Tous les ans le World Economic
Forum effectue une enquête très intéressante permettant de classer les pays
selon leur degré de maturité informatique. Malheureusement elle est publiée en
dehors des festivités de Davos. Ceci fait qu’elle est peu, ou pas, reprise par
la presse. C’est pourtant un très bon indicateur permettant de mesurer les
progrès effectués par les pays en matière de TIC, d’Internet et de
transformation numérique (Voir pour télécharger le rapport « Global Information Technology Report2016 » cliquez ici ) ([1]).
Pour classer les pays le WEF a construit un index synthétique, le NRI,
le Networked Readiness Index, basé sur 53 indicateurs regroupés en 4 domaines
et 10 sous-catégories. Comme tous ces classements, tel que Pisa et Shanghai,
sont critiquables mais ils ont le mérite d’exister et devrait amener un réveil
salutaire.
Page de garde du rapport 2016 du WEF sur l’état des technologies
informatiques
Une bonne nouvelle et une moins bonne
Cette année on a le plaisir de
constater que la France a gagné deux places. C’est la bonne nouvelle. La moins
bonne est que, malgré ces progrès la France reste loin dans le classement, en
24ème position, entre la Belgique et l’Irlande. Mais on est très
loin des scores des leaders comme Singapour, la Finlande, la Suède, la Norvège,
les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Suisse, la Grande Bretagne, …
On se rappellera qu’en 2009 la
France était en 18ème place, ce qui déjà n’était pas une situation très
brillante, mais entre 2009 et 2013 elle était tombée de la 18ème à
la 26ème place. On est revenu à la 24ème. On ne peut que
s’en féliciter. Mais est-ce satisfaisant ? L’Allemagne est en 15ème
position. Ce n’est pas génial mais c’est déjà mieux. La Grande Bretagne est en
8ème position. C’est nettement plus raisonnable. Le plus remarquable
est la situation des trois états scandinaves : la Finlande (2ème),
la Suède (3ème) et la Norvège (4ème) qui sont en tête du
classement depuis de nombreuses années. Il serait simple d’aller voir ce qu’ils
ont fait et de s’en inspirer.
Classement des 10 premiers
pays.
On notera que sur les 10 premiers pays du classement 7 sont européens
et de plus ce sont tous des pays d’Europe du Nord. Contrairement à une idée
souvent répétée l’Europe n’est pas à traîne. Autre point intéressant : seul
trois pays non-européen sont en tête du classement : Singapour (1er),
les Etats-Unis (5ème) et le Japon (10ème).
D’une année sur l’autre on note quelques changements dans l’ordre de
ces pays : la Norvège passe de la 5ème à la 4ème
place, les Etats-Unis passent de la 7ème à la 5ème place.
A l’inverse les Pays-Bas passent de la 4ème à la 6ème
place et la Suisse passe de la 6ème à la 7ème place. Le
reste est sans changements.
Les autres pays européens sont
assez dispersés et certains sont à la
traîne comme la France. Deux pays européens sont entre le 11ème et
le 20ème rang : le Danemark (11ème), l’Allemagne (15ème
rang au lieu de la 13ème place). On trouve ensuite : la
Belgique (23ème), la France (24ème), l’Irlande (25ème),
le Portugal (30ème), Malte (34ème), l’Espagne (35ème),
la Tchéquie qui en un an est passée en un an de la 43ème place à la
36ème, la Russie (41ème), la Pologne qui est passée de la
50ème place à la 42ème, l’Italie qui est passée en un an
de la 55ème place à la 45ème, la Slovaquie qui en un an
est passé de la 59ème place à la 47ème, la Hongrie (50ème),
l’Ukraine en 64ème place au lieu de 71ème l’an passé, à
l’inverse la Grèce qui descend de la 66ème place à la 70ème,
… Cette liste permet de constater que la situation de la France est plutôt rassurante.
Elle est au milieu du classement européen entre une Europe du Nord dynamique et
une Europe du Sud à la traîne en compagnie d’une Europe de l’Est qui est à la peine.
On notera que cette année cinq pays
européen font une remontée significative : la Slovaquie gagne 12 places,
l’Italie avance 10 places, la Pologne progresse de 8 places, la Tchéquie gagne
7 places tout comme l’Ukraine malgré sa situation politique et économique. Ceci
montre qu’il est possible de faire de rapides progressions en ce domaine à
conditions de prendre les bonnes mesures.
Les 30 premiers pays du
classement 2016 du WEF
Comme le montre le tableau ci-dessous
montrant l’ensemble du classement permet d’effectuer plusieurs constatations.
