mardi 21 février 2012

Les vœux-pieux et les douces illusions du Syntec Numérique

A la suite de l’AFDEL, le Syntec Numérique, syndicat des sociétés de service, a, à son tour, établi une liste de dix mesures qu’il suggère aux différents candidats à l’élection présidentielle (« 10 propositions pour les candidats à l’élection présidentielle de 2012 » Syntec Numérique). Il est vrai que l’élection présidentielle est le bon moment pour sensibiliser les futurs dirigeants aux problèmes et aux difficultés du secteur.
Guy Mamou-Mani, président du Syntec Numérique et co-président du Groupe Open, après avoir rencontré les conseillers des différents candidats il constate : « Il faut dire qu’en la matière il y a beaucoup de travail à faire. Ils ont peu de connaissance de notre secteur. On part globalement de zéro ». Le premier rôle de cette liste de mesures à comme premier objectif de sensibiliser les futurs dirigeants à l’importance de l’informatique pour le développement de l’économie et notamment du secteur des services informatiques.
10 mesures pour développer l’économie numérique

Ces mesures sont regroupées en quatre thèmes : 
·       Croissance économique de la France.
·       Emploi.
·       Efficacité de la dépense publique.
·       Transformation de la société.
Ces thèmes ne sont pas sans rappeler les conclusions de la « Commission pour la libération de la croissance française » dite Commission Attali de 2008. Elle a affirmé que l’économie numérique est un moteur clé de la croissance économique. Son développement permet d’accroître le volume d’emploi qualifié et l’augmentation de la valeur ajoutée créée. L’économie numérique se traduit par une importante amélioration de l’efficacité des entreprises et des administrations. Ce mouvement va permettre, à terme, une profonde transformation de la société.
Mais pour qu’elle se produise encore faut-il encore trouver les moyens d’action qui permettront de décoincer la situation actuelle. Les Plans Besson, qui devaient le faire, n’y ont pas réussi. Peut-être le plan du Syntec Numérique aura plus de succès. Pour cela il propose 10 mesures :
1.     Une reconnaissance des entreprises responsables valorisant leur capital humain.
2.     Un réseau unique de l’innovation simplifiant l’accès aux dispositifs existants.
3.     Un crédit Impôt Recherche consolidé apportant de la visibilité aux investissements des entreprises.
4.     Un crédit numérique PME, levier de la politique d’accompagnement numérique des petites entreprises.
5.     Des filières de formation numérique pour tous.
6.     Une modernisation de l’Etat amplifiée par le déploiement des technologies du numérique.
7.     Le numérique au service d’une relation entre l’Etat et le citoyen plus efficiente.
8.     Un déploiement accéléré de l’e-éducation.
9.     Un cadre de travail adapté au nomadisme numérique.
10.  Une extension des services numériques à domicile.
Ce sont des mesures intéressantes notamment le crédit numérique destiné aux PME ou la définition du cadre de travail adapté au nomadisme numérique. Mais est-ce qu’elles seront suffisantes pour assurer le développement économique recherché ? Par exemple, l’idée de renforcer la formation à l’informatique est un autre point très intéressant. Encore faut-il définir le contenu de cette formation. Mais est-ce que cela sera suffisant pour retrouver le chemin de la croissance ? C’est une utile mesure parmi de nombreuses autres. Mais seule elle risque d’avoir peu d’effets.

Convergence des diagnostics

La volonté du Syntec Numérique est de remettre la France en tête des pays les plus développés. L’objectif de faire en sorte qu’elle rejoigne le Top 5 du classement établi par The Economist et IBM dans l’étude : « Digital economy ranking 2010 » 

Or, dans ce classement, la France est classée 20ème alors qu’elle était encore en 2008 au 15ème rang. Les 5 leaders du classement sont la Suède, le Danemark, les USA, la Finlande et la Hollande. Ceci dit la France n’est pas en bas du classement mais dans une honnête moyenne en compagnie de l’Allemagne, de la Suisse et de la Belgique.


Cette étude est très intéressante car elle permet d’évaluer la capacité de l’économie à mettre en œuvre les technologies informatiques et de communication. Il est ainsi possible d’estimer les bénéfices qu’il est possible d’en attendre. Ce classement un indicateur permettant de juger la qualité et l’efficacité des politiques mises en œuvre. C’est aussi un bon indicateur permettant d’apprécier l’importance des efforts qui reste à effectuer.



La fragilité constatée par l’étude : « Digital economy ranking 2010 » est confirmée par l’étude effectuée en 2011 par The Economist et BSA : « Investment for the Future, Competitiveness 2011 »


Selon cette étude la France est classée dans cette étude en 21ème place en dégradation de quatre places par rapport à l’enquête précédente. Ceci est dû au fait que les investissements nécessaires ne sont pas à la hauteur de ceux qu’il faudrait effectuer. Si on veut demain connaître d’une réelle croissance il est nécessaire de préparer l’avenir en investissant dès aujourd’hui. Or en ces périodes d’incertitudes économiques il est difficile de décider d’effectuer des investissements conséquents.


Il est à noter que le World Economic Forum a établi en 2011 un classement : « The Global Information Technology Report ».








Celui-ci, fait sur la base d’autres critères, classe aussi la France au 20ème rang. Il est vrai que le nombre de pays pris en compte est de 138 alors que les études de The Economist portent sur 66 pays. De plus la méthode d’évaluation n’est pas la même. Mais les résultats sont assez voisins.

