de voir passer les opportunités technologiques et marketing sans qu’elles ne soient pas saisies par les entreprises françaises. 



[1] - Un rapport de l’IGF, Inspection Générale des Finances, de 2010 estime que les entreprises de moins de 500 salariés représentent 26 % du total des dépenses de R&D alors que celles de plus de 500 salariés représentent 74 %. Le seuil des PME à 500 salariés est très discutable. Celui de 200 personnes aurait été plus juste.
[2] - FSI – Fond stratégique d’investissement : filiale de la Caisse des Dépôts et Consignation et de l’Agence de participation de l’Etat. C’est un fond souverain. Il a investi 21,8 milliards d’euros dans TDF, France Télécom, ADP, Accor, Vivendi, Sodexo, Lagardère, Air Liquide, Danone,…