Les pays en transition comme
les BRICS sont entre la 41ème et la 91ème place : la
Russie est à la 41ème place, la Chine à la 59ème,
l’Afrique du Sud à la 65ème, le Brésil à la 72ème place
et l’Inde à la 91ème place. Comme on le voit ces pays ont encore
d’importants efforts à faire pour rattraper leur retard.
La plupart des pays en voie de
développement se trouvent sur la partie droite du tableau comme l’Indonésie (73ème),
les Philippines (77ème), le Maroc (78ème), la Tunisie (81ème),
le Kenya (86ème), l’Egypte (96ème), …
On notera enfin que la plupart
des pays sub-saharien sont situés vers la fin de la liste comme le Ghana, la
Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Nigéria, l’Ethiopie, le Cameroun, le Gabon,….
Classement des 139 pays du
Networked Readiness Index en 2016
Comme on le voit il existe une
assez forte relation entre le degré de développement économique et le niveau de
gouvernance des TIC. Il est certain que les pays riches ont plus de facilités
pour maîtriser leur processus d’informatisation que les pays pauvres. Mais à
niveau de développement équivalant on observe que certains pays réussissent
mieux que d’autres. Ceci est dû pour partie aux politiques mises en œuvre par
les états et pour partie grâce aux efforts des entreprises nationales.
« France ton café fout le camp »
Pour comprendre le médiocre score
de la France il faut rentrer dans le détail des chiffres. Chaque pays à sa
fiche. Celle de la France, ci-dessous, est intéressante car elle montre qu’à
coté de points forts notre pays souffre d’un certain nombre de faiblesses qui
ne sont que trop lentement corrigées au cours des années.
Entre 2015
et 2016 l’index globale NRI de la France passe de 5,2 à 5,3. Ce gain est due à
quelques progrès ponctuels significatifs. Lorsqu’on compare les détails des
index entre 2015 et 2016 on constate des écarts significatifs :
· L’index mesurant les impacts des TIC ont
augmenté de 0,2 point en passant de 5,0 à 5,2. Ceci est dû à part égal aux impacts
économiques et aux impacts sociaux.
· L’évaluation de l’environnement a aussi
augmenté de 0,2 point en passant de 4,8 à 5,0. Cette progression est due à une
légère amélioration de l’environnement politique et de régulation ainsi qu’aux
innovations dans le domaine du business.
· Par contre l’index mesurant la capacité
d’agir ne progresse que de 0,1 point grâce à l’amélioration des infrastructures
de 0,2 points.
· L’index mesurant les usages n’a augmenté que de
0,1 point grâce à l’amélioration des applications publiques et individuelles.
C’est bien
mais, il faut le reconnaître ces progrès sont faibles. Cependant on observe un
certain nombre d’améliorations ponctuelles mais elles sont faibles et n’ont qu’un
impact assez marginale. De plus certains indicateurs semblent avoir des valeurs
fantaisistes ([2]).
Le point
le plus positif concerne quatorze indicateurs sur 53 qui étaient
particulièrement faibles dans le cas de la France et qui sont en voie d'amélioration. Ce sont :
· « L’existence de lois relative aux TIC »
qui passe de la 25ème à la 17ème place.
· « L’efficacité du système juridique
concernant le règlement des conflits » passe de la 41ème à la 28ème
place.
· « La disponibilité de venture capital »
passe de la 35ème à la 29ème place.
· « Le taux des taxes par rapport au
bénéfice », passe de la 135ème à la 124ème place (2).
· « Les achats de l’administration dans
les nouvelles technologies » passe de la 43ème à la 19ème
place.
· « L’utilisation des réseaux sociaux
virtuels » passe de la 68ème à la 45ème place.
· « L’utilisation des TIC pour les
échanges B to B » passe de la 44ème à la 33ème place.
· « L’importance de la vision du
gouvernement sur les TIC » passe de la 53ème à la 42ème
place.
· « L’utilisation d’Internet dans le
commerce B to C » passe de la 29ème place à la 23ème.
· « Les succès du gouvernement dans la
promotion des TIC » passe de la 63ème à la 37ème place.
· « L’impact des TIC sur les modèles d’organisation »
passe de la 48ème à la 26ème place.
· « L’impact des TIC pour l’accès aux
services de base » passe de la 34ème à la 25ème place.
· « L’accès des écoles à Internet »
passe de la 55ème place à la 40ème.
· « L’utilisation des TIC sur l’efficacité
du gouvernement » passe de la 43ème place à la 30ème.
