Cela fait près de
quatre mois que l’ensemble des acteurs du secteur de l’informatique et des
télécommunications attendent que des décisions publiques soient prises afin de relancer
le développement secteur. Au mois d’octobre 2012, pensant qu’un plan serait rapidement
annoncé j’avais proposé un certain nombre de recommandations (Voir sur ce blog
le message du 4 octobre 2012 : « Pour un plan de développement del’économie numérique »). Mais depuis cette date il ne s’est pas passé
beaucoup de choses :
·
une communication au conseil des ministres en
octobre,
·
le rapport Gallois en novembre,
·
un décret réformant le Conseil National du
Numérique en décembre et la nomination de ses trente nouveaux membres en
janvier.
Quel
rythme ! Quel suspens !
Le conseil des ministres du 10 octobre 2012
On se rappellera
qu’un débat a eu lieu au moment de la campagne électorale de l’élection
présidentielle sur le rôle et l’importance du secteur du numérique : (Voir
sur ce blog les messages du 22 Avril 2012 : « Economie Numérique :
5 candidats à la présidentielle ont parlé », du 3 Février 2012 :
« Le développement économique selon les éditeurs de logiciels », du
21 Février 2012 : « Les vœux-pieux et les douces illusions du SyntecNumérique » et du 15 Avril 2012 : «Economie numérique : les silences
de la campagne»). Dans ces conditions on s’attendait à ce que le nouveau
gouvernement mettre rapidement en place un plan audacieux et courageux qui
permettrait d’oublier les décevants plans Besson 1 et Besson 2. A la place on a
eu droit le 11 octobre 2012 à un bref communiqué de presse : « Lesgrands axes stratégiques pour le numérique ». A lire absolument.
En 26 lignes et 4
titres tout est dit :
·
« Le très haut débit partout, l'accès au
numérique à tous
·
Respect de la vie privée et protection des
données
·
Moteur de croissance et de modernisation
·
Un grand quartier numérique à Paris »
Pour la bonne
bouche le quartier numérique choisi serait la Goutte d’Or. J’imagine la tête
des habitants de la rue Myra, de la rue Doudeauville ou de la rue d’Oran quand
ils vont voir débarquer tous les jeunes technos des starts-up.
Arriver à ramener
une stratégie complexe en quatre points est surement la preuve d’un remarquable
sens de la synthèse. Pour apprécier la qualité de la réflexion, je n’hésite pas
à vous proposer quelques citations du communique de presse :
« Les changements profonds
dont le numérique est le moteur concernent aussi bien la vie quotidienne des Français,
que la modernisation de l’Etat et la compétitivité et l’innovation des
entreprises. Il est devenu indispensable, dans la vie quotidienne comme
professionnelle. »
Le Gouvernement « veillera que
les transformations résultant du développement du numérique soient pleinement
conciliables avec les principes républicains et garantissent le respect de la
vie privée et de la liberté d’expression, ainsi que la protection des personnes
face à la multiplication des fichiers. »
« Le numérique comporte
également des enjeux de souveraineté, qu’il s’agisse de la sécurité des
réseaux, systèmes et données, de l’indépendance technologique ou de la capacité
des autorités judiciaires et administratives à agir en cas de besoin. »
« Enfin, le Gouvernement
entend développer l’attractivité internationale de la France dans le numérique. »
Quelles belles
paroles ! On apprend à bien écrire à l’ENA. Il est difficile d’être
contre. Avec ces lignes on voit qu’on est bien gouverné.
Mais,
malheureusement on ne voit pas très bien comment tout cela sera mis en œuvre. Si
on peut s’autoriser une remarque il aurait été bien de donner en même temps la
feuille de route correspondante à ces quatre mesures. Mais pour cela il faudra
attendre le mois de février (C’est bientôt). On meurt d’impatience d’autant
plus que l’annonce sera faite par Jean-Marc Ayrault. Un Premier Ministre
expliquant les choix faits en matière de réseau à très haut débit (ADSL, SDSL,
FTTH ou LTE) et de sécurité des données, cela risque d’être instructif.
Le rapport Gallois
Mais très vite le
curieux communiqué de Fleur Pellerin a été éclipsé par le rapport Gallois. Cela
a été le grand événement politico-médiatique du mois de novembre. Il a suscité
un important débat sur les moyens de rendre plus compétitif l’économie
française. Plutôt que d’augmenter la TVA comme l’avait fait le précédent
gouvernement il est décidé de réduire de 20 milliards d’euros les charges
sociales sous forme d’un crédit d’impôt, financé pour partie par une majoration
de la CGS et pour le reste par une hausse de la TVA.
