Le thème du cloud est à la mode. Selon le Gartner les DSI classent le cloud en tête de leurs préoccupations aux côtés des réseaux sociaux, de la mobilité et de la gestion de l’information. Le Ministère de l’Industrie a mis le cloud au cœur de sa stratégie informatique (voir le Plan France numérique 2012-2020, Bilan etPerspectives, pages 12 et 13, voir ci-dessous) en espérant une baisse des coûts informatiques.
Pour l’instant cela donne lieu à un curieux conflit, dont nous avons le secret, pour se partager un pactole de 135 millions d’euros de fonds publics pour créer un service cloud franco-français avec deux projets concurrents : d’un côté Orange, Thales et la Caisse des Dépôts et de l’autre Dassault Systèmes et SFR.
Le thème du cloud a été récemment relancé par l’Agence Française pour les Investissements Internationaux, AFII, qui a publié une étude évaluant le marché français du cloud à 2 milliards d’euros en 2011 ([1]). C’est un montant considérable. Malheureusement ce chiffre est surement très surestimé Au niveau mondial il serait, selon cet organisme public, de l’ordre de 68,3 milliards de dollars en 2010. Ce chiffre est probablement surestimé. On a additionné des prestations très différentes notamment des services Web, des travaux faits à façon (paie, comptabilité), de l’externalisation de serveurs, du stockage externe de données, de la gestion de réseau… La notion de cloud est floue. Mais il est probable que le marché du cloud en France est plutôt de l’ordre 800 millions d’euros.
Il est d’ailleurs possible que ces calculs ne prennent pas en compte les vraies prestations de cloud fournies aux utilisateurs français comme celles assurées par Salesforce, Google App, Microsoft Azur, Amazon Web Services,…. C’est dommage. D’ailleurs Google, Microsoft, IBM ou Amazon ne publient pas de chiffres sur leurs activités cloud. Il est probable que ceci est dû au fait que les chiffres ne sont pas aussi élevés que ceux qu’ils auraient espérés.
Par contre on connait le chiffre d’affaires mondial du principal acteur du secteur : Salesforce. En 2011 son chiffre d’affaires a été de 1,6 milliards de dollars. Notons que cette entreprise est en pertes depuis plusieurs trimestres. On peut estimer le chiffre d’affaires de Salesforce en France à un montant de l’ordre de 40 millions d’euros ([2]). On est loin des 2 milliards d’euros annoncés.
Ce soudain intérêt de l’administration française pour le cloud computing est en grande partie dû au plan décidé en décembre 2010 par l’administration fédérale américaine. Son objectif est de basculer rapidement et massivement vers le cloud (« 25 point implementation plan to reform federal informationtechnology Management », Vivek Kundra, US Chef Information Officer ([3]).
C’est la stratégie du « Cloud First » dont l’objectif est de permettre aux administrations de fournir aux citoyens américains des services informatiques de bonnes qualités dans de meilleures conditions. De même le recours au cloud pour la messagerie pour l’ensemble de l’administration devrait permettre de faire baisser le coût de cette fonction de 50 %.
Un projet franco-français
En France, on s’intéresse plus à la mise en place de l’infrastructure du cloud qu’aux applications et aux utilisateurs. C’est l’objet du projet Andromède qui dispose d’un budget de 300 millions d’euros ([4]). Le but consiste à créer un cloud situé sur le territoire national de façon à ne plus être obligé de stocker des données sur des serveurs situés à l’autre bout du monde avec tous les risques liés à la distance, notamment les différences de législation, sans évoquer les risques liés au Patriot Act. De plus il y a la préoccupation d’améliorer la sécurité de l’accès aux données et de leur stockage.
Ce projet est basé sur un partenariat public-privé dont Orange est chef de file. L’objectif est de réaliser en 2015 un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Il sera installé au Val de Rueil en Normandie. Le centre de traitement de 5.000 mètres carrés est en cours de construction et il sera inauguré en juin prochain.
Parallèlement le Ministère de l’Industrie a lancé différents appels à projets comme le développement d’une plateforme d’ingénierie logiciel orientée cloud (CloudForce), la réalisation d’outils de portage d’application (CloudPort), la mise en œuvre d’infrastructure logicielle haute performance (Magellan), la création d’un cloud communautaire (Nu@ge) et un cloud destiné à l’enseignement supérieur (UnivCloud). Ce dernier projet regroupe 23 établissements de la région parisienne et concerne à terme 500.000 étudiants.
Mais on ne sait toujours pas quelles seront les applications qui seront mises en œuvre sur ces systèmes informatiques. Or le développement du cloud ne peut se faire sans qu’il existe des applications originales et intéressantes. Est-ce que l’affirmation que les données resteront sur le territoire national sera suffisant pour entrainer un développement aussi rapide ?
Les applications du cloud
Il existe actuellement trois applications qui expliquent le développement du cloud. Ce sont :
· La messagerie. Un grand nombre d’entreprises gèrent avec difficulté leur serveur de messagerie alors que de nombreux prestataires le font gratuitement ou pour un coût très faible : Google, IBM, Microsoft ; Orange, HP, SFR, ... Il est ainsi possible d’améliorer la qualité de service tout en réduisant significativement les coûts.
· Le CRM, Customer Relationship Management. Face à des logiciels lourds, complexes et coûteux comme ceux de SAP, d’Oracle (Siebel, Peoplesoft),… Salesforce s’est imposé en misant sur la facilité d’utilisation et l’adaptation du logiciel aux besoins des commerciaux ([5]).