Comme on
le voit la France est en train de corriger ses principales faiblesses. Ces quatorze
items représentent environ le quart des items. C’est un progrès important mais ces
indicateurs font encore apparaître des performances encore faibles voir très
faibles. C’est donc un mieux dans la médiocrité. Mais on est encore loin de
l’excellence qui aurait pu être attendu de la France. Tant que les points
faibles seront aussi nombreux la France ne sortira pas de son mauvais
classement.
Une belle collection de points faibles
Si on
pointe les 53 items de l’enquête on constate qu’en France il y a encore 9 points
particulièrement faibles ([3]). Ce sont :
· « Le taux des taxes par rapport au
bénéfice », 124ème place (2),
· « Le nombre de procédures pour commencer
une entreprise », 41ème place,
· « Le pourcentage d’une classe d’âge
suivant l’enseignement supérieur », 40ème place,
· « La couverture du réseau mobile »,
à la 67ème place,
· « Le prix de la minute de téléphone
mobile prépayée », à la 121ème place (2),
· « Le taux de souscription au téléphone
mobile », à la 95ème place,
· « L’usage des réseaux sociaux virtuels »,
à la 45ème place,
· « L’importance des TIC dans la vision du
gouvernement », à la 42ème place,
· « L’accès des écoles à Internet »,
à la 40ème place.
Ces handicaps
sont lourds. Ils sont en grande partie liés aux politiques publiques, ou pour être
plus précis, à l’absence de politiques publique. Dans ces conditions il est difficile
d’arriver à faire la course en tête car ils freinent la capacité de transformation
numérique des entreprises et des administrations.
Cependant
tout n’est pas négatif : la France a deux indicateurs sur 53 classée en
premier :
· « La compétition dans les
secteurs d’Internet et la téléphonie ».
· « Les services publics en
ligne ».
Par
contre il n’y a aucun indicateur se trouvant à la 2ème et 3ème
place et seulement deux indicateurs à la 4ème place, puis ensuite
aucun indicateur entre la 5ème et la 11ème place. Au
total il n’y a que 4 indicateurs pour lesquels la France est classée avant la
10ème place. C’est insuffisant pour contrebalancer les 9 indicateurs se
trouvant au-delà du 40ème rang.
La
comparaison de la fiche de résultat de Singapour, mais aussi celles de la
Finlande, de la Suède ou de la Norvège avec celle de la France permet de faire
apparaître une différence fondamentale : la France a peu de points d’excellence dans cette compétition
et encore un nombre trop élevé de points faibles.
Les raisons
du succès des meilleurs
Pour choisir une stratégie le mieux est de
regarder ce que font les meilleurs, de s’en inspirer et ensuite d’essayer de
faire mieux. Cette année le « best in class » est la ville-Etat de Singapour
qui était déjà le 1er en 2015.
Singapour
a un profil très différent de celui de la France :
·
Elle a 9 indicateurs classés en 1er contre
2 dans le cas de la France,
·
22 indicateurs sont compris entre la 2ème
et la 10ème place, au lieu de 2 pour la France,
·
Au total plus de la moitié des items de
Singapour sont classés avant la 10ème place alors que dans le cas de
la France moins du dixième des items sont dans ce cas.
·
Bien sûr il reste quelques points faibles :
2 indicateurs se trouvant au-delà de la 40ème place. On est loin de
la collection française des 9 items à problème.
C’est le secret du succès. Il faut avoir un
certain nombre de points d’excellence et ne pas avoir trop de points faibles.
Comme on le voit les pays les mieux informatisées
ont trois caractéristiques : un certain nombre d’items sont classées en 1ère
position et ensuite un grand nombre d’items ont un rang élevé. Au total plus de
la moitié des indicateurs sont inférieurs ou égaux à la 10ème place.
Enfin il y a très peu d’indicateurs médiocres. C’est simple !
Quelques
mesures simples
Dans les posts que j’ai rédigé les années précédentes
je m’étais permis de suggérer différentes mesures (1). La loi Lemaire appelée Loi
sur une République Numérique n’a pas permis de changer fondamentalement la
situation. Elle est intéressante car elle règle de nombreux problèmes ponctuels
comme l’Open Data, la neutralité du net, la loyauté des plateformes en ligne, la protection
des données personnelles, l’accessibilité de tous à Internet, l’accélération de la
couverture du territoire en très haut débit et en téléphonie mobile, l’accès à
Internet des personnes handicapées, la création d’un droit au maintien de la
connexion Internet , … Mais tout cela ne permet pas de corriger les faiblesses
structurelles de la France en matière de TIC. Ceci fait que ces dix mesures
restent toujours d’actualité :
1. S’inspirer des pays voisins en particulier ceux se trouvant en
tête du classement comme la Finlande Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse
ou la Grande-Bretagne, le Luxembourg,…Il n’y a pas de honte à copier les bons
élèves.