Mais ce n’est qu’une
partie du rapport. Il fait 67 pages. Il est très intéressant car il montre bien
que le débat sur le coût de l’heure de travail n’est qu’une approche partielle
des problèmes de compétitivité de l’industrie française. Son décrochage serait dû
à la conjonction d’une série de fragilités antérieures : la faiblesse de
la R&D, des programmes de formation mal articulés sur les besoins de l’industrie,
l’insuffisance des financements, le manque de solidarité du tissu industriel,
la médiocrité du dialogue social ;… Sur la base de cette analyse Louis
Gallois propose 22 mesures dont certaines sont intéressantes et auraient dû être
regardées de plus près mais elles ont été un peu éclipsées par le débat sur le
crédit d’impôt diminuant les charges sociales.
Il est étonnant
de constater que ce rapport dont l’objectif est de redynamiser l’économie
française ne comprend pas un chapitre ni même un paragraphe sur l’informatique
et les télécommunications. Dans tout le rapport on trouve seulement trois
citations indirectes concernant notre secteur :
- · Page 33 : des grands groupes devraient aider les autres entreprises de leur secteur en mettant « en place de plateformes informatiques communes (plateforme d’achat par exemple) ». Pourquoi pas !
- · Page 42 : parmi les trois priorités techniques et technologiques il y a : « le développement et la diffusion des technologies génériques (numérique et microélectronique, photonique, nanotechnologies, biotechnologies, matériaux, systèmes…) ». Curieusement Louis Gallois ne s’intéresse qu’au « numérique et la microélectronique » en oubliant l’informatique et les télécommunications.
- · Page 55 : « les révolutions technologiques – aujourd’hui celle du numérique et d’internet, demain celle liée à la transition énergétique – modifient très profondément la manière dont sont conçus et fabriqués les produits ». En quelques sortes c’est une mode comme une autre et il faut s’y faire !
C’est un peu court
jeune homme ! On ne trouve rien sur le retard français en matière de
télécommunication, les investissements à effectuer en informatique qui ont été
différés, les systèmes que les entreprises devraient développer, les priorités
à fixer,… Ce silence est très étonnant car Louis Gallois est le Commissaire
Général à l’investissement. Il a la haute main sur le financement de l’ensemble
des investissements à venir et les orientations à appliquer à moyen terme. Cet
oubli est d’autant plus étonnant qu’il a été pendant des dizaines d’années patron
de plusieurs grandes entreprises et qu’il a bien vu le rôle clé des
investissements informatiques.
Mais on se
rappellera qu’il a connu deux crises majeures dues à l’informatique. Il a été
nommé président de la SNCF juste après le plantage du système de réservation
Socrate. Il a eu la responsabilité de remettre en état de marche le système de
billetterie et de réservation et de gérer les pertes importantes dues à cet
investissement mal maîtrisé. Ensuite à la tête d’EADS il a vécu les trois ans
de retard du programme d’Airbus A380 liées aux difficultés d’industrialisation de
la première série d’avions fabriqués dues en grande partie à des problèmes
d’incompatibilité des versions du logiciel de CAO : Catia. L'Allemagne et
l'Espagne employaient la version 4 du logiciel et le Royaume-Uni et la France
la version 5. Conséquence : il manquait un mètre aux câbles du réseau local
liant les 400 sièges passagers et les gouvernes. Il a fallu décâbler chacun des
29 premiers avions fabriqués et refaire à la main les harnais de câbles. Un
travail de Titans et des surcoûts conséquents.
Il est probable
que ces expériences pas très satisfaisantes ont amenées Louis Gallois a ne pas se
faire une idée très positive du rôle de l’informatique. Ceci explique qu’il a
oublié un secteur qui emploie 1,5 millions de personnes et qui représente 25 %
des investissements productifs. Les petites causes ont parfois de curieuses
conséquences.
Le rapport oublié
Mais tout le monde n’a
pas oublié l’informatique et les télécommunications. En octobre 2012 un groupe
de réflexion Terra Nova a publié un rapport sur le développement dunumérique : il fait 124 pages et propose 123 mesures. Les auteurs seront
Nelly Fesseau et Gabriel Lavenir. Terra Nova est « un think tank
progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des solutions
politiques innovantes ». Ce rapport, sans être réellement innovant, est
riche. Il est dans la continuité du 1er rapport Attali sur la
croissance. D’ailleurs Jacques Attali a écrit la préface de ce nouveau rapport.