Si l’informatique est réellement un facteur clé de croissance cela veut dire que nous avons un sérieux retard à combler. Dans ces conditions il est nécessaire de mettre en place un plan d’action énergique de façon à rattraper le retard constaté.
Une démarche en retrait par rapport à l’importance des besoins

Les dix mesures proposées par le Syntec Numérique sont un mélange de mesures générales et de mesures sectorielles nécessaires afin de développer l’activité informatique, dont celle des sociétés de service.
Les mesures d’ordre générales sont les suivantes : 5, 7, 8, 9 et 10. L’objectif est de renforcer la culture informatique (5), d’améliorer les relations entre les citoyens et l’Etat (7), de développer l’e-learning (8), de favoriser le télétravail (9) et d’étendre les services aux consommateurs basés sur l’informatique (10). Ces mesures sont intéressantes mais il est probable que l’Etat risque d’avoir du mal à dégager les ressources nécessaires pour les financer. Dans les années à venir le thème sera plutôt de réduire les dépenses, notamment celles concernant l’informatique. Si le Syntec Numérique veut être suivi il serait préférable de mettre l’accent sur la mutualisation des ressources, d’une meilleure maîtrise des projets et de réduction de leur coût. Pour y arriver l’Etat, les collectivités locales et le secteur de la santé vont avoir besoin de renforcer la gouvernance informatique.
Les mesures sectorielles proposées par le Syntec Numérique ont pour but d’améliorer le fonctionnement des sociétés de service. Ce sont les mesures : 1, 2, 3, 4 et 6. Elles ont pour but de favoriser les entreprises incitant au développement des compétences humaines (1), en améliorant le financement de l’innovation dans les PME (2), en pérennisant du crédit impôt recherche (3), en prévoyant un financement spécifique de l’informatique des PME (4) et en améliorant la gouvernance de l’informatique publique (6). Ce sont des mesures intéressantes mais est-ce qu’elles seront suffisantes pour améliorer la position concurrentielle des SSII françaises. Il est vrai qu’elles se portent globalement bien. Par contre, certaines ont quelques difficultés à se développer. Est-ce que ces mesures permettront de leur donner le dynamisme recherché ?
Renforcer les SSII françaises

L’amélioration de la gouvernance informatique de l’Etat est certainement un point important mais il n’est pas certain que ce soit le cœur des préoccupations des SSII. Pour les connaître il suffit de discuter avec les responsables de sociétés de service. Les trois problèmes les plus importants qu’elles rencontrent sont :
·       Développer les SSII française à l’internationale. Globalement leur présence à l’étranger est faible. Alors que les sociétés d’ingéniéring françaises sont très orientées vers l’exportation, les SSII ont plus de difficultés. En dehors de quelques réussites exemplaires les ventes de services à l’étranger sont rares et les tentatives d’implantation sont peu fréquentes. Elles sont plutôt réservées aux grandes entreprises. Il serait souhaitable de leur faciliter leur développement international, mais ce n’est pas évident à mettre en œuvre. 
·       Etre plus présent sur le marché de l’externalisation. Traditionnellement les SSII sont des fournisseurs de régie. Cela a été pendant de nombreuses années le cœur de leur activité. Elles ont du mal à vendre d’autres types de prestations notamment l’externalisation des traitements et notamment le cloud. C’est un marché considérable mais les SSII françaises s’intéressent plutôt à la reprise complète de services informatiques. Le nombre de SSII offrant des services complets comme la gestion de la paie, de la gestion des ressources humaines, du CRM, des logiciels intégrés (SAP, Oracle,…),… est faible.
·       Etre présent sur le marché des progiciels. Les grandes SSII sont aussi absentes du marché des progiciels. Elles sont des spécialistes du spécifique et du sur-mesure comme elles l’ont toujours été alors que depuis dix ans le marché a basculé vers l’emploi massif des progiciels. Elles ont laissé le marché des progiciels aux éditeurs et aux constructeurs qui sont, pour partie, devenues des sociétés de services. Si elles ne veulent pas être chassées du marché elles vont devoir offrir des progiciels.
Comme le montre ces trois axes d’action l’Etat a peu de moyen d’aider les entreprises du secteur de la SSII. De plus il est probable que la liste des dix propositions du Syntec Numérique risque d’avoir peu d’effets sur le fonctionnement des SSII et sur le volume d’activité global du secteur car elles ne concernent que partiellement les préoccupations des SSII.
Dans ces conditions, il est assez étonnant que les dirigeants de ces entreprises ont accepté un plan d’action aussi loin de leurs véritables préoccupations et des possibilités de l’Etat. Ceci montre qu’on ne s’improvise pas stratège. Le choix de quelques mesures ne fait pas un plan d’action structuré. Il est vrai que c’est un vrai métier. Tout cela manque un peu de vision. 

1 commentaire:

Guy Mamou-Mani a dit…

Cher monsieur Salzman,
Permettez moi tout d'abord de vous féliciter pour ce travail trés intéressant. Nous nous retrouvons sur beaucoup de points et je vous remercie d'avoir pris le temps d'analyser nos propositions.
Je tiens tout de même à vous rassurer sur nos capacités stratégiques et sur notre compréhension de nos enjeux.
Je dois vous rappeler que le Syntec numérique représente 1200 entreprises du secteur et que les plus grands dirigeants comme ceux de PME ont contribué à ce document. Par conséquent les 3 sujets que vous avez évoqués sont évidemment au coeur de nos préoccupations.
Si on met de coté le commentaire désobligeant que vous avez fait je souhaiterais vous informer que:
1/ Le SN représente toute la profession du numérique et que par conséquent les sujets évoqués se dévaient d'être plus généraux et interpellaient ainsi les candidats
2/Nous nous refusions à faire un catalogue de doléances nous concernant. Nous essayons de faire passer le message que le déploiement du numérique est un enjeu citoyen et qu'il représente une des solutions aux grands problèmes de notre pays.
Espérant vous avoir rassuré ainsi sur nos compétences...
Cordialement
Guy mamou-Mani