2. Améliorer l’environnement économique notamment en simplifiant le contexte
administratif et réglementaire tout particulièrement en luttant contre les
nombreux dysfonctionnements de la justice commerciale et de
l’administration.
3. Avoir une politique publique positive en
faveur des TIC basée sur
une vision claire de l’impact des TIC sur le développement économique. L’absence
de vision est certainement une des grandes faiblesses de la France.
4. Réduire la tarification des
télécommunications. Malgré
la guerre des forfaits initiée par Free dans le domaine du téléphone mobile les
tarifs des télécommunications restent élevés en France notamment en ce qui
concerne les tarifs hors-forfaits et l’accès à la bande passante.
5. Inciter les entreprises moyennes et
grandes à investir dans les TIC. Les plans publics misent très souvent sur les PME. Elles
sont nombreuses mais en réalité elles ont peu d’influence sur le degré de
l’informatisation de l’économie. Il faut au contraire miser sur les grandes
entreprises qui ont les moyens de financer ces projets.
6. Favoriser les investissements des entreprises
et des administrations dans les TIC. Il est pour cela urgent d’autoriser l’amortissement des études
débouchant sur des logiciels permettant de faire fonctionner des applications
rentables. Pour favoriser le développement de certaines applications, notamment
pour la création de nouveaux services basés sur les TIC et Internet, il serait
souhaitable de mettre en place un mécanisme de crédit d’impôt.
7. Favoriser les capacités des entreprises du
secteur de l’économie numérique à l’exportation (matériel, logiciels, services). Il est important de développer les
coopérations entre les entreprises pour les inciter à intervenir dans ce
domaine et faciliter leur présence au niveau mondial. La présence massive
des start-up françaises au Consumer Electronic Show est très sympathique mais
cela ne permet pas d’espérer à court terme un développement des exportations de
services numérique.
8. Développer la formation à l’informatique notamment en matière de développement
informatique et de renforcer la connaissance des systèmes d’information. On ne
forme pas assez de professionnels de l’informatique et ceux qui sont formés n’ont
pas toujours la formation adaptée aux besoins. Ils sont orientés vers la technique
informatique et ignorent largement les usages de l’informatique.
9. Développer la culture des dirigeants des
entreprises et des administrations à l’informatique et aux systèmes
d’information. On parle beaucoup
de « transformation numérique » mais celle-ci bute sur le faible
niveau des connaissances du sujet par les décideurs français. Il est urgent de créer
des MBA systèmes d’information et compléter les cursus des grandes écoles
d’ingénieurs, d’administration et de commerce.
10. Mettre en place des dispositifs d’assistance
stratégique pour aider les entreprises à réussir leur transformation numérique. Tous les dirigeants savent qu’il faut s’y
mettre sans cela le risque d’uberisation est là. Mais il faut le reconnaître,
au-delà des annonces, les cas de succès sont rares en France. Il est urgent d’inciter
les entreprises à progresser dans ce domaine.
Il
serait pour cela que les différents partenaires concernés comme les
entreprises, le gouvernement, les universités, les banques, … mettent en place
une « feuille de route » sérieuse qui permettent de développer
réellement le secteur de l’économie numérique. Faute de quoi la France risque de
continuer à être classé au-delà du 20ème rang et la menace du déclin
dans ce domaine stratégique restera ce qu’elle est.
[1]
- Ce post
est le 5ème consacré aux rapports Global Information Technology du
World Economic Forum. Les 4 premiers ont été :
·
Le
10 juin 2015 : Classement informatique duWorld Economic Forum 2015 : La France perd une place
·
Le
2 mai 2014 : Le classement de l'informatique du World Economic Forum en2014 : France est-ce la fin de la chute ?
·
Le 6 juillet 2013 : Economie
numérique : la France classée au 26ème rang mondial par le Forum de Davos,
[2] - Certaines
valeurs mesurées par le World Economic Forum sont assez curieuses. Ainsi le
taux de l’impôt sur les bénéfices est estimé à 62,7 % des profits ce qui fait
que la France est classée en 124ème position alors qu’il est de 33,3
%. La France serait alors positionnée en 54ème position aux côtés de
la Grande Bretagne. De même l’indicateur prenant en compte le tarif des
communications mobiles prépayées à la minute est évalué à 0,48 dollar la minute
soit 0,44 euro. Or le tarif d’Orange est compris entre 0,28 et 0,33 euro. Au
lieu d’être en 121ème position la France serait entre en 85ème
position. Bizarre, bizarre.
[3] - Je considère
comme faible et pénalisants les items qui placent un pays au-delà de la 40ème
position.