Ce rapport part
du constat que le domaine du numérique souffre de nombreuses faiblesses. Elles
sont, en grande partie, dues à l’absence de vision : « le
personnel politique rencontre généralement des difficultés pour comprendre les
enjeux du numérique et y apporter des réponses efficaces ». Mais ce qui
est vrai pour les politiques l’est aussi pour d’autres décideurs : hauts
fonctionnaires, banquiers, chefs d’entreprises,…
L’idée centrale
du rapport est de développer les usages du numérique. On retrouve des mesures déjà
évoquées comme la création d’une licence d’usage « hors marché »
(variante de la licence globale), la suppression de l’action répressive de l’Hadopi,
la mise en place d’un Small Business Act, le développement du cloud, l’importance
des pôles de compétitivité, une réforme du crédit d’impôt recherche, le souhait
de favoriser et d’accompagner les TPE et les PME, le développement du télétravail,
le rôle de l’Open Data, la mise en place de la « crowed innovation »,
le renforcement du rôle de la CNIL, … Le rapport propose de très nombreuses
mesures dont certaines ont déjà été évoquées. Mais, il faut bien le reconnaître,
l’ensemble ne constitue pas une politique. Il serait pour cela nécessaire de fixer
des priorités, préciser les budgets et les plannings.
Ce rapport est
orienté sur le développement des usages. Ses objectifs visent à garantir l’accès
de tous à Internet, de motiver les dirigeants d’entreprises, de former les
fonctionnaires d’encadrement, de communiquer sur les aspects positifs du
numérique, de développer les investissements dans les TIC, de favoriser la
diffusion des savoir-faire, de créer une filière informatique dans l’enseignement
supérieur,… La plupart de ces 123 mesures sont intéressantes. Mais est-ce qu’elles
seront suffisantes pour améliorer la position dégradée de l’informatique et des
télécommunications en France ? Il manque probablement à ce plan un volet
du développement de l’offre notamment en matière de matériels, de logiciels de
base, de progiciels, de services,… et tout particulièrement il aurait été
nécessaire de prendre en compte le rôle des services informatiques des entreprises
et celui des grandes SSII. En se polarisant sur Internet les auteurs ont oublié
le reste de l’informatique et des télécommunications. Ils feront surement mieux
la prochaine fois.
Le nouveau CNNum est arrivé
A cela s’ajoute
les curieuses péripéties du CNNum. En 2011 Nicolas Sarkozy voulant montrer son
intérêt pour les nouvelles technologies avait créer un Conseil National du
Numérique qui était censé l’aider à prendre de bonnes décisions en matière de
développement des start-up du secteur de l’Internet. Il comprenait quelques
dirigeants d’entreprises du secteur comme Patrick
Bertrand (directeur général de Cegid et président de
l'Afdel), Frank Esser (PDG
de SFR,
président de la Fédération Française des Télécoms),
Xavier Niel (fondateur
de Free), Marc
Simoncini (fondateur de Meetic.com), Bruno Vanryb (PDG
d'Avanquest Software et président du collège
des Éditeurs de logiciels du Syntec numérique), … (Voir sur Wikipedia lapage CNNum)
L’ensemble de ce
brillant collège a démissionné en juillet 2011 à la suite de la nomination de
Jean-Baptiste Soufron comme secrétaire général du CNNum qui était depuis
quelques semaines membre du cabinet de Mme Fleur Pellerin. Etait-ce vraiment
raisonnable ? Il a ensuite fallu six mois pour que les services de Mme
Fleur Pellerin arrivent à constituer un nouveau collège de 30 membres. Cette
liste est étonnante. L’ancien conseil était composé de « peoples » de
l’Internet mais ceux du nouveau sont d’illustres inconnus. Je vous laisse le
plaisir de lire la liste sur la page Wikipedia du CNNum. Si vous connaissez
plus de deux ou trois noms vous êtes très fort et avez un bon carnet d’adresses.
Je me demande
bien ce que pourra réaliser ce brillant collège. En tout cas il ne peut pas
faire moins que la précédente équipe qui s’est illustrée par son inaction. Il est
quand même étrange qu’on ne soit pas allé chercher les compétences là où elles existent.
Dans notre secteur il existe un grand nombre de personnes compétentes comme des
DSI, des experts, des consultants, des chefs d’entreprise, des enseignants, des
chercheurs, … qui ont montré leur connaissance du domaine et la qualité de
leurs idées.
Si les membres de
ce curieux aéropage sont à la recherche d’idées on ne peut que leur conseiller
d’aller lire le rapport de Terra Nova sur le numérique. Mais on peut craindre
qu’ils aient quelques difficultés à définir et mettre en place un plan un peu audacieux.
Le temps passant on a de plus en plus le sentiment que la volonté politique d’agir
manque et qu’une fois de plus on prendra quelques mesures pour répondre à l’urgence
comme le financement du haut débit, la limitation de l’aspect répressif de l’Hadopi
ou le financement à fonds perdus des services Cloud nationaux. Mais tout cela
ne fait pas une politique.
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