vendredi 2 mai 2014

Le classement de l'informatique du World Economic Forum en 2014 : France est-ce la fin de la chute ?

 Comme tous les ans le World Economic Forum (Davos) publie son classement annuel du développement informatique : The Global Information Technology Report 2014.
Page de garde du rapport 2014 du WEF
L’an passé nous avions constaté le dévissage de la France dans ce classement (Voir sur ce blog le message du 6 juillet 2013 : Economie numérique : la France classée au26ème rang mondial par le Forum de Davos, voir aussi le message du 19 mars 2012  : Le classement informatique duWorld Economic Forum : Une triste réalité). Entre 2009 et 2013 la France était passée de la 18ème à la 26ème place. Nous écrivions alors « Ce dévisage était prévisible. C’est la conséquence d’une série d’erreurs stratégiques faites depuis de nombreuses années notamment par les gouvernements successifs mais aussi par les nombreuses entreprises intervenant dans le domaine de l’économie numérique sans compter les universités et les grandes écoles. A force de ne pas apprécier correctement les enjeux, on finit par prendre des mesures peu efficaces, voir contre-productives ». Et nous concluions : « Il serait temps de prendre au sérieux l’économie numérique. » 

Une hirondelle fait-elle le Printemps ?

Cette année on a deux nouvelles et, selon la formule classique, une bonne et une mauvaise. La bonne est que la position de la France s’est stabilisée et à même regagné une place au 25ème rang. La chute semble enrayée. Est-ce l’impact de la "feuille de route" de Fleur Pèlerin lancée en Février 2013 ? (Voir sur ce blog le message du 11 avril 2013 : « Est-ce le début du commencement ?» ) Nous disions l’an passé : « il est trop tôt pour porter un jugement sur l’impact du plan de Fleur Pellerin. On verra l’an prochain si elle a eu un impact et quel est son ampleur ». Aujourd’hui on peut observer l’arrêt de cette dégradation. C’est déjà pas mal. Mais il faut encore un peu de temps pour constater un redressement.
La mauvaise nouvelle est que la France n’est remontée que d’une place et elle se trouve loin derrière les premiers de la classe. Elle est encadré d’une part par le Qatar et les Emirats Arabes Unis, et de l’autre par l’Irlande et la Belgique.
Classement 2014 des pays selon le Networkeed Readiness Index
 Si on compare la position de la France à ceux des pays voisins et comparables on constate que ceux-ci sont nettement mieux classés. Ainsi la Grande Bretagne est en 9ème position et l’Allemagne est à en 12ème place. La France est loin derrière ses compétiteurs directs.
Le "Top ten" du classement
 Les pays leaders et les autres

Les dix premiers pays de la liste sont : la Finlande, Singapour, la Suède, la Hollande, la Norvège, la Suisse, les Etats-Unis, Hong-Kong, la Grande-Bretagne et la Corée. Cette liste est assez stable dans le temps. Les six premiers du classement sont les mêmes qu’en 2013 et sont aux mêmes places.
Deux pays rentrent dans ce classement : Hong-Kong qui est passé de la 14ème place au 8ème et la Corée qui passe du 11ème rang au 10ème. Deux pays sortent de la liste : le Danemark qui passe de la 8ème à la 13ème place et Taiwan du 10ème à la 14ème place. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont permuté entre la 7ème à la 9ème place.
Une fois de plus on constate que sur les dix premiers pays du classement six sont européens et ce sont tous des états de l’Europe du Nord ou assimilé : la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse et la Grande Bretagne. En tête du classement il n’y a aucun pays de l’Europe du Sud !
Les 28 premiers pays du classement
 La deuxième partie du classement est composé pour l’essentiel de pays riches et souvent européens comme le Luxembourg, l’Allemagne, le Danemark, Taiwan, Israël, le Japon, le Canada, l’Australie, l’Islande, la Nouvelle Zélande, l’Estonie, l’Autriche, la Qatar, les Emirats Arabe Unis, la France, l’Irlande, la Belgique, Malte, Bahreïn et la Malaisie. On note dans cette liste d’un certain nombre de pays asiatiques et pétromonarchie du Golfe. 
L’Europe du Sud commence à partir de la 25ème place avec la France, suivie par le Portugal (33ème), l’Espagne (34ème), l’Italie (58ème) ([1]), la Grèce (74ème),…. On observe qu’en Europe il y a manifestement deux approches différentes des TIC comme on le constate en matière financière. L’Europe du Nord fait les bons choix, réalise les bons investissements, dégage une contribution significative des TIC à l’augmentation de la valeur ajoutée et crée de nombreux emplois qualifiés. Les autres ont plus de mal à dégager des résultats significatifs. Ce sont les PIGS.
Il est à noter que les BRICS, qui sont habituellement présentés comme les espoirs de la croissance de demain, se situent dans le classement du WEF entre la 50ème et la 83ème place : Brésil (69ème), Russie (50ème), Inde (83ème au lieu de la 68ème en 2013), Chine (62ème) et l’Afrique du Sud (70ème). Manifestement ces pays, qui sont censés prendre dans les années à venir le relais des pays développés, seront tôt ou tard freinés par leurs retards dans le domaine des investissements en TIC.
Les pays se trouvant dans la deuxième partie du tableau (à partir du 75ème rang) sont pour l’essentiel des états d’Afrique, d’Amérique Latine ou d’Asie comme le Mexique (79ème), l’Egypte (91ème), le Maroc (99ème), l’Argentine (100ème), l’Iran (104ème), le Venezuela (106ème), le Pakistan (111ème), le Nigéria (112ème , le Bengladesh (119ème), l’Algérie (129ème), … Ces états n’ont pas de politique claire dans le domaine des TIC et n’ont pas effectué les investissements nécessaires. De plus, ils sont pénalisés par le faible niveau de leur PIB et par le médiocre niveau de leurs investissements. Dans ces conditions ils auront beaucoup de mal à bénéficier des avantages des TIC dans les années à venir et on peut craindre que leur position va continuer de se dégrader comme l’Inde qui est passée en un an du 68ème rang au 83ème, le Brésil du 60ème au 69ème, l’Egypte du 80ème au 91ème, le Maroc du 89ème au 99ème, ….