· Les outils bureautiques comme le traitement de texte, le tableur, les logiciels de présentation, … Au lieu de fonctionner sur un PC à l’aide d’Office ils sont exploités sur des serveurs distants en recourant l’interface du navigateur Internet ce qui permet de réduire le coût des licences.
Les autres applications jouent un rôle nettement plus marginal. Ce peut être de la paie, de la gestion des ressources humaines, de la comptabilité, la facturation, l’établissement des devis, la gestion de projet, … Ce peuvent aussi être des applications spécifiques à un secteur. Mais elles ne représentent actuellement que des volumes limités.
Il existe à côté de ces applications il existe deux autres possibilités intéressantes :
· Le stockage de données. A l’origine Amazon a proposé une offre de stockage à prix cassé, le S3 : Simple Storage Service. Le prix est très bas : 0,093 dollars par Go et par mois alors que les concurrents proposent des prestations analogues pour des coûts compris entre 1 et 2 euros par Go et par mois. Cette possibilité est surtout utilisée pour la sauvegarde et l’archivage de données. Par contre il n’est pas raisonnable de les utiliser pour effectuer des traitements. Pour l’instant, c’est un marché de PME. Il est possible que l’arrivée d’Apple sur ce marché avec iCloud peut amener un développement rapide de ce marché.
· La mise à disposition de serveurs. C’est un marché classique de location de moyens de traitement. On peut l’appeler cloud mais traditionnellement c’est de l’externalisation d’exploitation. L’originalité de cette offre est de proposer des machines virtuelles. Cette solution est intéressante notamment dans le cas du développement de nouveaux services Web pour lequel on a du mal à déterminer le nombre de futurs utilisateurs. C’est l’offre EC2 d’Amazon (Elastic Cloud) qui facture le service à l’heure. La plupart des hébergeurs comme Colt, Orange, SFR, OVH, IBM, HP,… offrent des services analogues sur la base d’un forfait mensuel en fonction de la configuration.
Ces prestations sont assez loin de l’approche classique du cloud. On les distingue en parlant d’IaaS et de PaaS par apposition au SaaS. IaaS c’est l’Infrastructure as a Service et le PaaS c’est la Platform as a Service. Ce sont des formes divers formes d’externalisation qu’il faut distinguer du SaaS : Software as a Service.
L’avenir du cloud
Dans ces conditions on peut s’interroger sur le réalisme de la démarche publique et l’importance donnée au projet Andromède. Investir 300 millions d’euros dans un marché de l’ordre de 900 millions d’euros par an, est-ce vraiment raisonnable ? Ceci explique probablement la tendance de l’administration à surévaluer l’importance du marché.
A l’origine de ce dérapage il y a probablement le plan Besson qui n’hésite pas à affirmer (page 12) que : « La dématérialisation des infrastructures informatiques permise par le cloud computing est porteuse d’enjeux majeurs en termes de simplification des usages et de compétitivité. Le cloud accroît la compétitivité des entreprises, avec une baisse des coûts informatiques estimée de 35 % à 50 %. En outre, il va générer de nouveaux services de logiciels, de plateformes et d’infrastructures à la demande. Le marché mondial du cloud computing atteint d’ores et déjà 5 milliards d’euros, avec une croissance de 35 % par an. »
Ces chiffres ne sont pas sérieux. Que veut dire 5 milliards d’euros alors que le seul marché français est estimé à 2 milliards d’euros. Ces chiffres sont sortis d’un chapeau et ils ne sont là que pour impressionner le lecteur. De plus ces chiffres, quel qu’ils soient, sont dérisoires par rapport au marché mondial de l’informatique qui est estimé par le Gartner à 3.800 milliards de dollars. Ce n’est même pas l’épaisseur du trait mais ces chiffres permettent de justifier l’affirmation péremptoire que : « L’industrie du cloud computing est stratégique pour notre économie numérique ».
Dans ces conditions il est urgent de se mobiliser. Le but de ce type d’affirmation est de faire passer n’importe quel projet, même les plus déraisonnables. Comme notre avenir en dépend il serait déraisonnable de mégoter sur les moyens à mettre en œuvre. Il est ainsi logique de dépenser des sommes considérables au bénéfice d’objectifs incertains.
Pour éviter ce type de gabegie il est nécessaire d’adopter une stratégie claire. Il est évident que le cloud est une opportunité qu’il ne faut pas rater. Mais au lieu de construire des centres de traitements il serait peut-être préférable de s’intéresser aux applications et aux utilisateurs.
[1] - Ce chiffre d’affaires semble un peu fort. IDC évalue le marché français du cloud à 846 millions d’euros tandis que Markess l’estime à 1.661 millions dont 840 millions de SaaS.
[2] - Estimation de l’auteur.
[3] - Vivek Kundra a récemment démissionné de cette fonction pour devenir enseignant à Harvard.
[4] -Ce chiffre est considérable car un centre de traitement comprenant 1.000 serveurs coûte de 4 à 6 millions d’euros.
[5] - Ce système est utilisé par 1,5 million commerciaux dans le monde travaillant dans 54.000 entreprises. Cependant il ne faut pas s’imaginer un système informatique gigantesque. Salesforce utilise un centre de traitement comprenant seulement 1.000 serveurs.
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