La France : Une grande continuité dans la fragilité

La France n’est pas dans ce cas. Mais il est difficile de se contenter de la 25ème place quand on prétend être la 5ème nation dans le monde. On notera que son rang a varié dans le temps mais la valeur de son indicateur NRI est très stable dans le temps. Il est aujourd’hui égal à 5,1 comme l’an passé. Mais en 2007 il avait déjà la même valeur. Il a légèrement augmenté en 2008 à 5,2 puis il est retombé à 4,9 en 2010. En fait, ce qui a changé ce n’est pas l’index de la France mais ceux des différents autres pays qui ont profité de l’après-crise pour effectuer des efforts importants dans le domaine des TIC et ainsi améliorer leur position concurrentielle.

Fiche d'évaluation NRI de la France en 2014
 L’examen de la fiche de calcul de la France (page 143 du rapport) montre que les faiblesses de notre pays  sont les mêmes d’une année sur l’autre (Voir sur ce blog le message du 6 juillet 2013 : Economienumérique : la France classée au 26ème rang mondial par le Forum de Davos). Elle concerne pour l’essentiel 3 domaines sur les 10 identifiés :
·       La facilité de mise en œuvre : 72ème. Ce positionnement calamiteux pèse lourd dans le médiocre rang de la France. Il est dû aux tarifs des télécommunications notamment ceux des mobiles qui sont parmi les plus élevés au monde (124ème),
·       L’environnement des affaires et l’innovation : 47ème. Plusieurs facteurs expliquent cette mauvaise situation notamment le poids des taxes sur les bénéfices (la France est au 136ème rang !! avec un taux de prélèvement de 64,7 %), la « timidité » du venture capital, le faible niveau des achats publics dans les nouvelles technologies et le nombre faible d’étudiants dans l’enseignement supérieur (la France est au 45ème rang !).
·       L’impact social : 35ème. Ceci est dû au faible usage d’Internet dans les écoles et l'utilisation des TIC par l’administration et leur efficacité.
Comme on le voit il serait assez simple de corriger la plupart de ces faiblesses, il suffit d’en avoir la volonté. Quasiment toutes dépendent de décisions des instances publiques sauf la médiocrité du venture capital. Faut-il encore avoir une idée claire des faiblesses de l’économie numérique en France ! Or « la feuille de route » de Fleur Pellerin ignore la plupart de ces points.
Heureusement à côté de ces points faibles il y a quelques points forts. Ils sont au nombre de trois :
·       Les compétences : 19ème. Ceci est dû au taux de scolarisation dans le secondaire, au faible taux d’illettrisme et à la qualité de l’enseignement des mathématiques et des sciences.  
·       Les impacts économiques : 19ème. On note le nombre élevé de salariés ayant un haut niveau de connaissance, le nombre de brevets concernant les applications des TIC et l’impact positif des TIC sur les nouveaux produits et services.
·       Les usages dans l’entreprise : 20ème. Ceci est dû à la capacité d’innovation et le nombre de brevets pris.
Mais ces quelques points forts ne sont pas suffisants (en nombre et en niveau) pour contrebalancer l’effet des nombreux points faibles. De plus ils ne concernent pas directement les TIC mais le contexte social et économique général.

S’inspirer du premier de la classe

Pour la deuxième année consécutive la Finlande est le 1ère pays du classement. La comparaison de sa fiche de calcul à celle de la France permettant de constater une différence fondamentale : la France a peu de points d’excellence et un nombre élevé de points faibles.
Elle n’a qu’un seul indicateur sur 54 classée 1er et aucun indicateur se trouvant entre la 2ème à la 4ème place. Par contre elle souffre de nombreux points faibles : 16 des 54 indicateurs du NRI sont au-delà du 40ème rang. Leur liste est impressionnante, en dehors de ceux déjà cités on note :
·       l'efficacité du système juridique pour régler les différends,
·       la couverture du réseau mobile,
·       le tarif de l’abonnement fixe à Internet,
·       la qualité du système d’éducation,
·       le taux de souscription au téléphone mobile,
·       l’usage des réseaux sociaux virtuels,
·       l’importance de la formation continue du personnel,
·       l’importance des TIC dans la vision du gouvernement,
·       le succès de l’effort public de promotion des TIC,
·       l’impact des TIC sur les nouveaux modèles d'organisation.
La Finlande, au contraire, a 7 indicateurs en 1ère place et au total 21 indicateurs entre la 1ère et la 5ème place. Elle a aussi des points faibles mais ils sont nettement moins nombreux que ceux de la France. Ainsi la Finlande n’a que 5 indicateurs situés au-delà du 40ème rang alors que la France en a 16. C’est le secret : avoir quelques points d’excellence et ne pas avoir trop de points faibles.

Fiche d'évaluation NRI de la Finlande en 2014
 Et maintenant que faire ?

Dans les messages précédents nous avions proposés six mesures :
1.         S’inspirer des pays voisins se trouvant en tête du classement comme la Finlande Suède, las Pays-Bas, la Norvège, la Suisse ou la Grande-Bretagne, le Luxembourg,…Il n’y a pas de honte à copier les bons élèves.
2.         Améliorer l’environnement économique et notamment en simplifiant le contexte administratif et réglementaire tout particulièrement en luttant contre les nombreux dysfonctionnements de la justice commerciale et de l’administration. 
3.         Avoir une politique publique positive en faveur des TIC basée sur une vision claire de l’impact des TIC sur le développement économique. Il est nécessaire de faire connaître les succès et diffuser les bonnes pratiques.
4.         Réduire la tarification des télécommunications. L’action de Free dans le domaine du téléphone mobile est un premier pas mais il y a encore des progrès importants à réaliser dans ce domaine notamment en ce qui concerne les tarifs hors-forfaits.
5.         Inciter les entreprises moyennes et grandes à investir dans les TIC. Tous les plans publics misent sur les PME. Il faut au contraire miser sur le rôle des grandes entreprises qui ont les moyens de financer ces projets.
6.         Favoriser les capacités des entreprises du secteur de l’économie numérique à l’exportation. Il faut développer les coopérations entre les entreprises pour les inciter à intervenir dans ce domaine et faciliter leur présence au niveau mondial.
J’ajouterais à cette liste deux mesures complémentaires :
7.         Inciter les entreprises à investir dans les TIC en autorisant l’amortissement des études débouchant sur des applications rentables. Pour favoriser le développement de certaines applications notamment pour la création de nouveaux services basés sur les TIC il serait souhaitable de mettre en place un mécanisme de crédit d’impôt.
8.         Développer la formation à l’informatique notamment en matière de développement et la connaissance des systèmes d’information. On ne forme pas assez de professionnels de l’informatique et ceux qui sont formés ne sont pas toujours adaptés aux besoins ([2]).
Il est pour cela indispensable de mettre en place une « feuille de route » sérieuse qui permettent de développer réellement le secteur de l’économie numérique.

Voir sur le même sujet sur ce blog :"Le classement informatique du World Economic Forum : Une triste réalité", paru le lundi 19 mars 2012, "Economie numérique : la France classée en 2013 au 26ème rang mondial par le Forum de Davos" paru le samedi 6 juillet 2013 et "Le Classement du World Economique Forum 2015 : La France perd une place" paru le mercredi 10 juin 2015




[1] - On notera que l’Italie est passée en un an de la 50ème place en 2013 à la 58ème en 2014.
[2] - On estime qu’on forme chaque année de l’ordre de 3.000 informaticiens du niveau ingénieur alors qu’il en faudrait 10.000 (Il faut se rappeler qu’on ne forme en France que 30.000 ingénieurs par an. Pendant ce temps les USA en forme 137.000 et la Chine 350.000). L’objectif de la « feuille de route » de Fleur Pellerin est de doubler leur nombre d’ici 2017. Mais ce nombre est surement insuffisant. A cela s’ajoute la formation des programmeurs et des métiers basés sur l’emploi des systèmes d’information, curieusement appelée dans la « feuille de route » les « métiers du numérique ».